En matière contractuelle, la bonne foi est hissée au rang de principe fondamental, au sens de l’article 1104 du Code civil. Principe essentiel du droit des contrats, revêtu de la qualification de disposition d’ordre public [1].
La bonne foi : principe général du droit des contrats.
Au titre de l’article 1104 précité du Code civil :
« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »
Aussi bien au moment de la formation du contrat de travail, les pourparlers, l’entretien et l’embauche, qu’au cours de son exécution ou, quelques fois, après sa rupture, la bonne foi s’impose aux parties. Au fond, il s’agit d’une règle de conduite excluant tout vice de consentement, au sens des articles 1130 et suivants du Code civil, ou manœuvre déloyale.
Sur ce fondement, il a été jugé que :
« si dans les relations collectives de travail une seule convention collective est applicable, laquelle est déterminée par l’activité principale de l’entreprise, dans les relations individuelles, le salarié, à défaut de se prévaloir de cette convention, peut demander l’application de la convention collective mentionnée dans le contrat de travail, même si ce n’est pas celle qui est applicable à l’entreprise » [2].
Dans le même ordre d’idées : « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » [3].
En tant qu’instrument contractuel, le contrat de travail doit être exécuté de manière qui ne serait pas maladroite, nuisible et attentatoire aux droits de l’une des parties [4].
Concrètement, employeur et salarié s’abstiennent de faire obstacle à l’exécution normale des obligations contractuelles, eu égard à un autre principe cardinal, la force obligatoire du contrat. Au terme duquel les parties « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » [5].
Dit autrement, en plus de la prohibition des comportements caractérisant la mauvaise foi, la jurisprudence exige des parties un devoir de coopération : « l’obligation de loyauté, de bonne foi et de sincérité s’imposait en matière contractuelle. » [6].
En clair, le contractant ne doit ni chercher à nuire à l’autre, encore moins adopter un comportement entaché de dol ou d’une intention déloyale.
En cela, la Haute assemblée, au regard des effets du principe de bonne foi, a élaboré, au fil de sa jurisprudence, un devoir de coopération réciproque. Ceci tend à faire peser sur les parties un comportement d’entraide.
La bonne foi du salarié.
« La loyauté a son petit côté d’obligation, de contrat à respecter. » André Mathieu
Rattachée à la bonne foi, étant sa déclinaison, la loyauté doit tout aussi être regardée comme règle d’ordre public.
À cet égard, aux termes des dispositions de l’article 1194 du Code civil :
« Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi ».
Aussi est-il nécessaire que l’obligation de loyauté soit mentionnée dans le contrat de travail, obligation d’ordre public, et s’appliquer à tout contrat conclu entre employeur et salarié, indépendamment de sa nature.
Dès lors, le salarié est tenu à une obligation générale de bonne foi et de discrétion, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise. Cette obligation regroupe notamment des informations à caractère confidentiel dont il pourrait avoir connaissance de par ses fonctions. Plus généralement, il s’agit de ne pas commettre de faits susceptibles de porter atteinte aux intérêts de l’entreprise.
En substance, socle à la fois éthique et moral, la bonne foi, l’obligation de loyauté découlant de l’article 1222-1 du Code du travail, s’appliquent au salarié.
Cela recouvre l’interdiction des agissements contraires à la morale et à l’éthique. En ce sens, la mauvaise foi a été retenue à l’encontre d’un salarié qui avait dissimulé à son employeur sa mise en examen en rapport avec ses activités professionnelles [7].
De même, cela concerne l’obligation de fidélité et de non-concurrence, selon les cas, et la présence d’une clause d’exclusivité : le salarié qui, sous contrat, avait créé une société directement concurrente à l’activité de l’employeur :
« Le salarié ayant, alors qu’il était au service de son employeur et sans l’en informer, créé une société dont l’activité était directement concurrente de la sienne, avait manqué à son obligation de loyauté, ce dont elle a pu déduire que ces faits étaient constitutifs d’une faute grave » [8].
S’y ajoute une obligation de confidentialité. Ici, la Jurisprudence retient la mauvaise foi du salarié ayant révélé les difficultés financières de l’entreprise. [9].
