Défaut d'impartialité de l'enquêteur et devoir de loyauté = nullité des poursuites pénales. Par Alexandra Bourgeot et Rosemary Jarrousse, Avocates.

Défaut d’impartialité de l’enquêteur et devoir de loyauté = nullité des poursuites pénales.

Par Alexandra Bourgeot et Rosemary Jarrousse, Avocates.

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Explorer : # défaut d'impartialité # devoir de loyauté # nullité des poursuites # procédure pénale

Par une décision du 16 mars 2023, le Tribunal correctionnel de Versailles a entendu sanctionner la partialité de l’enquête pénale et a prononcé la nullité de la procédure et de l’acte de saisine du tribunal.

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Il a également prononcé en conséquence la nullité de la majorité des procès-verbaux de la procédure et partant, la convocation devant le tribunal correctionnel.

En l’espèce, une enquête était ouverte pour des faits de non-représentation d’enfant.

Le parent en cause (en l’espèce la mère) justifiait la non-représentation par l’état de nécessité, craignant pour la sécurité de l’enfant lorsqu’il était sous la garde de son père.

L’enquête réalisée était marquée par la partialité de l’enquêteur en charge du dossier à l’égard de la mise en cause.

D’une part, le fils du gendarme enquêteur se trouvait être dans la même classe que l’enfant du couple séparé.

Mais ce n’est pas simplement l’impartialité objective qui posait difficulté en l’espèce, d’où l’intérêt particulier de cette décision.

En effet, la procédure d’enquête avait été émaillée de petits évènements qui pris séparément auraient été jugés anodins mais qui dans le contexte particulier, à l’égard de la seule mise en cause, matérialisaient la partialité de l’enquêteur : ainsi le gendarme dénigrait l’intéressée, rédigeait des comptes-rendus en contradiction avec les éléments de la procédure, se précipitait à la gendarmerie un jour de congé afin d’être présent lors d’un dépôt de plainte de l’intéressée, et enfin refusait de la désentraver durant sa garde à vue, en absence totale de danger pour elle ou pour autrui et en dépit des protestations de son conseil …

Surtout, par ses comptes-rendus partiaux et inexacts adressés à la permanence du Parquet, l’agent de police judiciaire orientait la décision de poursuite pénale, ce qui faisait grief à l’intéressée.

A l’issue de sa garde à vue la mise en cause se voyait délivrer une convocation par officier de police judiciaire (COPJ) devant le Tribunal correctionnel de Versailles.

Des conclusions aux fins de nullité étaient déposées à l’audience visant à faire constater la nullité de l’enquête pénale et partant, des poursuites, à raison du défaut d’impartialité de l’enquêteur.

Se fondant sur l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation, le Tribunal a fait droit à cette exception de nullité et a repris les arguments soulevés dans les conclusions in limine litis déposées à l’audience, quand bien même l’enquête avait été réalisée sous le contrôle d’un officier de police judiciaire et sous la direction du Parquet au titre de l’article 41 du Code de procédure pénale, dont l’impartialité n’était pas contestée.

Dans sa décision, le tribunal souligne le défaut de loyauté de l’enquêteur dans l’exercice de ses comptes-rendus à la permanence du Parquet.

En raison de l’intervention successive de plusieurs magistrats de permanence, les conditions matérielles de l’exercice de ce pouvoir de direction ne permettaient pas « de compenser le défaut d’impartialité de l’enquêteur ». Il est en effet courant que plusieurs magistrats interviennent successivement dans un même dossier en cours d’enquête. Leur appréciation nécessite que les faits leurs soient rapportés de la façon la plus impartiale possible.

Ainsi, par son comportement, l’enquêteur en charge dénaturait la procédure pénale en cours et portait atteinte à la « relation de confiance » devant exister entre le Parquet et les effectifs de police ou de gendarmerie.

A noter que le tribunal a également reconnu l’illégalité du menottage imposé à l’intéressée qui « doit être interprété comme un acte visant à humilier l’intéressée et/ou à amoindrir ses capacités à assurer sa défense ».

Pour rappel, l’article 803 du Code de procédure pénale prévoit que « Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite. (…) », sans quoi la mesure est entachée de nullité.

Le défaut d’impartialité d’un seul agent de police judiciaire peut donc entacher de nullité la procédure pénale et l’acte de saisine du tribunal correctionnel.

