En effet, il convient de noter qu’il subsistera toujours des traces de THC dans le CBD car ces substances sont difficilement séparables.
Ainsi, consommer du CBD revient à consommer en infimes doses du THC et en cas de tests de dépistage, ce dernier pourra s’avérer positif.
En l’espèce, M.X a été déclaré par le tribunal correctionnel, coupable de conduite d’un véhicule en ayant fait usage de stupéfiants et excès de vitesse, et a été condamné à 2 mois d’emprisonnement avec sursis, 6 mois de suspension de permis et 50 euros d’amende.
M.X a fait appel de cette décision et la Cour d’appel de Rouen l’a relaxé du chef de conduite d’un véhicule en ayant fait l’usage de produits stupéfiants, aux motifs que (i) l’expertise toxicologique ne mentionnait pas de taux de THC, et (ii) qu’il n’a pas été recherché si le CBD que l’intéressé indiquait avoir consommé excédait la teneur admise en THC.
La Cour d’appel fait ici notamment référence à l’arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l’usage de stupéfiants qui prévoit en effet :
« Les analyses sont exécutées avec des matériels et des méthodes respectant les seuils minima de détection suivants :
I. - En cas d’analyse salivaire :
1° S’agissant des cannabiniques :
9-tétrahydrocannabinol (THC) : 1 ng/ml de salive (ou équivalent)
[…]
En cas d’analyse sanguine :
1° S’agissant des cannabiniques :
9-tétrahydrocannabinol (THC) : 0,5 ng/ml de sang ».
Le Procureur Général de la Cour d’appel de Rouen a formé un pourvoi à l’encontre de cet arrêt en se fondant sur l’article L235-1 du Code de la route qui dispose que :
« Toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève conducteur alors qu’il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire qu’elle a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants est punie de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende ».
Il rappelle qu’une simple lecture de cet article permet de se rendre compte qu’aucun seuil n’est fixé par la Loi pour retenir l’incrimination de conduite sous l’empire de stupéfiants.
Concernant l’arrêté de 2016, le Procureur général précise que ce dernier mentionne un seuil de détection et non pas un seuil d’incrimination.
Par un arrêt en date du 21 juin 2023, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rouen aux visas des articles L235-1 du Code de la route et L5132-7 du Code de la santé publique (qui classe le THC comme substance stupéfiante).
Elle a rappelé en effet que l’article L235-1 du Code de la route :
« incrimine le seul fait de conduire après avoir fait usage de stupéfiants, cet usage étant établi par une analyse sanguine ou salivaire peu important que le taux de stupéfiants ainsi relevé soit inférieur au seuil minimum prévu par l’arrêté […] qui est un seuil de détection et non un seul d’incrimination ».
La Cour de cassation ici ne remet pas en cause la légalité du CBD mais rappelle seulement que la simple détection de THC entraine automatiquement l’application l’article L235-1 du Code de la route et donc de l’incrimination.
Cette décision de la Cour de cassation met une nouvelle fois en lumière les lacunes et contradictions de la législation en la matière, qui nous apparaît désormais particulièrement inadaptée.
Quoiqu’il en soit, il convient de retenir qu’en l’absence de réforme du cadre légal, tout conducteur, qu’il soit consommateur de CBD ou de cannabis, encoure notamment deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende ainsi qu’une perte de 6 points sur son permis de conduire.
Discussions en cours :
Le Conseil d’Etat dit que :
« Les produits issus du chanvre mis sur le marché doivent avoir une teneur en THC qui n’est pas
supérieure à 0,3%. A défaut, ils relèvent de la politique pénale de lutte contre les stupéfiants. »
Le cannabis « CBD » contenant un taux inférieur à 0,3% n’est donc pas un produit stupéfiant. Mais on joue sur les mots. Cela relève-t-il de la lutte contre les stupéfiants ou pour la sécurité routière ?
La Cour de cassation permet la vente lorsque le cannabis CBD contient du THC à l’état de traces et est produit légalement en Europe car ce n’est pas un produit stupéfiant.
Nous sommes à un point où un produit non stupéfiant malgré la présence d’une molécule classée comme stupéfiant redeviendrait un stupéfiant précisément parce qu’il contient cette substance, au bon vouloir des circonstances, ne permettant pas au mis en cause d’être en capacité de juger s’il s’apprête ou non à commettre un délit.
Avec tous ces changements d’orientation, il est impossible d’affirmer que la consommation de CBD à faible teneur en THC constitue une intention de commettre un délit de conduite après avoir fait usage de stupéfiants. Pas d’intention, pas de délit normalement (article 121- 3 du Code pénal).
Les sociétés qui feraient la publicité d’un produit CBD à teneur en THC inférieure à 0,3% deviendraient coupables de provocation à l’usage de stupéfiant ?
Seuls la création d’un délit "d’ivresse cannabique" en fixant un seuil d’incrimination ou l’interdiction totale de tout produit contenant une dose infime de THC permettrait de clarifier la situation. Mais la seconde option entrerait en conflit avec
les lois européennes.
Quant aux arguments liés à la sécurité routière, le simple fait de se référer aux seuils de détection des autres substances suffit à démontrer, par cette tolérance supérieure accordée à des produits altérant de façon très significative la capacité de conduire (et je ne parle pas des médicaments), que ces seuils sont établis de façon arbitraire et ne tiennent ps compte de la dangerosité du produits consommé.
Rappelons que le seuil maximum de présence de THC dans les produits a été relevé de 0,2% à 0,3% par le gouvernement. L’art de marcher sur la tête.
Un tel arrêt ne peut avoir comme conséquence qu’une chose. Pour toutes ces personnes qui ont quitté le cannabis "drogue" au profit du CBD, le retour en arrière, qui de toute façon mènera à la même condamnation, ou au profit, pire, du cannabis de synthèse, indétectable par les tests salivaires mais qui provoque des "bouffées délirantes" écartant la responsabilité pénale du mis en cause (cf. affaire Sarah Halimi en 2017).
Il est temps qu’une législation claire, avec des seuils basés sur des études scientifiques, soit mise en place au lieu de criminaliser petit à petit une part croissante des français.
Merci pour cet article. Cette législation et cette décision imposent aux consommateurs de CBD de renoncer à conduire, sans que cela soit justifié puisque le CBD n’ a aucun effet psychotrope donc aucune influence sur la vigilance du conducteur.
Effectivement la loi est inadaptée.
N’y a-til aucun lobbying pour défendre les intérêts des consommateurs de cette substance et pour faire cesser cette hypocrisie qui laisse le CBD en vente libre, sans avertissement pour le consommateur sur le risque pénal encouru ?
Par ailleurs, cela mérite d’être rappelé, le CBD est souvent recommandé pour soulager certaines douleurs chroniques, sans effet secondaire connu.
Il serait souhaitable qu’un décret retienne un seuil minimum de THC permettant d’écarter l’incrimination pour les consommateurs de CBD.