La saga « interdépendance des contrats » a été inaugurée par la Chambre mixte de la Cour de cassation.
En effet, c’est en 2013 que la chambre mixte de la Cour de cassation a jugé dans deux arrêts du 17 mai 2013 que les contrats concomitants successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants [1], précisant en outre que les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance sont réputées non écrites [2].
Toutefois, la question de la sanction n’était pas définitivement tranchée : si l’un des contrats a été résilié, quel est le sort des autres contrats faisant partie du même ensemble contractuel ? Résiliation ? Caducité ?
Par deux arrêts rendus, le 12 juillet 2017, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que « lorsque des contrats sont interdépendants, la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute » [3].
Avec ces deux arrêts, la Cour de cassation tranche définitivement la question de la sanction. En effet, la Cour régulatrice a jugé que la résiliation de l’un des contrats entraîne la caducité de l’autre (I). Elle a ajouté une nouvelle responsabilité celle du cocontractant à l’origine de la caducité (II).
I. La caducité
S’agissant de la sanction, il n’y avait pas de jurisprudence harmonisée en la matière.
En effet, certaines juridictions de fond jugeaient que dans les contrats interdépendants, la résiliation de l’un entraînait celle du second tandis que d’autres retenaient que la résiliation de l’un entraînait la caducité du second.
Il est revenu donc à la Chambre commerciale de sonner le glas de la divergence des jurisprudences.
Avec ces deux arrêts, la Cour de cassation pose définitivement comme sanction la caducité dès lors que les contrats s’insèrent dans un ensemble contractuel et sont indivisibles.
Dans la première espèce (pourvoi n° 15-23.552, arrêt de cassation) qui a été soumise à la Cour de cassation, il n’était pas question de contrat de location financière mais d’un contrat de location portant sur du matériel de surveillance électronique.
Les faits de l’espèce se résument comme suit :
La société Baur a conclu un contrat de prestation de surveillance électronique avec la société Diffus’ Est, qui a fourni et installé le matériel nécessaire, d’une durée de quarante-huit mois renouvelable.
La société Baur a souscrit un contrat de location portant sur le même matériel auprès de la société Grenke location, d’une durée identique, moyennant le paiement d’une redevance mensuelle. Avant l’échéance du terme des contrats, la société Baur a obtenu, en accord avec le bailleur, la résiliation du contrat de location, en s’engageant à payer les échéances à échoir.
Estimant qu’en l’absence de résiliation, le contrat de prestation de services avait été reconduit au terme de la période initiale, la société Diffus’Est a vainement mis en demeure la société Baur d’accepter l’installation d’un nouveau matériel ou de payer l’indemnité contractuelle de résiliation anticipée, avant de l’assigner en paiement de cette indemnité.
Par arrêt du 8 avril 2015, la cour d’appel de Nancy a jugé que la résiliation anticipée du contrat de location avait nécessairement provoqué la résiliation du contrat de prestation de services.
Elle a en conséquence condamné la société Baur au paiement de l’indemnité prévue au contrat de prestation de services.
Après avoir approuvé les juges du fond qui ont considéré que les deux contrats appartenaient à un ensemble contractuel et étaient indivisibles (location et prestation de services), la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel sur la question de la sanction (pourvoi n° 15-23.552).
Par un attendu très clair, la Cour régulatrice a tranché la question de la sanction en affirmant que « lorsque des contrats sont interdépendants, la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres ».
Quant au second (qui est un arrêt de confirmation), son attendu est rédigé dans des termes proches : « Les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants et […] la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres,… » (pourvoi n° 15-27.703).
On retiendra tout simplement que la caducité s’applique à tous les contrats interdépendants et indivisibles peu important qu’il y ait location financière ou non.
La sanction de la caducité ne surprend pas. Le principe de la caducité a été affirmé avec la précision que l’anéantissement du contrat principal est un préalable nécessaire à la caducité du contrat de location financière [4]
Il en résulte que la caducité était une sanction d’origine prétorienne. En effet, aucune disposition du titre III du livre III de l’ancien Code civil ne l’envisageait ainsi. Les rédacteurs du Code civil de 1804 avaient prévu la nullité, l’exécution forcée, la résolution ou encore l’allocation de dommages et intérêts.
C’est avec l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats que la caducité a été consacrée par le législateur. Cette réforme a introduit un nouvel article 1186 du Code civil qui a pris notamment en compte la jurisprudence relative à l’anéantissement en chaîne des contrats indivisibles et aux termes duquel lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie [5].
