Village de la Justice : Pourquoi avoir choisi de vous "ultra spécialiser" ? S’agit-il du résultat d’une passion, ou d’une vraie stratégie de création de valeur ajoutée maximale pour les clients ?
Blanche de Granvilliers : "Comme beaucoup d’avocats me semble-t-il la spécialisation provient d’une attirance pour un domaine particulier. En ce qui me concerne, mes deux parents étaient avocats tandis qu’étant cavalière depuis l’enfance, il aurait été logique que je sois immédiatement attirée par une spécialisation dans les dossiers mettant en cause des chevaux.
Cependant pendant une dizaine d’années cela n’a pas été le cas. J’avais choisi de faire une thèse en droit civil et commercial où je souhaitais me spécialiser, préférant ne pas mélanger ma passion et mon travail, craignant de ne pas être tranquille le week-end sur les terrains de compétition, en étant interpellée pour répondre à des questions juridiques en dehors des heures de bureau. C’est ainsi que jusqu’en 2001, après ma thèse, je traitais des dossiers de banque et des dossiers commerciaux. Puis mon père a pris sa retraite, et c’est naturellement que les dossiers de droit dit "droit équin" sont arrivés sur mon bureau.
Rapidement je constatais que les dossiers en cette matière étaient bien plus agréables à traiter pour moi, que mon contact avec les clients était largement facilité par ma connaissance du langage, des enjeux et de tous les rouages des institutions courses ou structures équestres. Je prenais du plaisir à étudier les arrêts, à les commenter et mes résultats dans les procès s’en ressentaient contrairement aux dossiers en droit commercial où je n’avais aucune plus-value par rapport à des confrères plus pointus que moi.
Pour répondre précisément à votre question, le cheval est bien une passion mais c’est en réalisant la valeur ajoutée que je pouvais apporter à mes clients et aussi la facilité avec laquelle j’appréhendais les dossiers que j’ai fini par décider de traiter en grande partie des dossiers de droit équin."
V.J : Cette approche est-elle novatrice ? A quels besoins répondez-vous ?
B.d.G : "Il me semble que d’une part le droit est de plus en plus technique et que de plus en plus d’avocats se spécialisent, aussi c’est une démarche initiée il y a déjà quelques années qui se concrétise.
Au commencement du dossier, une expertise technique est souvent nécessaire pour appréhender les chances de succès. Les connaissances du milieu et des usages par l’avocat, même si elles ne remplacent pas l’expert, permettent à l’avocat d’avoir une première idée du dossier et de savoir orienter son client vers un technicien compétent pour la matière considérée. "
V.J : Permet-elle de mieux répondre aux attentes des clients ?
B.d.G "Le client est satisfait d’avoir un avocat avec lequel il peut parler librement et qui connait les rouages de son activité de loisir ou professionnelle. Régulièrement on me dit que je suis spécialiste des chevaux de courses mais seulement au galop et non des trotteurs, alors que les principes juridiques sont les mêmes, même s’il y a deux codes différents et cela parce que je fréquente moins les hippodromes du trot. Le client irait même vers une hyper spécialisation, avec une vision caricaturale de l’avocat qui pourrait être compétent pour les galopeurs et non pour les trotteurs !"
V.J : Beaucoup d’avocats de niche que nous avons recensés sont des femmes... Il y a une explication sans doute assez objective à cela : il y a de plus en plus de femmes avocates correspondant au niveau d’expérience habituel pour créer son cabinet... Pour autant y voyez-vous autre chose, une autre explication ?
B.d.G "En ma matière, on doit reconnaitre que le cheval est une affaire de femmes. Près de 80% des licenciés auprès de la Fédération Française d’équitation sont des femmes. Dans les promotions du Diplôme universitaire de Droit équin organisé par l’Institut du droit équin, 80% des stagiaires sont des femmes. Les femmes aiment les chevaux et il est logique que cela se retrouve dans les chiffres de ma profession et spécialité.
En ce qui me concerne (mais je ne me sens pas légitime à parler au nom des autres femmes) sachant qu’outre ma profession, je gère ma vie de famille, l’avantage de la spécialisation me permet de ne pas perdre de temps dans des recherches de jurisprudence et de doctrine dans des matières que je maitrise moins, où en outre je ne connaitrais pas les techniciens dont l’intervention est indispensable dans de nombreux dossiers."
Le commentaire de la Rédac’ du Village : S’inspirer - S’interroger - Optimiser...
Voici un parcours atypique ? Pas tant que ça au fond, puisqu’en Droit la passion n’est jamais très loin, particulièrement dans la profession d’avocat... Et c’est ce que nous inspire ce témoignage quant aux moteurs de la spécialisation.
Il nous interroge aussi sur la façon dont nous tenons "la lorgnette"... Et si les clients voyaient avant tout le sujet de spécialisation comme un sujet de proximité, l’expertise comme un sujet de pratique quotidienne et de langage ? Et cela pourrait-il devenir un piège, ou plutôt une prison sur un domaine du Droit ?
Enfin Blanche de Granvilliers-Lipskind nous montre comment elle estime gagner du temps aujourd’hui. La spécialisation, une autre façon de voir le sujet de l’équilibre vie pro - vie perso ?