Le déséquilibre significatif dans le contrat d’achat de Pass Internet en République de Guinée.

Par Albert Dione, Docteur en droit.

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Explorer : # déséquilibre contractuel # consommation internet # contrat d'adhésion # protection des consommateurs

La protection du consommateur n’est pas effective dans certains pays d’Afrique. Du fait de ce défaut de protection, certains opérateurs téléphoniques mettent en place des clauses de délai d’utilisation du pass internet dans le contrats d’adhésion créant ainsi un désavantage économique pour le consommateur du fait du déséquilibre significatif.

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La connexion internet est devenue une nécessité chez plusieurs utilisateurs des outils informatiques en Afrique et plus particulièrement en Guinée. Actuellement, environ 95% de la communication passe par les réseaux informatiques et notamment les réseaux sociaux.

Mais la détention d’un ordinateur ou d’un téléphone ne suffit pas pour communiquer. Il faut en plus de ces outils, obtenir un wifi ou un Pass Volume Internet. En Guinée, le wifi n’étant pas à la portée du consommateur, les opérateurs téléphoniques proposent un Pass Volume pour se connecter à internet.

Les opérateurs proposent un contrat d’achat de Pass. Mais comment caractériser ce contrat ? Pour le faire, il nous faut dès lors définir le Pass Volume Internet pour comprendre la relation contractuelle qui lie le consommateur à l’opérateur téléphonique.

I) Le Pass Volume Internet : chose incorporelle consomptible ?

Nous allons démontrer que le Pass volume internet est une chose incorporelle consomptible. Toutefois, nous sommes conscients que cette tentative de définition simple ne fera pas l’unanimité chez les lecteurs. Mais, nous prenons le risque de le faire pour amener le lecteur à comprendre la logique du raisonnement qui va suivre.

Le Pass Internet est le code binaire, la clé qui permet d’ouvrir et de connecter deux récepteurs de même configuration ou non (ordinateur /téléphone androïde). De façon imagée c’est aussi le moyen de transport qui permet de relier un point A à un point B ou plusieurs points (Dakar/Conakry/Bamako). Le réseau est l’autoroute qu’emprunte les informations partagées entre les outils de communication. Le code donne accès à ces informations. De cette définition apparaît la spécificité du Pass Internet.

La spécificité du Pass Internet est qu’il est quantifiable en termes de Volume de ce fait, il s’use au fur et à mesure qu’on emprunte l’autoroute de la communication ou du téléchargement. Ce qui nous permet de passer à la définition du Volume : c’est une chose consomptible et en l’occurrence qui peut être possédée dans le téléphone par le mécanisme du rechargement de crédit transformable en Volume de gigaoctet ou de mégaoctet (unité de mesure du Pass Internet).

Nous affirmons que même si l’on est en présence de code binaire incorporel, le droit admet l’appropriation d’un bien incorporel même si la possession des biens incorporels connait un débat doctrinal plus ou moins mitigé.

Dans la pensée globale, le paradigme de possession est difficilement attribuable aux biens incorporels en raison de son acception matérialiste. La possession est considérée comme étant l’emprise corporelle sur le bien. Cependant, il suffit d’émanciper la notion de possession de toute idée de détention matérielle d’un bien corporel et de la concevoir en tant que pouvoir de fait sur une chose, pour se rendre compte qu’il n’existe pas d’obstacles conceptuels à la possession de Pass Internet qui est quantifiable en termes de Volume (kilooctet, mégaoctet, gigaoctet) et consommable (communication et téléchargement de fichiers usent le volume qui se termine et on reçoit un message vous avez épuisé votre Pass).

L’immatérialité du Pass Internet fait naître des difficultés d’extériorisation de la possession des droits, et s’oppose naturellement à l’idée de possession des choses incorporelles. Les difficultés engendrées par la possession du Pass Internet sont donc de nature différente, ce qui explique la diversité des effets de la possession. L’invisibilité ou l’immatérialité du bien ne rend pas pour autant le bien inexistant ou inappropriable.

Il n’existe donc pas de théorie générale propre de la possession des biens incorporels mais des applications particulières de la possession à différents biens incorporels. De ce fait, la possession du volume conféré par l’achat du Pass Internet est bien caractérisée et que le consommateur acquiert par conséquent la pleine propriété du Pass Internet.

II) Quelle est la catégorie du contrat de Pass Volume Internet.

Voici la communication d’un opérateur téléphone en matière de vente de Pass Internet : « Nos Pass sont valable 24h et vous permettent de surfer sur Internet, communiquer avec vos proches sur les réseaux sociaux, ou utiliser des messageries instantanées comme Whatsapp ».

