La France dit oui à la culture du cannabis à usage médical.

Par Barbara Bertholet et Rachel Devidal, Avocates.

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Un récent décret n°2022-194 du 17 février 2022, publié au Journal Officiel du 18 février 2022, autorise, à compter du 1er mars 2022, la culture et la production de cannabis à usage médical en France, jusqu’à présent interdite malgré la mise en place de l’expérimentation relative au cannabis à usage thérapeutique depuis près de deux ans.

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Par ce décret, le gouvernement permet enfin la création d’une filière complète du cannabis médical en France, allant de la culture de la plante de cannabis au médicament à base de cannabis.

Pour ce faire, le décret rappelle certains principes et pose plusieurs règles.

1. Maintien du principe d’interdiction d’utilisation du cannabis à des fins industrielles et commerciales.

Si le texte modifie l’article R5132-86 du Code de la santé publique (CSP), il ne revient pas sur le principe d’interdiction d’utilisation du cannabis (plante et résine), de produits contenant du cannabis et de THC à des fins industrielles et commerciales.

Comme dans l’ancienne version de l’article R5132-86 du CSP, les opérations de production, fabrication, transport, importation, exportation, détention, offre, cession, acquisition et emploi de cannabis (plante et résine) demeurent par principe interdites.

Le texte maintient ensuite les 3 exceptions existantes, tout en modifiant leur contenu.

2. Reprise des exceptions relatives à l’utilisation de cannabis dépourvu de propriété stupéfiante et de cannabis utilisé à des fins de recherche.

Le décret reprend sans grand changements les deux exceptions historiques existantes, à savoir :
- l’usage de cannabis à des fins de recherche et de contrôle, sur décision du directeur général de l’ANSM, visée à l’article R5132-86 IV du CSP (i) et
- la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation de cannabis de variété Sativa L. et dépourvu de propriétés stupéfiantes à des fins industrielles et commerciales, autorisés par un arrêté des Ministres de l’agriculture, des douanes, de l’industrie et de la santé, visée au nouvel article R5132-86-1 du CSP (ii).

(i) S’agissant de l’utilisation de cannabis à des fins de contrôle et de recherche, soulignons que le texte ne fait plus référence à la notion de « fabrication de dérivés autorisés » figurant dans l’ancienne version de l’article R5132-86 du CSP. Cette suppression est salutaire, l’expression créait en effet de la confusion et n’était pas utilisée.

(ii) L’article 3 du décret ajoute un nouvel article au CSP, dédié à l’utilisation de cannabis dépourvu de propriétés stupéfiantes : le nouvel article R5132-86-1 reprend l’essentiel du contenu de l’ancien texte. Il vise les mêmes opérations, à savoir la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation de cannabis dépourvu de propriétés stupéfiantes et soumet également à un arrêté interministériel l’autorisation de ces opérations (à noter que la proposition du directeur général de l’ANSM n’est plus requise). Son application est conditionnée à la publication d’un arrêté interministériel.

A cet égard, rappelons qu’un arrêté pris en application du II alinéa 2 de l’article R5132-86 ancienne version du CSP a été publié au JO du 30 décembre 2021, puis partiellement suspendu par le Conseil d’Etat statuant en référé par une décision n° 460055 du 24 janvier 2022. Peut-on, sur la base de l’arrêté du 30 décembre 2021, faire application des dispositions du nouvel article R5132-86-1, sans attendre la publication du nouvel arrêté visé ? La question se pose.

3. La refonte de l’exception relative à l’utilisation de cannabis à des fins médicales.

Enfin, et surtout, le décret procède à une refonte complète de l’exception relative à l’utilisation de cannabis à des fins médicales.

Pour mémoire, depuis 2013 [1], les opérations de fabrication, le transport, l’importation et l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi étaient autorisées uniquement lorsqu’elles portaient sur des spécialités pharmaceutiques autorisées contenant du cannabis et/ou du THC. La culture et la production de cannabis n’étaient donc pas admises.

En 2020, l’expérimentation nationale relative à l’usage médical du cannabis a été mise en place en France [2]. L’ANSM a sélectionné des couples « fabricants / exploitants » habilités à produire et à distribuer les médicaments utilisés pour l’expérimentation en France.

Compte tenu de la règlementation applicable jusqu’à ce jour, aucun fabricant français n’a pu candidater pour fabriquer ces médicaments, la culture et la production de cannabis n’étant pas autorisées à cette fin en France. Les médicaments utilisés dans le cadre de cette expérimentation proviennent ainsi tous de fabricants étrangers.

Le gouvernement semble avoir entendu les critiques et pris conscience des limites et faiblesses d’une telle situation : le nouvel article R5132-86 du CSP étend le bénéfice de l’exception aux opérations de production, y compris de culture, de fabrication, de transport, d’importation, d’exportation, de détention, d’offre, de cession, d’acquisition et d’emploi portant directement sur le cannabis et/ou le THC à de fins médicales.

Ainsi, à compter du 1er mars 2022, les établissements pharmaceutiques et ceux autorisés par l’ANSM à fabriquer, importer et distribuer des substances actives pourront être autorisés à réaliser les opérations susmentionnées, quelle que soit la variété du cannabis et sa teneur en THC, lorsque ces opérations portent sur un médicament qui :
- contient du cannabis et
- fait l’objet d’une autorisation (AMM, autorisation d’accès précoce, autorisation d’accès compassionnel, enregistrement en tant que médicament homéopathique ou autorisation d’importation).

De plus, les établissements pharmaceutiques et ceux autorisés par l’ANSM à fabriquer, importer et distribuer des substances actives pourront être autorisés à réaliser ces mêmes opérations (à l’exception de l’offre et de l’emploi) lorsqu’elles portent sur un médicament qui :
- contient du cannabis,
- répond aux spécifications fixées par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur proposition de l’ANSM, et
- est fabriqué dans le respect des bonnes pratiques de fabrication (ou tout autre référentiel équivalent).

Cette formulation nous laisse penser que cet alinéa pourrait viser les médicaments qui seront commercialisés en France dans le cadre de l’expérimentation mise en place en 2020. L’exclusion expresse des opérations d’offre et d’emploi ne manque toutefois pas de nous surprendre, notamment si la cession reste admise. Une clarification à cet égard serait bienvenue.

Le nouvel article précise également que seuls peuvent détenir et cultiver à des fins de fabrication de médicaments des plants de cannabis les cultivateurs contractuellement engagés à fournir leur production aux établissements pharmaceutiques ou autorisés par l’ANSM à fabriquer, importer et distribuer des substances actives.

Enfin, les modalités techniques de détention, culture, importation, exportation, transport, et stockage de la plante de cannabis seront ultérieurement détaillées par arrêté des ministres chargés de l’agriculture, des douanes, de l’intérieur et de la santé dont le projet a été discuté en séance le 18 février 2022 par le « Comité Culture en France du cannabis à usage médical - Spécifications techniques de la chaine de production allant de la plante au médicament » constitué par l’ANSM le 17 février 2022.

La saga du cannabis est donc loin d’être terminée !

Barbara Bertholet, Avocate Associée
Rachel Devidal, Avocate
Bignon Lebray Avocats
https://www.bignonlebray.com/competence/sciences-de-la-vie/

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Notes de l'article:

[1Décret n° 2013-473 du 5 juin 2013 modifiant en ce qui concerne les spécialités pharmaceutiques les dispositions de l’article R5132-86 du Code de la santé publique relatives à l’interdiction d’opérations portant sur le cannabis ou ses dérivés.

[2Article 43 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

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