I. Contexte de l’affaire.
La société allemande Manufaktur Jörg Geiger GmbH avait obtenu en 2015 l’enregistrement de la marque verbale "PriSecco" pour des "cocktails, non alcoolisés" en classe 32.
En 2020, le Consorzio di Tutela della Denominazione di Origine Controllata "Prosecco" a demandé la nullité de cette marque, invoquant notamment une évocation de l’AOP "Prosecco" au sens de l’article 103(2)(b) du règlement (UE) n°1308/2013 portant organisation commune des marchés agricoles (dit règlement sur les vins).
Après une décision d’annulation en première instance, la Chambre de recours a confirmé la nullité de la marque, malgré une renonciation partielle du titulaire limitant les produits aux "cocktails non alcoolisés dont les ingrédients sont des jus de pomme et/ou de poire à base de variétés de fruits des prés".
II. Principaux apports de la décision.
La Chambre rappelle que la notion d’évocation au sens de l’article 103(2)(b) du règlement sur les vins, doit être interprétée largement.
Elle confirme notamment que :
- L’évocation peut exister même en l’absence de tout risque de confusion
- Il n’est pas nécessaire que les produits soient identiques ou similaires
- L’intention du titulaire de la marque contestée n’est pas requise, l’évocation étant appréciée objectivement.
Cette approche s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la CJUE, notamment l’arrêt "Champanillo" (C-783/19) qui avait étendu la protection des AOP à des services de restauration.
La Chambre rappelle que l’évocation s’apprécie au regard du consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif.
Elle doit être caractérisée par "un lien suffisamment direct et univoque" entre le signe contesté et l’AOP concerné.
En l’espèce, la Chambre retient :
- Une très forte similitude visuelle et phonétique entre "PriSecco" et "Prosecco"
- L’absence de différence conceptuelle pertinente
- Une proximité notable entre les vins et les cocktails sans alcool, notamment en termes de contexte de consommation et de distribution.
La Chambre en conclut qu’il existe
"un fort risque que, pour une partie substantielle des consommateurs européens, lorsqu’ils sont confrontés au signe "PriSecco" pour les cocktails non alcoolisés en cause, l’image qui leur vient directement à l’esprit soit celle du produit protégé par l’AOP "Prosecco".
III. Portée de la décision.
Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel renforçant la protection des AOP viticoles au niveau européen.
La protection offerte à ces AOP est en effet particulièrement étendue par rapport aux marques traditionnelles.
Cette décision rappelle l’importance cruciale pour les entreprises de prendre en compte la protection des AOP viticoles dans leur stratégie globale de propriété intellectuelle, même lorsqu’elles opèrent dans des secteurs a priori éloignés des produits bénéficiant de ces appellations.