Vincent Collier
Avocat à la Cour
CONSEILS RÉUNIS
Société d’avocats au Barreau de Paris
51 rue Ampère - 75017 PARIS
v.collier chez conseilsreunis.com

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  • 1re Parution: 1er août 2005

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L’assouplissement des 35 heures : développements récents...

(Mise à jour de cet article en juillet 2005)

A titre liminaire, il convient d’attirer l’attention du lecteur sur la succession assez rapide des réformes en la matière.

Rappelons toutefois, pour relativiser les enjeux des débats actuels, que d’une part, des possibilités d’échapper aux 35 heures "pures et dures" existaient déjà auparavant, que, d’autre part, une place large étant laissée à la "négociation avec les partenaires sociaux".

Après avoir brièvement passé en revue les moyens d’assouplissement des 35 Heures qui étaient déjà à la disposition des entreprises avant les réformes récentes (I et II), nous étudierons les nouvelles mesures issues de la loi Dutreil (III).

I/ Comment échapper à la semaine de 35 Heures (règles classiques) ?

A/ Présentation des dispositifs d’assouplissement déjà existants :

- Les jours dits de "R.T.T." :

Plutôt que d’appliquer un horaire collectif de 35 H sur la semaine, beaucoup d’entreprises ont préféré mettre en place des horaires individualisés (qui existaient depuis longtemps et que nous n’étudierons pas ici) et, surtout, le mécanisme d’octroi de jours ou demi-journées de repos dits "jours R.T.T.", lesquels sont calculés soit sur une période de 4 semaines, soit sur l’année (un accord d’entreprise, d’établissement ou de branche étendu est nécessaire dans ce second cas). Une partie de ces jours R.T.T. peut alimenter un compte-épargne-temps. Ces jours dits de « R.T.T. » peuvent aujourd’hui être « rachetés » à certaines conditions (voir infra).

- Les forfaits en heures ou en jours :

Les forfaits ne concernaient en principe que les cadres et les salariés amenés à se déplacer fréquemment. Depuis la loi Dutreil (voir la partie III/ du présent article), les forfaits pourront toutefois devenir plus fréquents car ils sont facilités.

Il s’agit de forfaits soit hebdomadaires, soit mensuels (ces forfaits ne nécessitent pas d’accord particulier), soit annuels en heures ou en jours (la conclusion de ces forfaits annuels de 1607 H - soit 1600 H + 7 H de journée de solidarité depuis la loi du 30 juin 2004 - ou de 217 jours + 1 journée de solidarité = 218 jours, supposent qu’une convention l’autorise).

- L’annualisation :

Les lois AUBRY, tenant compte du fait que l’annualisation répond aux besoins de nombreuses entreprises, a pérennisé la possibilité d’annualiser la base de calcul de la durée moyenne du travail (le nombre total d’heures travaillées doit alors être inférieur ou égal à 1607 Heures par an, mais leur répartition peut varier fortement d’un mois à un autre). L’annualisation suppose toujours la négociation d’un accord collectif de branche étendu ou d’entreprise ou d’établissement (avec un droit d’opposition des syndicats majoritaires).

- Le compte épargne temps :

Le compte épargne temps a été modifié par la loi Raffarin - Dutreil du 31 mars 2005 (article 2).

En vertu de certaines conventions ou accords collectifs, des salariés pouvaient déjà accumuler (NB : la limite de 22 jours par an vient d’être supprimée par la loi Dutreil), des droits à congé rémunéré sur un "compte-épargne-temps" en y affectant leurs droits à heures ou jours de repos (repos compensateur de remplacement ou jours RTT). Lorsque le salarié a atteint le nombre de jours minimal, il devait prendre son congé (d’une durée de deux mois au moins) dans les cinq ans qui suivent (condition aujourd’hui supprimée pat la loi Dutreil). Il peut aussi y "thésauriser" une partie de ses congés annuels pour la partie de ces congés au-delà de 24 jours ouvrables par an. Des primes conventionnelles ou d’intéressement ou fractions d’augmentations de salaire peuvent également y être converties en jours de congé.