Alexandra Bourgeot
Avocate au Barreau de Paris
Ancien Secrétaire de la Conférence
et Rosemary Jarrousse
Avocate au Barreau de Paris
https://www.alba-avocats.com/

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 22 août 2024 à 13:39
    par GODIVEAU Laure , Le 23 juillet 2023 à 18:23

    Très intéressant et félicitations ! Est-il possible d’avoir une copie du jugement anonymes bien sûr ?
    VBD
    Laure GODIVEAU - Barreau de versailles

    • par Nathalie Franck , Le 22 août 2024 à 13:39

      Avez vous pu obtenir cette décision auprès du greffe ? Merci d’avance Me Nathalie Franck

  • par Franck , Le 19 août 2024 à 14:34

    Merci de cet article. Est-ce possible d’avoir le jugement ou au moins un numéro de rôle et de décision ? Merci d’avance. Me Nathalie Franck

  • Dernière réponse : 31 juillet 2024 à 23:04
    par Eugene Parise , Le 14 juillet 2023 à 16:16

    Très bon article, merci

    • par Noémie Toulon , Le 31 juillet 2024 à 23:04

      Maître Bourgeot,

      Je viens de tomber sur votre article qui est très intéressant et qui colle pile à un dossier en cours sur lequel je travaille pour déloyauté de l’enquêteur. Avez-vous publié la décision en ligne quelque part ? Ou serait-ce possible de la consulter quelque part s’il vous plaît ?

      Merci infiniment pour votre attention portée à ma demande, cette consultation de la décision me serait précieuse...

      Avec l’expression de toute ma considération,

      Noémie Toulon, élève-avocate

  • Il serait en effet intéressant de savoir si ce jugement est définitif, ou susceptible de censure.

    Au cas où il serait définitif, peut-on consulter ce jugement en ligne s’il vous plaît ?

    (en version anonymisée, bien entendu)

    Enfin, pouvez-vous préciser les jurisprudences de la Cour de cassation auxquelles vous faites référence ?

    En tout cas, je vous remercie de cet article très instructif.

    • par alexandra bourgeot , Le 17 juillet 2023 à 10:04

      Bonjour, Merci pour votre commentaire. Le parquet n’a pas interjeté appel. Je vais tâcher d’anonymiser et de mettre en ligne le jugement.

    • par zribi , Le 21 février 2024 à 19:17

      Chère consoeur
      avez-vous publié la décision anonymisèe ?
      où est-ce qu’on peut la consulter ? merci

      maitre zribi lassaad
      barreau de Tours

  • Dernière réponse : 18 juillet 2023 à 16:12
    par Me Roland LEMAIRE , Le 17 juillet 2023 à 16:17

    Le juge étant saisi in rem, l’infraction ne dépend pas de l’enquête elle même. Du coup, je m’interroge plus sur la partialité du tribunal.

    • par alexandra bourgeot , Le 18 juillet 2023 à 14:21

      Il n’est pas dit que le tribunal était partial. C’est la procédure qui, entachée de nullité, contamine la saisine du tribunal.

    • par Me Roland LEMAIRE , Le 18 juillet 2023 à 16:12

      Lorsqu’une irrégularité constitue une cause de nullité de la procédure, seuls doivent être annulés les actes affectés par cette irrégularité et ceux dont ils sont le support nécessaire.
      La nullité des actes d’audition n’entraîne pas nécessairement la nullité de la garde à vue, la nullité des actes de l’enquête préliminaire et la nullité des actes de saisine du tribunal.
      (cf Crim. 22 juin 2000, no 00-82.632, Bull. crim. no 242 ; Dr. pénal 2000, no 108 ; Crim. 27 juin 2000, no 00-80.411 , Bull. crim. no 246 ; (Crim. 14 mars 2012, no 11-85.827 , RSC 2012. 631, obs. Danet, Crim. 27 mai 2014, no 13-87.095 , D. 2014. 1205 )
      Le dossier portant sur les droits d’un père souhaitant exerçant son droit de visite et remettant en cause le comportement délictueux de la mère, je m’interroge de plus fort sur la partialité du juge et ne suis tellement surpris de l’orientation de la décision prise et de l’ampleur de la contagion.

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