II. La responsabilité du cocontractant à l’origine de la caducité
L’innovation de l’arrêt de la Chambre commerciale réside dans le fait qu’il a érigé une nouvelle responsabilité : celle de celui ou de celle à l’origine de la caducité.
C’est donc, par une construction prétorienne que la Cour de cassation a envisagé la responsabilité du cocontractant à l’origine de la caducité.
Elle l’a affirmé clairement dans deux attendus identiques que : « la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute » [6].
Pour ce faire, la Cour de cassation a précisé que la partie à l’origine de l’anéantissement doit avoir commis une faute.
La notion de faute se conçoit aisément dans les contrats interdépendants et indivisibles.
Il y a faute dans un contrat de location de matériel lorsque le bailleur met à la disposition du locataire un matériel défectueux et qu’il se refuse à le réparer ou à le remplacer [7].
Le locataire lésé peut, en conséquence, demander la résiliation du contrat de location de matériel.
Dans ces conditions, la résiliation du contrat de location de matériel entraînerait la caducité du contrat de location financière ou du contrat de prestation de services. Cette situation pourrait causer un préjudice financier au contractant au titre de ce second contrat (non-perception de redevances). C’est ce qui ressort des deux arrêts du 12 juillet 2017.
Cette solution a l’avantage de mettre à la disposition de la victime de la caducité (la banque ou le prestataire de services), un responsable (bailleur) contre lequel il peut se retourner sous réserve de prouver la faute de ce dernier.
Si cette solution purement prétorienne de la Cour de cassation doit être approuvée sous l’empire de l’ancien Code civil, elle suscite une interrogation quant à son application depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016.
En effet, le nouvel article 1187 du Code civil traite du régime de la caducité. Il dispose que « la caducité met fin au contrat. Elle peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ».
L’article 1187 du Code civil issu de la réforme du 10 février 2016 est donc muet sur la question de la responsabilité. Toutefois, il prévoit que la sanction de la caducité est la restitution du matériel.
L’arrêt de la Chambre commerciale suscite des interrogations à l’aune de la réforme du droit des contrats.
Avec l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, de l’ordonnance du 10 février 2016, le juge ne se trouverait-il pas priver de son pouvoir créateur ? Autrement dit l’article 1187 du Code civil ne mettrait-il pas un coup d’arrêt à la jurisprudence que la Chambre commerciale vient d’inaugurer : la responsabilité du contractant à l’origine de la caducité ?
Ou malgré les modifications apportées par l’article 1187 du Code civil, lesquelles sont d’autant plus nécessaires que l’ordonnance du 10 février 2016 en codifiant la caducité, la Cour de cassation va-t-elle persister dans sa jurisprudence tout en prenant ostensiblement acte de l’intervention législative ?
Gageons que les juges conserveront leur pouvoir créateur afin de remédier certaines situations pour lesquelles le législateur n’a prévu aucune solution.
Discussion en cours :
Les arrêts du 12 juillet 2017 fondent la responsabilité du cocontractant sur l’existence d’une faute de sa part. Il ne s’agit donc pas d’une responsabilité résultant du seul fait de la caducité. En d’autres termes, ce n’est pas la caducité qui justifie la responsabilité. Ainsi la caducité des autres contrats, elle, comme conséquence, de la résiliation de l’un des contrats et la responsabilité du cocontractant qui en serait à l’origine reposent sur deux fondements distincts. L’une sur la résiliation et de l’autre sur la faute.
Il en résulte le régime de la caducité prévu à l’article 1187 nouveau du code civil ne remet pas nécessairement en cause la question de la responsabilité fondée sur la faute du contractant.
Les deux solutions sont, nous semble-t-il, complémentaires. Ainsi, en cas de résiliation due, non à la faute d’un contractant, mais par exemple à la survenance d’un cas de force majeure, la caducité des autres contrats sera bien évidemment prononcée. Et pour régler les suites de cette caducité, on fera recours à l’article 1187 du Code civil. Mais si la résiliation est due à la faute d’un contractant, en plus de la mise en oeuvre du régime de la caducité, la responsabilité du cocontractant fautif sera également recherchée conformément à la jurisprudence de la chambre commerciale du 12 juillet 2017. Il n’y a pas donc, à notre avis, de conflit entre les arrêts du 12 juillet 2017 et l’article 1187 du code civil.
Espérons que la Haute juridiction intervienne pour plus de précision.