- Utilisation du contingent annuel d’heures supplémentaires (130 heures maximum - ou jusqu’à 220 Heures si l’entreprise a moins de 20 salariés ; au delà, chaque heure supplémentaire doit être compensée par une heure de repos obligatoire au titre du "repos compensateur obligatoire" en plus de la majoration).

Les lois AUBRY n’interdisaient pas le recours aux heures supplémentaires, mais en limitait l’usage grâce au contingent et aux majorations ou bonifications.

Toutefois, le dispositif AUBRY avait déjà fait l’objet d’une première révision. Ainsi, aux termes d’un décret du 15 octobre 2001 (décret n° 2001-941), le contingent d’heures supplémentaires applicables aux cadres hors forfait et aux non cadres a été fixé à 130 heures, et pour les cadres au forfait sur une base hebdomadaire ou mensuelle à 180 heures. Pour les entreprises appliquant la modulation, le contingent était réduit à 90 heures (article 2 du décret). Mais, à titre « transitoire », dans les entreprises de 20 salariés au plus, le contingent était porté à 180 heures en 2002 et 170 heures en 2003 (article 3 du décret). Le contingent a même été porté à 220 Heures depuis le décret du 22 décembre 2004 n° 2004-1381 pour tous les salariés, sauf ceux au forfait jours ou au forfait annuel en heures.

Bien évidemment, tous ces dispositifs (« jours RTT », forfaits divers, compte épargne temps, etc...) ont été maintenus, mais avec quelques « assouplissements » (voir II et III).

B/ Les critiques à l’origine des réformes :

Du point de vue des entreprises, les lois AUBRY avaient le double défaut rédhibitoire d’être d’une part complexes, voire impossibles à mettre en oeuvre sans le secours d’un ou plusieurs conseils, d’autre part génératrices de coûts supplémentaires en termes de frais de personnel (majorations diverses, nécessité de recruter pour pallier aux absences, ou de réduire les heures d’ouverture, frais de mise en place et de fonctionnement du "système", etc...).

Etaient particulièrement critiqués le contingent maximal d’heures supplémentaires, les repos obligatoires qui auraient pu être remplacés par des compensations salariales et les majorations jugées trop onéreuses.

Du point de vue des salariés, tous avantages mis à part ; la mise en place des 35 heures a parfois conduit à un gel des salaires, et, pour les cadres au forfait (cadres "non intégrés"), à des horaires de plus en plus lourds, en particulier pour compenser la réduction des horaires des employés placés sous leur direction...

Enfin, en termes d’emplois, les effets des lois AUBRY sont souvent considérés comme discutables, ou tout du moins limités, la croissance du nombre d’emplois en France tenant autant à la croissance enregistrée depuis quelques années qu’à d’autres considérations.

En tout cas, force est de constater que les mesures décidées sous l’égide de Monsieur FILLON répondent en partie aux souhaits des organisations patronales, mais sans aller jusqu’à remettre en cause le mouvement de réduction du temps de travail amorcé par le gouvernement JOSPIN, que la plupart des salariés considèrent en effet comme un avantage acquis.

II/ Les mesures d’assouplissement FILLON et RAFFARIN :

La réforme Fillon-Raffarin (voir notamment les lois n° 2003-47 du 17 janvier 2003, n° 2004-391 du 4 mai 2004 et n° 2005-296 du 31 mars 2005) tend d’une part à rendre la réduction du temps de travail moins difficile à appliquer pour les entreprises, d’autre part à privilégier les compensations financières par rapport aux compensations sous forme de repos.

A/ Le relèvement du plafond d’heures supplémentaires ("le contingent") :

Le point de la réforme sur lequel l’on insiste généralement le plus est le relèvement du contingent maximal d’heures supplémentaires pouvant être librement décidées par l’employeur.

Ce relèvement conduit à revenir sur l’un des objectifs des lois AUBRY, à savoir réduire le temps de travail pour réduire le chômage en obligeant les entreprises à recruter.

