L’entreprise constitue, en effet, une affaire de société en ce que toute son activité a un impact sur la société, tant sur le plan économique qu’en matière environnementale et sociale. La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) est « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et à leurs relations avec leurs parties prenantes » [2].
La RSE s’est développée en parallèle de la montée en puissance de la mondialisation et s’entend de la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des effets qu’ont ses décisions et activités sur la société ainsi que sur l’environnement. Elle se traduit par un comportement éthique et transparent, intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations, qui contribue alors au développement durable tout en respectant les lois en vigueur en accord avec les normes internationales de comportement [3].
La responsabilité sociale des entreprises est par essence une question internationale, puisque les grands défis qu’affrontent les acteurs économiques sont de nature internationale tels que le changement climatique, la raréfaction des ressources ou encore la corruption. Ces enjeux mondiaux auront des effets considérables sur l’économie, sur le système financier mais aussi sur le système assurantiel, ce qui pousse les investisseurs à jouer un rôle déterminant dans l’accompagnement de ces défis. Les entreprises sont des acteurs essentiels à la réalisation d’un environnement plus soutenable à l’homme et à la planète. Face au développement de préoccupations environnementale, sociale et économique et face à une critique des consommateurs envers les multinationales, la RSE apparaît désormais comme un outil de régulation de la mondialisation. Elle propose des gardes fous au pouvoir des multinationales, devenues parfois plus puissantes que certains États.
Des textes internationaux, tels que le Pacte mondial, les Principes directeurs des Nations Unies et ceux de l’OCDE, ont été adoptés et sont venus progressivement préciser ce à quoi les entreprises doivent s’engager et ce à quoi elles sont tenues dans le cadre d’une stratégie de RSE. De même, l’Union européenne s’est emparée du sujet il y a près de 20 ans dans l’objectif d’une « croissance économique durable accompagnée d’une amélioration de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » [4]. En France, l’obligation de transparence relative à l’impact social et environnemental des entreprises s’est énormément développée. Plusieurs lois [5] se sont en effet succédées et ont imposé aux entreprises de mettre en place une stratégie sociétale, associée à des obligations particulières de transparence et de communication, et dont le champ d’application s’est étendu au fur et à mesure.
Les acteurs du secteur de l’assurance ont la capacité d’être un catalyseur d’un développement plus durable et plus responsable, de par la nature même de leurs activités (protéger les personnes et les actifs matériels, prévenir les risques, gérer les actifs financiers sur la durée de leurs engagements) et leur capacité à les adapter aux mutations économiques et sociétales comme les conséquences du dérèglement climatique ou l’allongement de la durée de la vie humaine.
La profession de l’assurance s’est ainsi engagée dans une démarche de responsabilité, et particulièrement en faveur du développement durable, par la création, en 2007, d’une Commission Développement Durable au sein de la Fédération Française de l’Assurance (FFA) [6] qui rassemble les entreprises d’assurance et de réassurance opérant en France (soit 280 sociétés représentant 99% du marché). De plus, par la mutualisation des risques, les assureurs incitent à mutualiser les bonnes pratiques pour développer et renforcer les comportements responsables, notamment en intégrant des critères de RSE dans leur analyse des risques des entreprises.
En outre, les compagnies d’assurance, principalement celles régies par le Code des assurances et fonctionnant sur un mode capitalistique, sont des investisseurs institutionnels. Le secteur de l’assurance investit chaque année plusieurs milliards d’euros dans l’économie, principalement en obligations d’État ou d’entreprises ou en actions. Les assureurs font partie des principaux contributeurs de l’investissement socialement responsable (ISR) en France. En effet, en 2015, 746 milliards d’euros d’encours ISR étaient gérés selon les critères environnementaux, sociétaux et de gouvernance (ESG) dont 465 milliards d’euros d’encours gérés par les assureurs, soit près de 62% des encours ISR au total.
La prise d’engagement de nombreuses entreprises du secteur (en particulier AXA, Allianz et Munich Re) dans le cadre du partenariat [7] entre le Programme des Nations Unies pour l’environnement et plus de 200 institutions financières (banques, assurances et investisseurs) révèle un véritable engagement en faveur du développement durable et plus largement des enjeux de la RSE, qui apparaît comme un aspect fondamental de la saine gestion des affaires.
