Clarification actée sur la responsabilité pour faute présumée du garagiste. Par Jean Michel Haziza, Docteur en Droit.

Clarification actée sur la responsabilité pour faute présumée du garagiste.

Par Jean Michel Haziza, Docteur en Droit.

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La Cour de cassation renforce la responsabilité contractuelle du garagiste, établissant une présomption de faute en cas de dysfonctionnements après son intervention. Les incertitudes sur l'origine des pannes ne suffisent pas à le décharger de sa responsabilité, rendant celle-ci quasiment irréfragable, sauf preuve de force majeure.
Description rédigée par l'IA du Village

Selon la Cour de cassation le 16 octobre 2024, Il résulte des articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1315, devenu 1353, du Code civil que, si la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées n’est engagée qu’en cas de faute, dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l’existence d’une faute et celle d’un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées. Ni l’incertitude sur l’origine d’une panne ni la difficulté à déceler cette origine ne suffisent à écarter les présomptions pesant sur le garagiste. Dans cet arrêt la Cour de cassation vient actée la clarification qu’elle avait déjà entreprise dans ces décisions rendues le 11 mai 2022 (Civ.1ère 16 oct. 2024, Cour de cassation n° 23-11-712).

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Cet arrêt ne modifie pas en tant que tel le droit prétorien concernant la responsabilité contractuelle du garagiste. Il mérite une étude plus approfondie sur les raisons de sa motivation qui viennent actées une clarification jurisprudentielle de la Cour de cassation déjà opérée le 11 mai 2022 [1].

En l’espèce, une personne a acquis un véhicule automobile neuf devant servir à son usage professionnel de chauffeur de taxi. Il a confié l’entretien régulier de son véhicule à un garagiste. Mais ce véhicule a connu des dysfonctionnements répétés et persistants malgré des réparations effectuées. En raison de ces problèmes persistants, le propriétaire du véhicule a assigné le garagiste en responsabilité et indemnisation de ses préjudices matériels et moraux. La Cour d’appel de Paris a rejeté ces demandes au titre qu’il ne pouvait se prévaloir d’aucun préjudice tiré de ces défauts et que l’origine de la panne était fortuite excluant alors toute faute de la part du garagiste. Le pourvoi fait grief à l’arrêt d’avoir statué comme tel en fondant son pourvoi sur la jurisprudence récente de 2022 selon laquelle « la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées n’est engagée qu’en cas de faute, dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l’existence de la faute et celle du lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées ». Malgré « le caractère fortuit » de la panne relevée par la cour d’appel, la Cour de cassation a accueilli le moyen, pris en sa troisième branche. La Cour de cassation, reprend le même attendu de principe que la décision du 11 mai 2022 [2]. Elle casse l’arrêt de la cour d’appel en affirmant que « ni l’incertitude sur l’origine d’une panne ni la difficulté de déceler cette origine ne suffisent à écarter les présomptions pesant sur le garagiste [3].

Cette récente décision doit être lue en rapport avec les décisions rendues le 11 mai 2022, qui ont fait l’objet d’une « motivation enrichie [4] par la 1ère chambre civile avec « les honneurs des lettres des chambres [5]. Effectivement, cette décision suit la « forte portée juridique » des arrêts de 2022 puisqu’elle vient actée la clarification voulue par la Haute Cour sur la responsabilité contractuelle applicable au garagiste, qui doit se fonder sur une responsabilité pour faute. La responsabilité sera doublement présumée dès lors que des désordres seront survenus ou auront persisté après l’intervention du garagiste.

Cette décision vient confirmer que la responsabilité contractuelle du garagiste se fonde désormais sur une responsabilité pour faute présumée (I). Dans certaines circonstances, une double présomption de responsabilité pèse sur le garagiste dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention (II).

I. La confirmation d’une responsabilité pour faute présumée du garagiste.

L’article 1147 ancien du Code civil, au service de la motivation de la Cour de cassation, appliqué au garagiste, indique que si ce dernier n’exécute pas son obligation contractuelle, il peut être sanctionné sous le régime de la responsabilité contractuelle. En l’espèce, le garagiste et son client étaient juridiquement liés par un contrat d’entretien de véhicule. Mais ce dernier n’a pas rempli sa part du contrat, et le client était en droit de recevoir une indemnisation pour les dommages subis.