Néanmoins, l’augmentation du contingent légal n’est pas spectaculaire : de 130 heures, il est passé à 180 heures, puis à 220 heures (sauf pour les salariés au forfait jours ou au forfait annuel en heures) depuis le décret du 22 décembre 2004 (voir article D 212-25 du code du travail). En pratique, le repos compensateur obligatoire (en plus de la majoration financière) de 50 % (entreprises de moins de 20 salariés) ou 100% (entreprises de plus de 20 salariés) ne s’applique donc plus aujourd’hui qu’à compter de la 221ème heure.

D’autre part, une convention ou un accord collectif de branche étendu peut stipuler un contingent conventionnel différent, y compris plus élevé (permettant ainsi à une entreprise de prévoir une durée moyenne du travail de plus de 39 heures par semaine en moyenne), la limite légale de 220 heures ne s’appliquant que subsidiairement.

B/ La réforme des bonifications et majorations :

Alors que les majorations prenaient normalement la forme d’un repos sauf convention contraire (conformément à l’objectif de lutte contre le chômage), la règle est désormais inversée : sauf accord contraire entre les partenaires sociaux, la majoration serait dorénavant salariale, ce dont pourront tout de même se réjouir certains salariés.

Ceci exposé, il n’est pas inutile, de rappeler qu’entre 35 et la 43è heure (8 premières heures supplémentaires) la bonification est de 25% (prenant jusque-là en priorité la forme d’un temps de repos), et de 50% au-delà.

Or, le second point modifié par la réforme progressivement instituée en 2003 et 2004 sur les majorations est de permettre aux employeurs et aux syndicats, dans les entreprises de 20 salariés ou plus, de fixer par accord de branche étendu un taux différent de majoration de salaire, avec un minimum de 10 % (article L 212-5 du code du travail).

Pour les autres entreprises (moins de 20 employés), la majoration de 10% (pour les 36è à 39è heures) seulement s’applique dans tous les cas jusqu’en 2008 compris au moins (article 3 - II de la loi Fillon et prolongation issue de la loi Raffarin du 31 mars 2005 - article 4).

C/ L’assouplissement des règles sur le repos compensateur obligatoire :

- Dans la limite du contingent déjà étudié (220 H par an en principe), le repos compensateur pour les heures effectuées au-delà de 41 heures est de 50%, pour les entreprises de plus de 20 salariés (en plus de la majoration financière) (article 2 - II 1° de la première loi Fillon).

- Au delà de la limite du contingent (c’est à dire en pratique au-delà de 39 heures en moyenne), le repos compensateur pour les heures effectuées hors contingent est de 50% pour les entreprises de 20 salariés ou moins, et de 100% pour celles de plus de 20 salariés (en plus de la majoration financière) (article 2 - II 2° de la première loi Fillon).

Ainsi, une différence de traitement subsistera entre les petites et les grandes entreprises, ce qui, à terme, posera des problèmes en termes de différentiels de productivité, mais contribuera au développement des P.M.E..

Les entreprises souhaitant bénéficier de la loi FILLON en présence d’un accord contraire plus favorable aux salariés doivent renégocier une convention, mais la signature d’un seul syndicat suffit pour valider l’avenant. Si les syndicats y sont opposés, l’employeur pourra "passer en force" en dénonçant l’accord, mais il continuera à s’appliquer pendant 15 mois.

Par ailleurs,

- les salariés disposant d’un compte épargne temps peuvent continuer à en disposer, avec la possibilité de se faire racheter les jours de congés ou de R.T.T. accumulés sur leur compte (dans la même logique de "monétarisation" de la réduction du temps de travail),

- la définition des cadres dits "intégrés" (qui sont plus ou moins soumis aux règles classiques de réduction du temps de travail, par opposition aux cadres "libres" ayant généralement des conventions de forfaits en jours), a été légèrement modifiée, les termes "pour lesquels la durée du travail peut-être prédéterminée" étant notamment remplacés par les termes "dont la nature des fonctions les conduit à suivre l’horaire collectif applicable...sans que nécessairement leurs horaires propres s’identifient exactement ou en permanence à celui-ci" (article 2 - VI de la première loi Fillon).