Ce travail de recherche sur l’engagement du secteur assurantiel de poursuivre sa mobilisation à long terme en faveur du développement durable amène à nous questionner sur l’appropriation du concept de RSE par les entreprises d’assurance. Il convient également de s’interroger sur la façon avec laquelle les assureurs orientent les capitaux et investissent de manière « responsable » (dans quels secteurs les assureurs investissent-ils ? existe-t-il des secteurs exclus comme celui de la production d’armement ou du nucléaire ?). Comment les assureurs ont-ils intégré la responsabilité sociale et environnementale dans leur politique d’investissement ?
La démarche de RSE dans le secteur de l’assurance s’appuie sur la recherche d’une compatibilité entre l’investissement et la protection de l’environnement et des droits humains. Les assureurs font office de régulateurs de la politique environnementale en développant des produits entièrement dédiés au développement durable (I), accrédités par des agences de notation et des labels, ce qui a conduit à une autorégulation du marché dédié à la RSE par les investisseurs institutionnels (II).
I) Une recherche de compatibilité entre investissements assurantiels et la protection des droits humains et environnementaux.
Le rôle majeur occupé par l’assureur en tant qu’investisseur lui impose de veiller au respect des droits fondamentaux (A) et à la protection de l’environnement (B).
A. Le nécessaire respect des droits humains et de la probité.
La responsabilisation des entreprises passe en premier lieu par des droits humains fondamentaux et qui s’appliquent à tout homme et à toute femme. Les investissements des assureurs doivent donc être compatibles avec un objectif de protection de ces droits, défini au niveau international et européen [8]. Nous pouvons noter que, dans une affaire devant le PCN [9] (Natixis contre le syndicat Unite Here), il a été admis qu’une participation au sein d’un fonds de pension suffit à engager la responsabilité d’un investisseur pour des manquements (ici contre les droits syndicaux) par une société faisant partie de ce fonds.
Avec près de 255 milliards de dollars de primes prélevées en France en 2013, le marché hexagonal se trouve être l’un des marchés les plus juteux en matière d’assurance au niveau mondial [10]. Ce pouvoir financier implique de grandes responsabilités pour les assureurs qui réinvestissent ces primes sur les marchés mondiaux (et financent donc de multiples activités). Afin de rendre compte de leur action sur ce plan, les assureurs se doivent de faire part d’une information dans le cadre d’une déclaration consolidée de performance extra-financière concernant les effets de leur activité quant au respect des droits de l’homme et à la lutte contre la corruption [11] (voir plus avant).
La lutte contre le blanchiment et la corruption est également au cœur de la responsabilité sociale et économique des assureurs pris en tant qu’investisseurs. L’article 17 de la loi Sapin II prévoit par exemple que les entreprises de grande envergure (plus de 500 salariés ou ayant un chiffre d’affaire de plus de 100 millions d’euros) doivent mettre en place des codes de conduite, des alertes internes ainsi que des procédures de contrôle et d’évaluation afin de lutter contre la corruption. Point notable : cette obligation s’applique aussi bien aux sociétés mères qu’à leurs filiales. L’agence française anticorruption s’assure du respect de ces règles, ce qui donne une tonalité particulière à la responsabilité des entreprises sur ce terrain. Au-delà de ces aspects humains, le facteur naturel se doit également d’être pris en compte dans les politiques d’investissement.
B. La prise en compte sans cesse accrue de l’environnement.
L’environnement occupe une place toujours plus importante dans les esprits de nos contemporains, les évènements d’envergure internationale [12] ou réflexions issus de milieux diversifiés [13] témoignent de l’attention nouvelle portée à la nature. Le droit commun lui-même évolue rapidement afin de prendre en compte ce changement de mentalité : issu de la jurisprudence [14], le préjudice écologique pur est désormais partie intégrante du Code civil [15]. Une récente réforme a également introduit une action de groupe en matière environnementale [16] à l’article L. 142-3-1 du Code de l’environnement.