Suivant les offres des opérateurs, le consommateur a la possibilité d’acheter un Pass Internet dont la quantité est déterminée en termes de gigaoctet (en abrégé « go »). Donc c’est le volume que l’opérateur vend au consommateur. Mais impose un délai d’utilisation ou de consommation au delà duquel il reprend le volume restant. Dès lors, le consommateur conclut un contrat de vente de chose consomptible assorti d’une condition de validité. Nous appelons ce contrat un contrat de vente à durée déterminée.

Il nous faut rappeler les conditions de la vente : la vente est un contrat par lequel une personne, le vendeur, s’oblige à transférer à une autre personne, l’acheteur, la propriété d’une chose contre le paiement de la valeur en argent de cette chose.

En souscrivant un Pass Volume, le consommateur est obligé de payer le prix et l’opérateur est obligé de livrer le volume commandé. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure le consommateur est tenu d’utiliser le volume pour la durée déterminée dans le contrat ? Cette question soulève une autre question qui est celle de savoir est-ce une condition suspensive ou résolutoire ?. La réponse est non car, la vente n’est pas faite à l’essai encore moins dans l’attente d’un financement qui rendrait caduque la vente si le financement n’est pas obtenu. La dernière question est de savoir si le consommateur a bien acquis la propriété du Volume acheté ou tout simplement une durée d’utilisation. C’est cette question qui soulève le problème du déséquilibre significatif dans le contrat d’achat de Pass Volume (nous y reviendrons).

Comme nous l’avons dit un peu plus haut, le Pass Volume Internet est une chose consomptible, par conséquent son acquisition par l’achat transfère le droit de propriété à l’acquéreur qui dispose de l’usus, du fructus et de l’abusus. Le consommateur a acheté une quantité, il doit être en mesure de l’utiliser et de le consommer à sa guise sauf à respecter les dispositions d’ordre public.

Pourquoi l’opérateur téléphonique impose-t-il une durée de validité sur une quantité supposée être consommée dès le premier usage ? A notre avis le commerçant ne peut vendre 5 kilos de riz à son client et lui proposer un délai de consommation qui lui permet de reprendre le restant du riz s’il ne termine pas les 5 kilos de riz au bout d’un mois. Ce qui est bien dans cet exemple, c’est que le client garde le riz chez lui.

On nous objectera d’avoir pris un mauvais exemple du fait du caractère différent du Volume de Pass Internet du riz. A cette objection nous répondrons que ce qui compte, c’est l’image dans l’exemple, le Volume de Pass Internet étant considéré comme une chose consomptible à l’image du riz.

Si le client garde le riz chez lui, il en est autrement pour le Pass Volume Internet car même si le message prévient le consommateur qu’il a bien acheté un Pass Internet de 15 go, ce dernier ne peut le verrouiller comme le sac de riz car l’opérateur y a toujours accès et peut le retirer à la fin du délai quand bien même il aurait acquis la propriété du Pass Volume.

Par ailleurs, il serait difficile de qualifier ce contrat de contrat d’usufruit. En effet, l’article 863 du Code civil Guinéen dispose que « si l’usufruit comprend des biens dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les boissons, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit, des choses de même quantité et qualité, soit leur valeur à la date de la restitution ». Il résulte de cet article que la restitution est obligatoire pour ce genre de biens. Donc il n’y a jamais eu de réel transfert de propriété en matière d’usufruit car la substance du bien demeure la propriété du nu-propriétaire et que l’usufruitier est tenu de restituer le bien.

Par conséquent, le consommateur qui achète un Volume de Pass Internet ne dispose pas d’un usufruit sur le volume mais d’un droit de propriété absolu. Il n’est pas tenu de restituer les fruits qui n’existent d’ailleurs pas.

Existe alors un réel transfert de propriété alors que le but du contrat de vente est l’acquisition de la propriété d’une chose. En tout état de cause, le contrat de vent de Pass Internet transfère la propriété du volume au consommateur. En imposant un délai de validité du Pass Volume, l’opérateur crée un déséquilibre significatif dans le contrat d’adhésion. La remarque est que pour les contrats téléphoniques, le consommateur qui est la partie faible adhère à la convention sans pouvoir de négociation.

Le professeur François Chénedé de l’université Jean Moulin Lyon III affirme que dans le contrat d’adhésion, le consentement est moins insuffisamment libre qu’imparfaitement éclairé : satisfait du coût de la prestation principale, l’adhérent ne prend pas pleinement connaissance des clauses accessoires.

Dans le contrat de dépendance, à l’inverse, le consentement est moins insuffisamment éclairé qu’imparfaitement libre : tributaire de la relation contractuelle, le dépendant est parfois contraint d’accepter des conditions désavantageuses, et ce, non seulement sur l’accessoire, mais également sur le principal, c’est-à-dire sur le montant des prestations réciproques et la durée de la relation contractuelle.