Enfin, s’agissant des cadres complètement "libres" de leurs horaires, le texte (première loi Fillon - article 2 - VII) précise que "la convention ou l’accord définit les catégories de cadres concernés dont la nature des fonctions implique une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps". Sic...

D/ « Rachat » des jours RTT :

Il est désormais possible de « racheter » des jours de « R.T.T. » si un accord collectif le prévoit. Cette faculté est ouverte, à cette condition, même pour des salariés ayant conclu un forfait exprimé en nombre de jours (en respectant quelques règles précises prévues à l’article 3. III de la loi du 31 mars 2005).

Concrètement, le « rachat » des jours de RTT auquel le salarié accepte de renoncer se fait sous forme d’une « majoration de salaire » selon les modalités fixées par l’accord.

A défaut d’accord collectif, le rachat n’est autorisé que dans la limite de 10 jours rachetés par an et par salarié, ou dans la limite de 70 H par an pour les salariés au forfait.

Sauf accord collectif plus favorable, la majoration de salaire pour chaque heure rachetée doit être au minimum de 10 %.

E/ « Heures choisies » au-delà du contingent :

Il est dorénavant autorisé de dépasser le contingent annuel d’heures supplémentaires (de 220 H en principe) suivant un système d’ « heures choisies » (article 3 de la loi du 31 mars 2005).

Cette faculté suppose toutefois la conclusion d’un accord collectif de branche ou d’entreprise, et l’accord personnel de chaque salarié concerné (que la « RTT » du salarié soit hebdomadaire ou exprimée en jours de repos).

Suivant les cas, la majoration de salaire correspondante doit être de
10 % ou 25 % (régime identique à celui des heures supplémentaires).

Bien évidemment, les heures choisies ne sont autorisées que dans la limite maximale légale de 44 heures de travail par semaine sur douze semaines.

F/ Transfert de Compte-épargne-temps (C.E.T.) sur une épargne retraite :

Il est rappelé que la limite de 22 jours qui constituait le plafond de l’ « épargne » accumulée sur le C.E.T. a été supprimée lors de la dernière réforme.

En outre, le transfert du temps épargné au titre du C.E.T. sur un plan d’épargne collectif (PERCO) ou sur un plan d‘épargne retraite personnalisé (PERP) est désormais possible, avec exonération de charges sociales salariales et patronales, ainsi que d’impôt sur le revenu.

III/ La loi Dutreil du 13 juillet 2005 : Extension des possibilités de forfaits exprimés en jours :

Aux termes de la Loi dite « Dutreil » (« loi en faveur des petites et moyennes entreprises »), après le deuxième alinéa du III de l’article L. 212-15-3 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La convention ou l’accord peut également préciser que les conventions de forfait en jours sont applicables, à condition qu’ils aient individuellement donné leur accord par écrit, aux salariés non-cadres dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées. »

Sous réserve d’un contrôle effectif par les juridictions prud’homales des conditions posées par ce nouveau texte, les possibilités de conclure un une convention de forfaits-jours (218 jours maximum) se trouvent ainsi considérablement étendues.

Conclusion :

Dans l’ensemble, la situation des entreprises après la réforme s’est améliorée en termes de souplesse dans la gestion du personnel (le nombre d’heures supplémentaires pouvant être imposé aux salariés étant augmenté).

Mais les salariés ne verront pas leurs "avantages acquis" trop réduits, car ils toucheront des majorations de salaire (certes diminuées par rapport aux dispositifs AUBRY) pour les heures supplémentaires qu’ils effectueront.

Auteur : Vincent COLLIER
Avocat au Barreau de Paris
9 rue Anatole de la Forge - 75017 Paris
Tél : 01 47 66 01 65
Fax : 01 47 66 45 05
E-mail : collier.v chez voila.fr
Site : http://site.voila.fr/collieravocat/

Activités : Droit des affaires - Droit social - Droit fiscal.

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