C’est à l’aune de ces bouleversements dans nos manières de vivre, de consommer et de percevoir l’environnement qu’intervient le droit. L’article L. 533-22-1 du Code monétaire et financier prévoit que les entreprises d’assurance délivrent une information quant à leurs objectifs sociaux, environnementaux et de gouvernance. Une responsabilité environnementale [17] impose aux investisseurs (et donc aux assureurs) de prendre en compte leur impact sur la nature dans leurs politiques de financement, à moins de se voir condamné dans le cadre de leur activité. C’est le principe du pollueur-payeur. Le rapport Notat-Senard en date du 9 mars 2018 propose d’officialiser dans le Code civil la reconnaissance des objectifs environnementaux des entreprises.
Par ailleurs, certains investisseurs institutionnels se sont engagés à respecter les « Principles for Responsible Investment » (PRI), selon l’initiative lancée le 27 avril 2006 par les Nations Unies. Il s’agit d’un ensemble d’engagements volontaires s’adressant au secteur des services financiers et qui incite les investisseurs à intégrer les problématiques environnementale, sociale et de gouvernance dans la gestion des portefeuilles d’investissement. Ces principes pour l’investissement responsable traduisent une volonté de généraliser la prise en compte des aspects extra-financiers dans le monde de la finance internationale. L’investissement socialement responsable (ISR) fait partie du processus de mise en œuvre de la RSE en ce qu’il est un placement qui vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises et les entités publiques qui contribuent au développement durable quel que soit leur secteur d’activité.
L’ISR est mis en œuvre par les investisseurs institutionnels (fonds de pension, banques et compagnies d’assurance) ainsi que par des sociétés de gestion qui proposent des fonds ISR [18]. L’investissement socialement responsable prend en compte les considérations environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise (critères ESG) ayant un effet positif sur les décisions d’investissement et la gestion des portefeuilles. Dans le choix des projets qu’il finance, l’investisseur s’engage alors à sélectionner les entreprises ayant les meilleures pratiques environnementales, sociales ou de gouvernance au sein d’un secteur d’activité [19]. Une autre approche de l’ISR consiste pour l’investisseur à privilégier les entreprises actives sur des thématiques ou secteurs d’activité liés au développement durable tels que les énergies renouvelables, l’eau, la santé ou plus généralement le changement climatique ou l’efficacité énergétique. L’investisseur joue ainsi un rôle dans la promotion d’une gestion responsable de l’environnement ainsi que d’un développement socialement responsable. Une dernière approche repose sur l’engagement actionnarial : les investisseurs exigent des entreprises une politique de responsabilité sociale plus forte par un dialogue direct mais aussi par l’exercice des droits de vote en assemblée générale. En influençant la gouvernance et le comportement des acteurs, l’ISR favorise une économie responsable.
Au-delà de ces sujets, la politique d’investissement des assureurs est contrôlée et encadrée tant au plan interne à l’entreprise qu’au niveau international.
II) La mise en place de dispositifs de régulation et de contrôle.
La prise en compte de la RSE par les assureurs dans leur politique d’investissement suit un système à double détente. D’une part, le développement de l’influence du droit international et de la soft law a eu pour effet de promouvoir l’intégration volontaire de ces normes de façon à en modifier leur nature même (A). La deuxième manifestation de la RSE concerne la compliance et le reporting (B).
A. L’institutionnalisation de la RSE marquée par l’influence croissante du droit international et de la soft law.
Les textes de droit international, bien que leur nombre soit en constante inflation (par exemple, la conférence des parties en est à sa 24ème édition), ont souvent pour objet de la soft law. Un arrêt [20] est venu confirmer ce constat : le Pacte Mondial des Nations Unis concerne la protection de droits tels que le respect de la vie et de la dignité humaine relevant des Droits de l’Homme et ne se rapporte pas au droit humanitaire précisément visé par la 4ème Convention de Genève ni les Conventions de la Haye de 1907 et 1954. A défaut de caractère juridiquement contraignant, son application repose sur la volonté. Bien que la soft law de source internationale n’ait pas de caractère obligatoire, son développement croissant appelle à une intégration volontaire de la RSE par les assureurs de plus en plus poussée, notamment sous le poids de l’opinion publique quant à la réputation des entreprises (campagne « name and shame » [21]).