Cette différence explique que le traitement de l’abus ne soit et ne doit pas être le même pour ces deux types de contrat.

III) L’appréciation du déséquilibre significatif dans le contrat.

L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.

En effet, dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

En fixant une durée de validité du Pass Volume Internet, l’opérateur cause un déséquilibre significatif dans le contrat d’achat. Le consommateur n’a plus la pleine propriété de la chose achetée. Alors que la chose remplie les conditions de chose consomptible, le propriétaire est libre d’en disposer. Ce qui rend la clause abusive.

En Guinée, le contrat d’achat de Pass Volume Internet proposé par les opérateurs téléphoniques est un contrat d’adhésion entre l’opérateur et le consommateur. D’où l’existence probable d’un rapport de force entre le professionnel qui rédige le contrat et le consommateur qui souscrit un Pass. La clause de validité est significativement déséquilibrée.

Le déséquilibre significatif, qui caractérise l’élément moral du comportement sanctionné, ne s’identifie pas à une contrainte irrésistible et ne requiert pas nécessairement l’existence de pressions sur le partenaire faible. En effet, la clause de validité du Pass Internet est insérée dans tous les contrats d’achat de Passe Internet en Guinée, les consommateurs ne disposant pas du pouvoir réel de les négocier.

La clause de validité oblige le consommateur à épuiser le Volume du Pass Internet dans la période définie s’il ne l’épuise pas il le perd automatiquement. Alors qu’il devrait pouvoir l’utiliser selon ses besoins et pour une durée indéterminée.

L’opérateur ne peut refuser sans renoncer à la conclusion du contrat. Ce qu’il faut retenir ce n’est pas le défaut de liberté ou l’insuffisance des négociations, mais l’absence et l’impossibilité même de celles-ci, le contrat d’achat de Pass Volume Internet étant rédigé ne varietur.

Or, en intégrant cette clause, l’opérateur ne justifie d’aucune réciprocité permettant de rééquilibrer le contrat. C’est l’absence de contrepartie ou la contrepartie disproportionnée ou l’absence de réciprocité de la clause de validité du Pass Volume Internet qui constitue le critère décisif en vue d’appréhender la notion de déséquilibre significatif. L’imposition du délai ne profite qu’à l’opérateur.

La notion de déséquilibre significatif est destinée à éliminer les clauses supposées abusives à l’égard des consommateurs dans les contrats d’adhésion.

IV) La notion de déséquilibre significatif en droit Guinéen et la nécessité d’un Code de la consommation.

Le terme déséquilibre significatif est employé dans le Code civil guinéen en ces termes : dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

Nous sommes d’accord que dans un contrat les parties recherchent l’équilibre dans les prestations. Or, le déséquilibre crée une différence entre la valeur des prestations que reçoit le consommateur et la valeur des prestations que reçoit l’opérateur.

L’interprétation du texte précité suggère que le déséquilibre porte préjudice à une partie. De ce point de vue, cette disposition légale vise donc à sanctionner le déséquilibre.

Dans le contrat d’achat de Pass Volume Internet on ne peut parler de lésion car le déséquilibre ne résulte pas d’un vice du consentement. En effet, l’existence de la lésion au moment de la conclusion du contrat ne peut s’expliquer que par une altération du consentement de la partie lésée qui, par exemple, s’il avait connaissance de la valeur réelle de l’immeuble ne l’aurait jamais acheté au prix litigieux.

Il faut savoir que le déséquilibre, dans le contrat d’achat de Pass Volume Internet, est proche de l’abus étant donné qu’il ne porte pas sur le prix mais sur le droit de disposer de façon absolue de la chose dont on est propriétaire. En instaurant un délai de validité du Volume de Pass Internet, l’opérateur téléphonique se procure un avantage supplémentaire anormal. En plus de reprendre le volume restant il pousse le consommateur à « dilapider » le Volume qui normalement est sa propriété. Il sera obligé d’en acheter un nouveau Pass Internet enrichissant ainsi l’opérateur.

En l’absence de dispositions expresses sur les relations Business to Consumer, il sera difficile pour les consommateurs guinéens d’obtenir l’annulation de la clause de validité du Volume de Pass Internet sauf sur la base d’une action collective des consommateurs mais aussi sur la base de l’article 1072 du Code civil guinéen.

Le législateur doit intervenir pour mettre en place un Code de la consommation dont l’objet est de protéger le consommateur. Si un contrat d’adhésion n’est pas en soi condamnable, l’absence de négociation de ces stipulations semble pouvoir être pris en compte.

Cela est logique dans la mesure où la prohibition porte sur le fait d’imposer ou de tenter d’imposer des obligations créant un déséquilibre dans le contrat.

Albert Dione Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris

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