Or, au visa de cet ancien article, comme dans sa décision du 11 mai 2022, la cour rappelle le régime applicable en cas d’inexécution contractuelle du garagiste. Encore une fois, elle ne précise pas dans son attendu de principe la nature de l’obligation inexécutée du garagiste aux titres des prestations qui lui sont confiées. Ainsi, la Haute Cour continue, dans cet arrêt, de se refuser à recourir à l’obligation de résultat pour justifier les raisons de l’engagement de responsabilité contractuelle du garagiste.

La Haute Cour utilise, par l’implicite, la motivation enrichie qu’elle avait développée au Considérant 6 de l’arrêt rendu le 11 mai 2022, n° 20-19.732. A cette date, elle avait clarifié la nature de l’obligation incombant au garagiste en se référant à sa jurisprudence antérieure sur la question. Il avait été précédemment mis à la charge du garagiste une obligation de résultat [6] ou une responsabilité de plein droit [7] et jugé que c’était l’obligation de résultat auquel le garagiste était tenu qui emportait à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage [8]. Par la suite, elle a considéré que « la référence à une telle obligation et un tel régime de responsabilité n’est pas justifiée dès lors qu’il a été admis que la responsabilité du garagiste pouvait être écartée, même si le résultat n’a pas été atteint, en prouvant qu’il n’a pas commis de faute » [9]. Face à ces inconstances, la Cour de cassation précisait qu’une clarification sur sa motivation était nécessaire concernant la nature de l’obligation qui incombait sur le garagiste. Dans la continuité de ce qui avait été annoncé en 2022, la motivation de la 1ère chambre civile utilisée dans cette décision, pour mettre en jeu la responsabilité contractuelle du garagiste, ne repose plus sur l’obligation de résultat ou sur une responsabilité de plein droit, mais bel et bien sur une responsabilité pour faute [10].

L’article 1231-1 reprenant à pratiquement à l’identique les dispositions de l’article 1147 du Code civil, visa de la présente décision, organise la responsabilité contractuelle. D’abord, « la spécificité du fait générateur de la responsabilité contractuelle » [11] du garagiste reposerait sur l’inexécution d’une obligation contractuelle. Mais pour autant est-ce réellement une responsabilité pour faute ? La faute contractuelle repose toujours sur la différence entre deux catégories d’obligations : obligations de moyens ou de résultat, ayant des incidences différentes sur le lien de causalité. Or, par ses décisions de 2022 et par la présente décision, la Haute Cour n’a pas apprécié l’inexécution contractuelle du garagiste en fonction de la nature de son obligation. Dans ces arrêts, les juges de la Cour de cassation considèrent, à la lecture de l’article 1147 ancien du Code civil, que ce texte prévoit expressément la condamnation à des dommages et intérêts en cas d’inexécution de l’obligation contractuelle du garagiste, sans autres précisions, en déduisant que la faute est présumée. En s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, le 16 octobre 2024, la Cour de cassation présume la faute du garagiste à partir des dommages et intérêts qu’il a causé à son client. L’existence de la faute présumée du garagiste repose sur les préjudices matériels et moraux causés à son client, entraînant des dommages et intérêts. La faute contractuelle du garagiste se déduit ici de l’absence de résultat matérialisée par des dysfonctionnements persistants. Ainsi, l’existence d’une inexécution, c’est-à-dire d’une faute contractuelle, imputable au garagiste est présumée, de même que le rapport de causalité avec le dommage [12].

