1. Le cadre juridique de la dispense de reclassement.
1.1. L’évolution du cadre légal.
La jurisprudence antérieure à la loi du 8 août 2016 imposait systématiquement à l’employeur de rechercher un reclassement, y compris lorsque le médecin du travail déclarait le salarié inapte à tout emploi dans l’entreprise [1].
Cette position jurisprudentielle, source d’incompréhension et de contentieux, conduisait parfois à des situations paradoxales où l’employeur devait rechercher un reclassement alors même que le médecin du travail l’estimait impossible ou contre-indiqué [2].
Le législateur est intervenu pour clarifier cette situation en introduisant dans le Code du travail l’article L1226-2-1, qui prévoit désormais explicitement deux situations de dispense.
L’employeur est ainsi libéré de son obligation de reclassement lorsque l’avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi [3].
Cette évolution législative a été complétée par un arrêté du 16 octobre 2017 proposant un modèle d’avis d’inaptitude comportant des cases correspondant à ces mentions légales, renforçant ainsi la sécurité juridique du dispositif.
Le médecin du travail peut ainsi clairement indiquer son intention de dispenser l’employeur de recherche de reclassement en cochant la case appropriée.
1.2. Une jurisprudence initialement stricte.
La Haute juridiction a initialement développé une interprétation rigoureuse des conditions de la dispense de reclassement.
Elle a ainsi jugé que l’employeur n’était pas dispensé de son obligation lorsque le médecin du travail limitait l’impossibilité de reclassement à l’entreprise alors qu’existait un groupe de reclassement [4].
De même, la dispense n’était pas acquise lorsque le médecin précisait que tout maintien dans un emploi "dans cette entreprise" serait gravement préjudiciable à la santé du salarié [5].
Cette rigueur s’est également manifestée dans un arrêt où la Cour a refusé d’accorder le bénéfice de la dispense lorsque l’avis d’inaptitude était limité à un seul site, alors que l’entreprise disposait de plusieurs établissements [6].
Cette jurisprudence exigeante visait à garantir une protection maximale du salarié inapte en s’assurant que toutes les possibilités de reclassement avaient été envisagées.
2. L’apport de l’arrêt du 12 février 2025.
2.1. Les faits de l’espèce.
Un directeur des ventes, en arrêt maladie depuis près de trois ans, est déclaré inapte par le médecin du travail à la reprise de son poste.
L’avis médical précise que "l’état de santé du salarié ne permet pas de faire des propositions de reclassement au sein de l’entreprise filiale et holding compris et le rend inapte à tout poste".
Se fondant sur cette mention, l’employeur procède au licenciement sans recherche préalable de reclassement.
Le salarié conteste alors son licenciement, arguant que la formulation utilisée par le médecin du travail ne reprend pas exactement les termes de l’article L1226-2-1 du Code du travail et ne peut donc pas dispenser l’employeur de son obligation de reclassement.
Cette argumentation est rejetée successivement par les juges du fond puis par la Cour de cassation.
2.2. La solution retenue.
La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir considéré que la formulation employée par le médecin du travail, bien que ne reprenant pas littéralement les termes de l’article L1226-2-1 du Code du travail, produisait les mêmes effets juridiques [7].
Cette solution marque une évolution significative dans l’appréciation des conditions de la dispense de reclassement.
La Haute juridiction adopte ainsi une approche plus pragmatique, considérant que l’essentiel réside dans la substance de l’avis médical plutôt que dans sa forme exacte.
Cette position s’inscrit dans une logique de sécurisation des procédures tout en préservant l’effectivité de la protection du salarié.
3. Les implications pratiques de la décision.
3.1. Une interprétation plus souple des mentions d’inaptitude.
Cette décision marque une inflexion notable dans l’appréciation des mentions dispensant l’employeur de son obligation de reclassement.
La cour admet qu’une formulation équivalente à celle prévue par la loi peut produire les mêmes effets juridiques, sous réserve du respect de deux conditions cumulatives établies par la jurisprudence.
La première condition exige que la mention soit claire et dépourvue d’ambiguïté [8].
Cette exigence de clarté vise à éviter toute incertitude sur la portée de l’avis médical et ses conséquences juridiques.
La seconde condition impose que la formulation corresponde exactement à l’une des deux situations visées par la loi, à savoir soit le caractère gravement préjudiciable du maintien dans l’emploi, soit l’impossibilité de tout reclassement [9].
3.2. Les précautions à prendre.
Malgré cet assouplissement jurisprudentiel, les employeurs doivent maintenir une vigilance particulière dans l’analyse des avis d’inaptitude.
Il est essentiel d’examiner attentivement la formulation utilisée par le médecin du travail pour s’assurer qu’elle ne comporte aucune restriction géographique ou fonctionnelle qui pourrait en limiter la portée [10].
En cas de doute sur la portée de l’avis, l’employeur a tout intérêt à solliciter des précisions auprès du médecin du travail, comme le permet l’article L4624-4 du Code du travail [11].
Cette démarche permettra de sécuriser la procédure et d’éviter un contentieux ultérieur.
4. Perspectives et recommandations.
4.1. Une jurisprudence en construction.
La décision du 12 février 2025 s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large visant à concilier la protection du salarié et la sécurité juridique de l’employeur.
Elle permet d’éviter des recherches de reclassement manifestement vouées à l’échec tout en maintenant un contrôle strict sur les conditions de la dispense.
Cette évolution jurisprudentielle traduit la recherche d’un équilibre entre la nécessaire protection du salarié inapte et la prise en compte des réalités pratiques auxquelles sont confrontés les employeurs.
Elle s’inscrit dans la continuité des objectifs poursuivis par la loi du 8 août 2016, qui visait à sécuriser les procédures d’inaptitude tout en préservant les droits des salariés.
4.2. Conseils pratiques.
Les praticiens doivent désormais intégrer cette nouvelle approche jurisprudentielle dans leur pratique quotidienne.
Il est recommandé de mettre en place une procédure systématique de vérification des avis d’inaptitude, en portant une attention particulière à la formulation des mentions relatives à la dispense de reclassement.
La conservation des échanges avec le service de santé au travail revêt une importance particulière, notamment en cas de demande de précisions sur la portée de l’avis d’inaptitude.
Ces éléments pourront s’avérer déterminants en cas de contentieux ultérieur sur le bien-fondé du licenciement.
Cette décision de la Cour de cassation apporte une clarification bienvenue sur les conditions de la dispense de reclassement.
Elle offre aux praticiens une plus grande sécurité juridique tout en maintenant un niveau d’exigence élevé quant à la protection des salariés déclarés inaptes.
Elle invite à une vigilance constante dans l’analyse des avis d’inaptitude, tout en permettant une approche plus pragmatique de leur interprétation.