Par ailleurs, l’obligation de loyauté n’est pas rompue durant la suspension du contrat (congés payés, congé maternité, congé pour la création d’entreprise…) [10].
À ce titre, le salarié ne peut être contraint d’exécuter des tâches pour le compte de l’employeur : ce dernier doit mettre à disposition du salarié le matériel et les documents nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise durant son absence. [11].
Il importe de préciser que l’obligation de loyauté n’est pas absolue. Tel est le cas du salarié qui ne commet aucune faute en ne révélant pas sa qualité de travailleur handicapé, avant la notification de son licenciement :
« Les renseignements relatifs à l’état de santé du salarié ne peuvent être confiés qu’au médecin du travail ; que lorsque l’employeur procède au licenciement d’un salarié dont le handicap a été reconnu par la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel, il ne peut reprocher au salarié de n’avoir pas fourni d’information préalable sur son état de santé ou son handicap qu’il n’a pas à révéler ; d’où il résulte que n’ayant commis aucune faute en ne révélant pas sa qualité de travailleur handicapé avant la notification de son licenciement, la salariée ne pouvait se voir priver des droits qu’elle tenait de l’accord d’entreprise et de l’article L. 323-7 du Code du travail » [12].
La bonne foi de l’employeur.
Sur plusieurs aspects, l’employeur se doit d’exécuter le contrat de travail sous le prisme des droits essentiels du salarié.
Au fond, la bonne foi est indissociable des obligations de l’employeur :
« Il résulte de l’article L1222-1 du Code du travail que l’atteinte à la dignité de son salarié constitue pour l’employeur un manquement grave à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail » [13].
En outre, l’employeur est tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail et a donc le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi. [14].
Sur ce point, il est de jurisprudence constante que, en vertu des articles L1226-2-1 et L1226-12 du Code du travail :
« En cas de refus par le salarié d’un poste de reclassement, l’employeur est réputé avoir accompli cette obligation que s’il a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparables que possible à l’emploi précédemment occupé » [15].
Précisément, en matière de reclassement, l’employeur, tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, est soumis à l’obligation d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi. [16].
Dans le même ordre d’idées, il a été récemment jugé que, conformément aux articles L1226-10, et L1226-12, alinéa 3, du Code du travail et 1354 du Code civil :
« Lorsque l’employeur a proposé un emploi conforme aux dispositions précitées, l’obligation de recherche de reclassement est réputée satisfaite et il appartient au salarié de démontrer que cette proposition n’a pas été faite loyalement » [17].
Qui plus est, le principe de bonne foi est de rigueur dans le cadre de la mise en œuvre d’une clause du contrat de travail, a fortiori quand il s’agit de la clause de non-concurrence et de la clause de mobilité :
« La bonne foi contractuelle étant présumée, les juges n’ont pas à rechercher si la décision de l’employeur de faire jouer une clause de mobilité stipulée dans le contrat de travail est conforme à l’intérêt de l’entreprise ; qu’il incombe au salarié de démontrer que cette décision a en réalité été prise pour des raisons étrangères à cet intérêt, ou bien qu’elle a été mise en œuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle » [18].
Il suit de là que la mise à disposition des moyens nécessaires au bénéfice du salarié résulte de l’exécution loyale du contrat de travail. Partant, pour la Haute assemblée, caractérise un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail l’employeur qui met un salarié dans l’impossibilité de travailler en cessant de le faire bénéficier d’un avantage lié à sa fonction, consistant à le faire prendre depuis plus de 10 ans à son domicile par un véhicule de l’entreprise :
« L’employeur, prenant en compte la spécificité de son travail d’inventoriste en équipe et l’horaire exceptionnel de prise du travail, faisait prendre la salariée depuis plus de dix ans à son domicile par un véhicule de l’entreprise et, cessant de la faire bénéficier de cet avantage lié à sa fonction, l’avait mise dans l’impossibilité de travailler, ce qui caractérisait un manquement de l’employeur à l’exécution de bonne foi du contrat de travail » [19].