La Haute Cour vient donc confirmer son opération de clarification sur la disparition de la nature de l’obligation du garagiste dans sa motivation, en laissant le soin à la doctrine d’en définir les limites. Il était habituellement admis qu’il incombait au garagiste « une obligation de résultat atténuée » [13] car ce dernier pouvait s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve qu’il n’avait pas commis de faute. Il n’appartenait pas au client de démontrer que le garagiste avait commis une faute, mais à ce dernier de démontrer qu’il n’en avait pas commis. Or, dans la présente décision, la Cour de cassation fonde le régime de la responsabilité contractuelle du garagiste sur la faute contractuelle, donc sur la faute présumée de ce dernier, qui n’a plus qu’une seule possibilité pour échapper à sa responsabilité : soulever la cause étrangère par la force majeure, le fait de la victime, ou le fait d’un tiers à partir de l’article 1147 du Code civil. Mais aujourd’hui, l’article 1231-1 du Code civil ne prévoit qu’une possibilité d’échapper à la responsabilité, celle de la force majeure. Ainsi, on peut admettre qu’il repose sur le garagiste désormais une obligation de résultat renforcée, à la limite d’une obligation de garantie [14], car il n’a plus beaucoup de possibilités pour lui de se dégager de sa responsabilité, s’il ne parvient pas au résultat demandé par le client, et, comme l’illustre le présent arrêt, si des dysfonctionnements persistent après son intervention.

II. Une double présomption de responsabilité pesant sur le garagiste en cas de désordres après son intervention.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel et a décidé d’examiner in concreto les prétentions du demandeur au pourvoi. Alors que la cour d’appel n’a pas reconnu l’existence d’« une faute particulière imputable avec certitude » au garagiste, la Cour de cassation a considéré que, même s’il existe des incertitudes sur le dommage à l’origine de la faute du garagiste, cela ne suffit pas à écarter les présomptions de faute et du lien de causalité pesant sur ce dernier. La Cour de cassation a donc refusé de reconnaître une cause étrangère à l’origine de la panne du véhicule, en rejetant le caractère fortuit de cette dernière.

La Haute Cour, dans cet arrêt, est venue préciser une illustration « de désordres » engendrant la responsabilité doublement présumée du garagiste. Les désordres survenus ou persistants après une intervention entraînent automatiquement la présomption de l’existence de la faute du garagiste et la présomption d’un lien causal entre la faute et ces désordres. Ainsi, « l’obligation de résultat » n’emporte plus « à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la prestation fournie et le dommage invoqué » [15], mais « dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l’existence d’une faute et celle d’un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées » [16].

Effectivement, contrairement à son arrêt de 2022, la Cour de cassation, pour confirmer sa position sur l’application d’une responsabilité présumée du garagiste, a jugé utile de préciser que les incertitudes entourant l’origine d’une panne persistante sont des désordres ne pouvant « écarter les présomptions pesant sur le garagiste » [17]. Dans son considérant 11, elle étudie, cumulativement, d’une part les incertitudes liées à l’origine du dommage, et d’autre part les incertitudes pour déceler ce dommage afin de justifier les incertitudes entourant la panne du véhicule.
L’œuvre de précision opérée par la Haute Cour sur les circonstances de désordres liés à la panne vient clarifier l’application d’une double présomption de responsabilité pesant sur le garagiste. La cour d’appel a pourtant, dans sa motivation, appliquer la cause étrangère écartant toute responsabilité du garagiste, sur le fondement de l’article 1147 ancien du Code civil. Elle met en lumière la force majeure, c’est-à-dire une « panne fortuite [18] et « ce caractère fortuit [19] exclut toute faute de la part du garagiste ».

Or, la Cour de cassation a considéré que les incertitudes liées à l’origine de la panne ne peuvent être considérés comme fortuits, ce qui est un raisonnement assez sévère envers le garagiste. En n’accueillant pas la cause étrangère, la Cour de cassation sous-entendrait que le garagiste, en tant que professionnel automobile, disposerait d’une obligation de résultat due à sa propre fonction, ce qui cantonne considérablement le domaine d’application de la cause étrangère pour faire disparaître la double présomption. Effectivement, cette obligation de résultat du garagiste est la résultante des dispositions de l’article 1315 et 1147 du Code civil. Aux termes de ces dispositions, le garagiste devra toujours avoir exécuté les réparations demandées sur le véhicule confié. Cette position jurisprudentielle a déjà été critiquée, tout d’abord, parce que ces prétendues présomptions de faute et présomption de causalité sont « pratiquement irréfragables » [20] puisqu’elles ne cèdent que devant la preuve d’une cause étrangère, au jour de la décision, mais aujourd’hui que devant la preuve d’une force majeure. La force majeure est encore plus difficile à rapporter depuis 2006, depuis la disparition de la prise en compte par la jurisprudence du caractère de l’extériorité de l’évènement échappant au contrôle du débiteur [21].

