Contrats de travail saisonniers successifs : un risque important de requalification en CDI.

Par Maxime Taillanter, Avocat.

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Explorer : # requalification en cdi # contrats saisonniers # travail agricole

Cass. soc., 18 décembre 2019, n° 18-21.870.
La Cour de cassation vient de rappeler que la conclusion de CDD saisonniers doit nécessairement engendrer l’affectation du salarié à l’accomplissement de tâches à caractère strictement saisonnier et non durables.
Or, tel ne peut être le cas d’un salarié ayant travaillé de manière continue, à l’exception de 17 jours, pendant près de dix mois dans une entreprise.

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Dans les faits, un salarié a été engagé par un viticulteur en qualité d’ouvrier agricole puis de tractoriste, suivant plusieurs contrats de travail à durée déterminée dits « saisonniers ».

Lesdits contrats avaient été conclus les 10 juillet, 7 août, 5 décembre 2012 et 8 avril 2013.

La relation de travail entre les parties avait finalement pris fin le 6 mai 2013.

Entre le 10 juillet 2012 et le 6 mai 2013, le salarié avait travaillé auprès du viticulteur de manière continue, à l’exception de 17 jours entre le 21 juillet et le 6 août 2012 et de 4 jours du 1er au 4 décembre 2012.

Le 2 juin 2014, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale afin notamment de solliciter la requalification des contrats saisonniers successifs en un contrat de travail à durée indéterminée.

Le Conseil de prud’hommes de Nîmes avait fait droit à ses demandes et l’employeur avait interjeté appel de cette décision.

Devant la Cour d’appel de Nîmes, l’avocat de l’employeur avait fait valoir que les contrats successifs portaient sur des tâches bien définies et différentes les unes des autres, le caractère saisonnier desdites tâches ne faisant aucun doute selon l’appelant.

Le premier contrat de travail avait effectivement été conclu le 10 juillet 2012 pour une période de « minimum 5 jours » portant sur un travail de « préparation de cave ».

Les contrats de travail ultérieurs avaient été conclus pour des tâches de « préparation aux vendanges », de « broyage et désherbage dans les vignes », ainsi que pour une « campagne de travaux saisonniers ».

Ainsi, quand bien même le salarié avait été amené à travailler de manière quasi-continue chez le viticulteur, l’idée de l’employeur était de démontrer que les contrats successifs portaient tous sur un travail différent et par nature saisonnier, dans un contexte viticole propice à la saisonnalité.

Il est vrai que l’article L1242-2 3° du code du travail définit les emplois saisonniers comme l’emploi « dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs ».

Il est également vrai que la notion d’emploi saisonnier concerne particulièrement le secteur de l’agriculture. [1]

Dans un arrêt du 20 mars 2018, la Cour d’appel de Nîmes avait validé le raisonnement de l’employeur viticulteur.

Le juge d’appel avait notamment retenu que les taches indiquées dans les contrats saisonniers successifs étaient par nature « compatibles avec le cycle cultural et la durée des périodes travaillées ».

Il était également indiqué que le salarié n’avait pas démontré avoir été amené à accomplir des « tâches normales et permanentes de l’entreprise », quant bien même ce dernier avait été employé de manière quasi-continue par le viticulteur du 10 juillet 2012 au 6 mai 2013.

Le salarié décidait par la suite de former un pourvoi en cassation.

Saisie de ce pourvoi, la Chambre sociale devait déterminer s’il était possible pour un employeur d’employer de manière quasi-ininterrompue pendant 10 mois un salarié au titre de plusieurs CDD saisonniers portant sur des taches à chaque fois différentes.

Par un arrêt du 18 décembre 2019, la Chambre sociale a censuré la motivation adoptée par la Cour d’appel de Nîmes.

Au visa des articles L1242-2 et L1242-12 du code du travail, la Cour de cassation précise que le travail quasi-continu du salarié pendant près de dix mois auprès d’un même employeur implique nécessairement l’accomplissement de « tâches normales et permanentes de l’entreprise ».

Selon la Chambre sociale, l’emploi quasi-continu de ce salarié permettait de démontrer qu’il n’avait pas été affecté à l’accomplissement de tâches à caractère strictement saisonnier.

Même si l’arrêt est « inédit », il s’agit là à notre sens d’un durcissement d’une jurisprudence déjà bien établie en la matière.

Certes, la Cour de cassation avait jugé que la faculté pour l’employeur de conclure des contrats à durée déterminée successifs avec le même salarié afin de pourvoir un emploi saisonnier n’est assortie d’aucune limite au-delà de laquelle s’instaurerait entre les parties une relation à durée indéterminée. [2]

Mais cette jurisprudence propre aux contrats saisonniers ne doit pas éclipser le principe général selon lequel un CDD saisonnier ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un « emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ». [3]

Or, la jurisprudence avait déjà sanctionné le recours pluriannuel à des emplois saisonniers pendant toute la période d’ouverture d’une entreprise partiellement active sur l’ensemble de l’année civile. [4]

Ainsi, en 1991, la Cour de cassation avait déjà décidé de requalifier en CDI un ensemble de contrats de travail qui s’étaient succédé pendant plus de quatre ans sans aucune interruption, si ce n’est pendant les périodes de congés. [5]

Tel fut également le cas en 2014 pour un salarié ayant travaillé dans le cadre de 21 contrats saisonniers successifs au sein d’hôtels ouverts uniquement à certaines périodes de l’année. [6]

En l’espèce, à en croire l’arrêt d’appel, le pic d’activité de cette entreprise viticole était visiblement compris entre les mois de juillet N-1 à mai N, et le salarié avait été employé de manière continue sur cette période.

A la différence des autres cas de jurisprudence étudiés, l’employeur n’avait pas recruté le salarié années après années sur une même période.

Dans cette affaire, la Cour de cassation a sans doute considéré que l’affectation du salarié à l’ensemble des « postes de travail » de cette entreprise, de manière successive et sur une seule période, ne pouvait que signifier que ce salarié avait accompli l’ensemble des taches habituelles de l’entreprise.

Ainsi, de juillet 2012 à mai 2013, le salarié avait commencé par préparer la cave, pour préparer ensuite les vendanges. Une fois les vendanges terminées, ce dernier avait été affecté à une tâche de broyage et de désherbage.

Il s’agissait là manifestement d’un cycle de travail complet destiné à un emploi permanent de l’entreprise, de sorte que cette décision nous apparaît logique.

Maxime Taillanter
Avocat au Barreau de Lyon
Cabinet TAILLANTER AVOCAT

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Notes de l'article:

[1Circ. DRT 14 du 29 août 1992.

[2Cass. soc,. 16 novembre 2004, n° 02-46.777 F-PB : RJS 2/05 n° 130 ; Cass. soc., 26 octobre 2011, n° 09-43.205 FS-PB : RJS 1/12 n° 12.

[3Article L.1242-1 du Code du travail.

[4Cass. soc., 13 décembre 1978, n° 77-41.457 P ; Cass. soc., 5 juin 1986, n° 83-45.151 P ; Cass. soc., 13-décembre 1995, n° 92-42.713 D : RJS 2/96 n° 101 ; Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 11-14.232 F-D.

[5Cass. soc., 10 avril 1991, Dr. Trav. 1991, ; n° 5, p. 16.

[6Cass. soc. 18-1-2018 n° 16-23.836 FS-D, Sté Hôtel du Cap Eden Roc c/ F.

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