De plus, l’employeur n’avait pas exécuté de façon loyale le contrat de travail, en prenant à l’égard du salarié un engagement qu’il savait ne pouvoir tenir. Par suite,« la rupture intervenue à l’initiative de l’employeur était fautive, et ouvrait droit à réparation pour le salarié » [20].
S’agissant des conditions de travail, est contrainte à la bonne foi l’atteinte à la dignité du salarié. Telle atteinte à la dignité constitue, pour l’employeur, un manquement à ses obligations aux termes d’un arrêt de principe, du 7 février 2012, rendu par la Cour de cassation :
« Pour débouter la salariée de sa demande tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail, l’arrêt énonce que si l’employeur ne conteste pas avoir tenu à son égard, au cours d’un entretien le 7 juin 2007, des propos indélicats aux termes desquels il lui reprochait de dégager des odeurs nauséabondes en évoquant "une gangrène, une incontinence", ces faits ne justifient pas, à eux seuls, la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’atteinte à la dignité de son salarié constitue pour l’employeur un manquement grave à ses obligations, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés » [21].
Toutefois, « le refus par le salarié d’un changement de ses conditions de travail, s’il rend son licenciement, fondé sur une cause réelle et sérieuse, ne constitue pas à lui seul une faute grave » [22].
Toujours est-il qu’en cas d’une mutation rapide et sans explication imposée en dépit de la situation critique d’une salariée constitue une décision exclusive de toute bonne foi contractuelle [23], conduisant alors à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé [24].
Dans le même sens, il est établi que la clause de mobilité autorise l’employeur à muter le salarié dans le périmètre fixé par le contrat, celle-ci ne doit pas, en revanche, être mise en œuvre de mauvaise foi, aux fins d’isolement du salarié. Tel est le cas lorsque la décision de l’employeur est « essentiellement motivée par des problèmes relationnels » [25].
Autre attribut non des moindres de la bonne foi : les conditions de travail et les moyens y afférent. En effet, l’obligation de bonne foi implique une obligation de la part de l’employeur à une mise à disposition des moyens nécessaires [26].
La bonne foi durant l’arrêt de travail.
L’obligation de bonne foi, à la charge du salarié, prend fin, de principe, à la rupture du contrat de travail.
En cela, il a été jugé que :
« La Cour d’appel a constaté que la société constituée par le salarié avait été immatriculée pendant le cours du préavis, son exploitation n’avait débuté que postérieurement à la rupture de celui-ci, alors que le salarié n’était plus tenu d’aucune obligation envers son ancien employeur, en a exactement déduit qu’aucun manquement à l’obligation de loyauté n’était caractérisé ». [27].
Néanmoins, il y a lieu de souligner que la bonne foi n’est pourtant pas suspendue lors d’une absence pour maladie. [28].
La sanction de la mauvaise foi.
La sanction de la mauvaise foi est prononcée en vertu des dispositions de l’article 1240 du Code civil :
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
En conséquence, le contractant ayant agi de mauvaise foi peut être condamné à verser des dommages et intérêts [29].
De surcroît, la violation de l’obligation de loyauté peut être constitutive d’une faute grave, voire d’une faute lourde, susceptible de justifier le licenciement du salarié. Ce dernier s’expose, dès lors, à une condamnation au versement de dommages-intérêts à l’employeur.
Or, sur le plan formel, la violation de cette obligation de loyauté n’exonère pas l’employeur d’accomplir la procédure de licenciement disciplinaire : la lettre de licenciement doit relater les détails des actes de déloyauté [30].
Il faut dire que, au fond, en plus du licenciement, le salarié s’expose, le cas échéant, à des poursuites pénales en fonction de la gravité des manquements à l’obligation de bonne foi.
En dernière analyse, au-delà des sanctions afférentes à l’exécution déloyale du contrat de travail, l’attachement à la bonne foi participe d’un positionnement éthique, vertueux, en harmonie avec les principes de la RSE [31] et de la QVCT [32], propice à assurer une exécution apaisée, sécurisée de la relation de travail. En somme, un dévouement exempt de vice confortant le bien-être des travailleurs et la performance des organisations.