Ainsi, au regard de l’article 1315 devenu 1353 du Code civil, visa au service de la motivation de la Haute Cour, il appartient au garagiste, dès lors qu’il est avéré que le véhicule a fait l’objet de désordres sur une panne persistante après son intervention, de prouver que la persistance de la panne ne provient pas d’un manquement à son obligation de résultat, pesant par principe sur lui. Mais l’application de cet article est en réalité une chimère car la responsabilité pour faute du garagiste est dorénavant doublement présumée en cas de panne, malgré les incertitudes qui entourent les dysfonctionnements persistants de cette panne. Cela rend la présomption de responsabilité quasi-irréfragable pesant sur le garagiste. Cela rend presque impossible pour lui la possibilité de se libérer de cette double présomption, faisant ainsi pesé sur lui une sorte d’obligation de garantie de parvenir au résultat de son intervention.

Jean Michel Haziza, Docteur en droit privé et sciences, ATER, ISCJ, Université de bordeaux

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Notes de l'article:

[1P. Jourdain, « Responsabilité du garagiste : la clarification de la Cour de cassation », RTD Civ. 2022 p.631 ; Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-19.732, FS-P, D. 2022. 949 ; Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-18.867, FS-P, JCP 2022, n° 637, obs. P. Oudot.

[2Cass. civ. 1, 11-05-2022, n° 20-18.867, FS-B, Considérant 3 ; Cass. Civ. 1, 16-10-2024, n°23-11.712, Considérant 8.

[3Cass. Civ. 1, 16-10-2024, n° 23-11.712, Considérant 11.

[4Claire-Anne Michel, [Brèves] Clarification sur la responsabilité du garagiste, Lexbase Droit privé, mai 2022, n°906.

[5Ibid.

[6Cass. civ. 1, 2-02- 1994, n° 91-18.764, publié au bulletin N° Lexbase : A5979AHW.

[7Cass. civ. 1, 31-10- 2012, n° 11-24.324, F-P+B+I N° Lexbase : A3171IWD.

[8Cass. civ. 1, 17-02-2016, n° 15-14.012, F-D N° Lexbase : A4737PZH.

[9Ibid.

[10Civ. 1re, 11-05- 2022, préc., Considérant 6.

[11Yvaine Buffelan-Lanore, Virginie Larribau-Terneyre, Droit civil Les obligations, 17e éd., 2021, Sirey, p. 1022, n° 2948.

[12Cass. Civ.1, 16-02-1988, Bull. civ. I, n° 42.

[13Denis Voinot, Automobile, Rep. Com., Dalloz, oct. 2004, actu. Avril 2023, n° 274.

[14V. B. Gross, La notion d’obligation de garantie dans le droit des contrats, thèse Nancy, éd. 1964.

[15Cass. civ. 1, 2-02- 1994, n° 91-18.764, publié au bulletin N° Lexbase : A5979AHW.

[16Cass. Civ. 1, 16-10-2024, n° 23-11.712, Considérant 9.

[17Cass. Civ. 1, 16-10-2024, n° 23-11.712, Considérant 11.

[18Cass. Civ. 1, 16-10-2024, n° 23-11.712, Considérant 8.

[19Cass. Civ. 1, 16-10-2024, n° 23-11.712, Considérant 8.

[20Yvaine Buffelan-Lanore, Virginie Larribau-Terneyre, Droit civil Les obligations, op. cit., 1042, n° 3022.

[21Art. 1218 C. Civ.,Ass. plén., 14 avril 2006, deux arrêts, n° 02-11.168, M. Philippe Mittenaere c/ Mme Micheline Lucas, épouse Pacholczyk, P (N° Lexbase : A2034DPZ) et n° 04-18.902, M. Stéphane Brugiroux c/ Régie autonome des transports parisiens (RATP).

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