Clause de déplacement occasionnel dans le contrat de travail : cadre juridique et portée en droit social.

Par Noémie Le Bouard, Avocat.

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Explorer : # clause de déplacement # droit du travail # contrat de travail

La clause de déplacement occasionnel permet à l’employeur d’exiger du salarié des missions temporaires hors de son lieu de travail habituel. Contrairement à la clause de mobilité, elle ne vise pas à modifier durablement la zone géographique d’affectation, mais seulement à organiser des déplacements ponctuels pour satisfaire les besoins de l’entreprise.

Dans un arrêt rendu le 29 janvier 2025 (n°23-19.263), la Cour de cassation a réaffirmé la validité d’une telle stipulation, même lorsque le contrat se poursuit sous une forme différente (par exemple, si un contrat de chantier évolue en CDI). Cette décision éclaire les conditions de mise en œuvre et les conséquences du refus du salarié, tout en rappelant la distinction fondamentale avec la clause de mobilité.

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I. Le contexte : un contrat de chantier devenu CDI.

A. L’enjeu de la clause au-delà de la fin du chantier.

Dans l’affaire jugée, un charpentier avait été engagé par un contrat à durée indéterminée de chantier. Ce document contenait une clause prévoyant que le salarié accepterait «  tout déplacement entrant dans le cadre de ses fonctions  ». Lorsque le chantier visé par ce recrutement a pris fin, le contrat s’est prolongé en un CDI de droit commun, sans rupture ni signature d’un nouveau texte.

Quelques années plus tard, l’employeur sollicite l’intervention du salarié sur un chantier éloigné. Le salarié refuse, arguant que la clause a perdu tout effet une fois le chantier initial achevé. Estimant le refus injustifié, l’employeur le licencie pour faute grave. La cour d’appel, saisie par le salarié, conclut à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, en retenant que la clause ne restait pas applicable après la fin du chantier.

B. La position de la Cour de cassation.

La chambre sociale censure ce raisonnement  : elle souligne que la transformation d’un contrat de chantier en CDI ne porte pas atteinte aux autres stipulations, dès lors que le texte n’a pas été résilié. Elle s’appuie notamment sur l’article 1134 du Code civil (dans son ancienne rédaction), qui consacre la force obligatoire du contrat. La seule fin du chantier n’invalide donc pas la clause de déplacement occasionnel, laquelle demeure opposable si elle répond aux critères légaux.

II. Distinction entre clause de déplacement et clause de mobilité.

A. Une finalité et une mise en œuvre différentes.

La clause de mobilité autorise l’employeur à déplacer le lieu de travail de façon pérenne, à l’intérieur d’un périmètre géographique prédéfini. Elle implique une modification durable des conditions d’exécution du contrat. À l’inverse, la clause de déplacement occasionnel concerne des missions ponctuelles. L’affectation envisagée ne modifie pas le lieu de travail de base  : elle impose une mission temporaire, justifiée par l’intérêt de l’entreprise et cohérente avec les fonctions du salarié.

La jurisprudence souligne qu’en l’absence de restrictions géographiques précises, l’employeur ne peut recourir à cette clause pour une mutation définitive. Le déplacement occasionnel n’est légitime qu’à condition de respecter la nature temporaire annoncée.

B. Pourquoi recourir à une clause de déplacement occasionnel  ?

Ce mécanisme peut s’avérer avantageux lorsque l’activité du salarié implique une certaine mobilité, sans pour autant justifier une large clause de mobilité. Dans des secteurs comme le BTP, la maintenance ou le conseil, où la diversité des chantiers ou des sites impose des missions intermittentes, la clause de déplacement occasionnel offre une flexibilité contrôlée. Elle garantit que le salarié est conscient de son obligation de se rendre sur d’autres lieux de travail pour des besoins spécifiques.

III. Les critères de validité posés par la jurisprudence.

A. Le cadre général du déplacement occasionnel.

La Cour de cassation a dégagé quatre conditions majeures pour qualifier un déplacement d’«  occasionnel  », dispensant l’employeur de recueillir l’accord exprès du salarié  :

  • Concordance avec l’activité habituelle : le déplacement doit s’inscrire dans le champ des fonctions exercées par le salarié, comme l’a rappelé la Cour dans l’arrêt du 29 janvier 2025.
  • Intérêt de l’entreprise : la mission doit être motivée par un besoin objectif et temporaire, ne relevant pas d’une simple volonté unilatérale de modifier les conditions de travail de manière permanente.
  • Caractère strictement ponctuel : la mise en œuvre de la clause ne doit pas altérer durablement le lieu de travail principal, au risque de s’assimiler à une clause de mobilité déguisée.
  • Information préalable : l’employeur informe le salarié dans un délai raisonnable, en précisant la durée prévisible et les modalités logistiques du déplacement.

Lorsqu’une mission respecte ces points, la Cour juge qu’il s’agit d’une simple faculté pour l’employeur d’obtenir l’exécution d’une prestation conforme au contrat, et non d’une modification contractuelle exigible à l’accord du salarié.