Par sa volonté, l’assureur investisseur consent se soumettre, et être sanctionné en cas de manquement, à des dispositions de soft law. L’acquisition du caractère obligatoire permettra ensuite d’engager la responsabilité de l’assureur investisseur en vertu du respect du droit des contrats. Cependant, cette intégration volontaire peut également être « forcée ». L’assureur investisseur peut soumettre sa prise de participation dans une entreprise ou le financement d’une activité à un contrat, lequel imposera aux parties des obligations visant un respect effectif de certaines normes.
B. L’assureur investisseur assujetti à des obligations de prévention et de communication.
Dans sa politique d’investissement en faveur du développement durable, l’assureur doit prendre des mesures de prévention en ce sens [22]. Cette prévention utilise comme vecteurs des mesures de contrôle interne, de déontologie et de conformité pour se conformer aux lois, règlements et normes qui leur sont applicables [23]. Les programmes de conformité doivent également s’appliquer aux filiales et aux parties prenantes (intermédiaires, distributeurs, fournisseurs). Pour être efficaces, les mécanismes d’incitation mis en place doivent prévoir un système de récompense pour l’adhésion aux valeurs qu’ils incarnent et des sanctions dissuasives en cas de manquement [24].
La réussite de l’intégration de la RSE dans la politique d’investissement conduit à communiquer sur les mesures prises, sur des éléments à la fois financiers et non financiers. Concernant les éléments financiers, les intervenants sur le marché ont besoin d’informations sur les risques significatifs et raisonnablement prévisibles concernant l’environnement [25]. Concernant les éléments non financiers, les entreprises établissent une déclaration de performante extra-financière [26] dans leur rapport de gestion, ayant trait à la prise en compte des conséquences sociales et environnementales de leur activité ainsi que les effets de cette activité quant aux respect des droits de l’homme et à la lutte contre la corruption. Cette communication tend à susciter une action en faveur du développement durable (agissant comme un argument d’autorité) mais aussi à aider le consommateur dans son choix. L’intégration de la RSE dans les investissements de l’assureur permet de pratiquer un « greenwashing » [27] permettant d’attirer des assurés attachés à l’écologie ou au respect des droits de l’homme.
Par ailleurs, la notation extra-financière des entreprises [28] permet d’évaluer la qualité de gestion de celles-ci dans les domaines extra-financiers, au regard de son comportement vis-à-vis de l’environnement, du respect des valeurs sociales et son engagement sociétal et non pas uniquement sur ses performances économiques. La notation et la labellisation des fonds ISR accréditent cette pratique.
En outre, l’article L. 533-22-1 alinéa 3 du Code monétaire et financier impose aux entreprises d’assurance et de réassurance ainsi qu’aux mutuelles et institutions de prévoyance de mentionner dans leur rapport annuel et de mettre à la dispositions de leurs souscripteurs, une information sur les modalités de prise en compte dans leur politique d’investissement des critères relatifs au respect d’objectifs sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance ainsi que sur les moyens mis en oeuvre pour contribuer à la transition énergétique et écologique.
Chaque acteur du secteur assurantiel doit préciser la nature de ces critères et la façon dont il les applique. Cette disposition oblige à transmettre des données mais non à utiliser des critères ESG dans la sélection des entreprises financées. Chaque investisseur conserve une totale liberté dans l’utilisation ou non des critères extra-financiers dans le choix de leurs placements. Toutefois, cette obligation de reporting a conduit les entreprises à engager un processus destiné à intégrer diverses préoccupations (sociale, environnementale, éthique, de droits de l’homme) dans leurs activités et leur stratégie de base.
La conférence des NU « Rio+20 » reconnaît l’importance de la communication par les entreprises d’informations sur l’impact environnemental de leurs activités. Cette conférence encourage le secteur industriel et les gouvernements à élaborer des modèles de meilleures pratiques et à faciliter les actions en vue de l’intégration des informations financières et non financières. Est également visé, l’objectif d’ici 2020 de mettre en place des mesures d’incitation par le marché et les politiques qui récompensent les entreprises investissant dans une utilisation efficace des ressources. Ces mesures permettront aux assureurs investisseurs d’accéder aux informations non financières des entreprises dans lesquelles ils souhaitent investir.