Forfait en jours ou en heures : panorama de jurisprudence 2021 / 2022.

Les conventions de forfait, qu’elles soient en jours ou en heures, font l’objet d’un important contentieux.
La Cour de cassation est ainsi régulièrement amenée à se prononcer sur leurs conditions d’application ou leurs conséquences.

1) L’impact de l’inopposabilité d’une convention de forfait jours sur le paiement des jours de RTT.

Dans un arrêt du 6 janvier 2021, n°17-28.234, la Cour de cassation est venue préciser les conséquences de l’inopposabilité d’une convention de forfait jours sur les jours de RTT dont avait bénéficié le salarié.

Dans le cas d’espèce soumis à la Cour de cassation, l’employeur reprochait à la Cour d’appel de l’avoir débouté de sa demande de remboursement au titre des jours de RTT accordés au salarié, en exécution de sa convention de forfait jours.

La cour d’appel ayant estimé que la convention de forfait jours était privée d’effet, l’employeur considérait qu’il aurait dû bénéficier du remboursement des jours de RTT.

Au visa de l’ancien article 1376 du Code civil, qui dispose que « celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu », la Cour de cassation a suivi l’employeur dans son raisonnement.

En effet, dès lors que la convention de forfait jours est privée d’effet, la durée du travail du salarié doit être considérée comme correspondant à la durée légale de travail (soit 35 heures hebdomadaires).

Or, les jours de RTT viennent précisément compenser une durée de travail supérieure à la durée légale de travail.

Cette solution, déjà retenue par la Cour de cassation en matière de forfait heures (Voir notamment Cass.soc., 13 mars 2019, n°18-12.926) apparait justifiée dès lors que l’on considère que la durée du travail du salarié est égale à la durée légale.

2) L’accord collectif organisant le forfait jours doit instituer un suivi effectif et régulier de la charge de travail.

Aux termes de l’article L3121-63 du Code du travail,

« Les forfaits annuels en heures ou en jours sur l’année sont mis en place par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche ».

Selon l’article L3121-64, l’accord collectif mettant en place les conventions de forfait doit notamment prévoir « Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ».

Toute convention de forfait conclue en application d’un accord qui ne prévoirait pas de telles stipulations est nulle et de nul effet.

La Cour de cassation contrôle ainsi régulièrement que les conventions ou accords collectifs prévoient des dispositions suffisamment protectrices des salariés.

Dans deux arrêts du 24 mars 2021, n°19-12.208 et du 13 octobre 2021, n°19-20.561, la Cour de cassation a ainsi considéré que les stipulations des accords organisant le recours aux forfaits (en l’espèce dans le secteur du bricolage et au Crédit agricole) étaient insuffisantes dès lors qu’elles se bornaient à rappeler les durées de repos quotidiens et hebdomadaires.

La Cour de cassation rappelle ainsi que les accords collectifs doivent garantir un suivi effectif et régulier de la charge de travail permettant de « remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ».

Il est donc nécessaire d’organiser un suivi concret de la charge de travail des salariés au forfait, le respect des temps de repos étant en soit insuffisant pour garantir une durée de travail raisonnable.

3) Le délai de prescription applicable à l’action en déclaration d’inopposabilité d’une convention de forfait en jours ou en heures.

L’inopposabilité, ou la nullité, d’une convention de forfait en jours ou en heures peut avoir des conséquences financières importantes, dès lors que le salarié peut alors solliciter le paiement de ses heures supplémentaires.

Aussi, il peut être intéressant pour les employeurs de tenter d’échapper à ce paiement en arguant de la prescription de la demande d’inopposabilité, ou de nullité, de la convention de forfait.

Le délai de prescription applicable est-il alors celui se rapportant à l’exécution du contrat ou au paiement du salaire ?

C’est à cette question que devait répondre la Cour de cassation dans son arrêt du 30 juin 2021, n°18-23.932.

Dans son pourvoi, l’employeur estimait que l’action en déclaration d’inopposabilité de la convention de forfait jours se rapportait à l’exécution du contrat de travail et, de fait, se prescrivait par deux ans.

Toutefois, la Cour de cassation n’a pas suivi cet argument.

La Haute Juridiction estime quant à elle que

« la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement de salaire fondée sur l’invalidité d’une convention de forfait en jours est soumise à la prescription triennale ».

Cette solution n’est pas nouvelle, la Cour de cassation ayant déjà estimé, dans un arrêt du 27 mars 2019, n°17-23.314 que le salarié était « recevable à contester la validité de la convention annuelle en jours » dans le cadre d’une demande de rappels d’heures supplémentaires.

Ainsi, il convient de se reporter aux conséquences de la demande (en l’espèce une demande de rappel de salaires) pour déterminer le régime de la prescription applicable.

4) Inopposabilité d’une convention de forfait en heures et paiement des heures supplémentaires.

Dans deux arrêts du 2 mars 2022, n°20-19.832 et 20-19.837, la Cour de cassation est venue préciser le régime applicable en cas d’inopposabilité d’une convention de forfait en heures.

Dans l’arrêt soumis à la Cour de cassation, les salariés reprochaient à la cour d’appel d’avoir limité le montant des rappels de salaires pour heures supplémentaires aux motifs qu’ils auraient d’ores et déjà été payé à hauteur de 38h30, nonobstant l’inopposabilité de leurs conventions de forfait heures.

Les salariés estimaient qu’ils étaient réputés avoir été rémunérés sur la base de la durée légale du travail et qu’ils devaient donc être payés pour toutes les heures effectuées au-delà de 35 heures.

La Cour de cassation n’a toutefois pas suivi ce raisonnement.

Ainsi, elle considère que

« Lorsqu’une convention de forfait en heures est déclarée inopposable, le décompte et le paiement des heures supplémentaires doit s’effectuer selon le droit commun, au regard de la durée légale de 35 heures hebdomadaires ou de la durée considérée comme équivalente ».

Elle précise ensuite qu’il appartient aux juges du fond de déterminer la commune intention des parties quant à la durée de travail rémunérée.

Une fois cette durée de travail déterminée, le salarié ne peut prétendre qu’aux majorations des heures supplémentaires afférentes à cette durée.

Dans le cas d’espèce, les conventions de forfait heures (certes privées d’effet) prévoyaient une rémunération correspondant à une durée hebdomadaire de travail de 38h30.

Aussi, il convenait de considérer que les salariés avaient été rémunérés à hauteur de 38h30.

En revanche, les majorations afférentes au 3h30 effectuées au-delà de la durée légale de travail étaient dues.

De plus, et à notre sens, les salariés auraient également pu prétendre aux heures supplémentaires effectuées au-delà de cette durée du travail convenue, dès lors qu’ils présentaient des éléments précis quant à leurs horaires.

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