B. Une évolution du contrat sans remise en cause de la clause.

Dans l’arrêt concerné, la cour d’appel avait refusé d’appliquer la clause, prétextant qu’elle visait un chantier terminé depuis plusieurs années. La Cour de cassation rétablit le principe selon lequel la fin du chantier n’entraîne pas la caducité automatique des autres stipulations, à l’instar de la jurisprudence relative aux contrats requalifiés (par exemple, de CDD en CDI). Cette continuité s’explique par la force obligatoire des conventions, consacrée par l’article 1134 du Code civil, désormais transposé dans le cadre des articles 1103 et 1104.

IV. Les conséquences du refus et la jurisprudence antérieure.

A. Un refus susceptible d’être fautif.

Si la clause de déplacement occasionnel est jugée valide et son application conforme aux conditions définies, le salarié refusant d’exécuter la mission peut commettre une faute justifiant un licenciement. Dans certaines affaires, la Cour de cassation a estimé que ce refus pouvait aller jusqu’à la faute grave, selon la gravité du préjudice causé à l’organisation du travail. Cependant, ce n’est pas automatique  : le juge prud’homal apprécie chaque situation, notamment la proportionnalité et la durée de la mission.

B. La nécessité d’un contrôle de proportionnalité.

La chambre sociale insiste régulièrement sur l’importance de l’intérêt légitime et du respect du caractère bref. Un déplacement devenu quasi permanent pourrait se muer en modification substantielle du lieu de travail, imposant l’accord du salarié. Le juge vérifie donc la réalité et la durée du déplacement. Si celui-ci s’avère atypique ou démesuré, l’employeur pourrait se voir reprocher d’avoir dépassé l’esprit de la clause. Dans l’arrêt du 29 janvier 2025, la Haute Juridiction souligne que la cour d’appel doit examiner si l’employeur a renseigné clairement le salarié, notamment sur la prise en charge des frais et la durée prévue.

V. Clause de déplacement : conditions pratiques de mise en œuvre.

A. L’importance de la prise en charge des frais.

Si l’employeur impose au salarié de se rendre sur un site éloigné, les frais de transport et d’hébergement relèvent souvent de la responsabilité de l’entreprise. Le respect de cet usage peut être prévu par la convention collective ou explicitement dans le contrat. L’article [1], relatif à l’exécution de bonne foi du contrat, conduit à considérer que le salarié ne doit pas supporter seul les coûts d’un déplacement imposé, sauf clause claire indiquant le contraire. L’employeur doit également informer le salarié des modalités de remboursement pour prévenir les contestations.

B. Exemple : un charpentier affecté sur un nouveau chantier.

Dans la décision de la Cour de cassation, le salarié refusait une affectation hors de son bassin d’emploi, évoquant l’obsolescence de la clause de déplacement et la fin du chantier initial. L’employeur affirmait que la poursuite du contrat en CDI maintenait cette stipulation, le salarié restant charpentier d’un secteur requérant une mobilité ponctuelle. La Cour a confirmé l’idée qu’un charpentier recruté sur chantier pouvait être appelé à se déplacer sur un autre site, pourvu que l’information précède le départ et que la mission ne devienne pas définitive, c’est-à-dire qu’elle n’excède pas la durée ou l’ampleur compatibles avec la clause d’occasionnalité.

VI. Avantages et risques pour les employeurs et les salariés.

A. Pour l’employeur : flexibilité maîtrisée.

La clause de déplacement occasionnel constitue un outil de flexibilité. Elle permet à l’employeur de mobiliser ses équipes en fonction des chantiers ou des besoins clients, sans recourir à une clause de mobilité plus large et potentiellement plus contraignante. Elle est adaptée à des secteurs comme le BTP, l’événementiel ou le conseil, où les missions temporaires peuvent survenir fréquemment.

B. Pour le salarié : protection contre l’abus.

Le salarié demeure protégé par le principe d’information préalable et l’obligation pour l’employeur de justifier la mission, tant sur l’intérêt de l’entreprise que sur la prise en charge des frais. Si l’employeur détourne la clause pour imposer un changement permanent du lieu de travail, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes et faire valoir que la clause est appliquée de manière abusive, méconnaissant l’intention originelle d’un simple déplacement occasionnel.

Conclusion : une clause à la fois utile et strictement encadrée.

La clause de déplacement occasionnel s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence admettant qu’une mission temporaire, en lien avec les fonctions du salarié et justifiée par l’intérêt de l’entreprise, ne constitue pas une modification unilatérale du contrat de travail.

Dans l’arrêt du 29 janvier 2025 [2], la Cour de cassation a statué que cette clause demeure valide et opposable, même si le contrat initial évolue, par exemple d’un chantier à un CDI de droit commun.

Toutefois, son application exige que le déplacement conserve un caractère occasionnel, qu’il soit notifié suffisamment tôt, et que le salarié connaisse la durée prévisible ainsi que les conditions de prise en charge des frais. En cas de refus du salarié, l’employeur peut sanctionner, jusqu’à un licenciement pour faute grave, sous contrôle du juge.

Cette approche, conforme aux dispositions du Code civil et du Code du travail, garantit un équilibre entre les impératifs de l’entreprise et la préservation des droits du salarié.

Noémie Le Bouard, Avocat
Barreau de Versailles
Le Bouard Avocats
https://www.lebouard-avocats.fr

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Notes de l'article:

[1L. 1121-1 du Code du travail

[2Cass. soc., 29 janv. 2025, n°23-19.263

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