Ainsi, afin d’augmenter leurs capacités respectives propres à la découverte des manquements et d’infractions précités, l’administration fiscale et l’administration des douanes peuvent collecter et exploiter les données librement accessibles et manifestement rendues publiques par leur propriétaire sur les sites internet des opérateurs de plateformes en ligne au sein desquelles sont mise en relation plusieurs personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service [3]. Autrement-dit, la Direction Générale des Finances publiques (DGFiP), ainsi que l’administration des douanes, peut habiliter un contrôleur à la collecte et l’exploitation de contenus accessibles librement et manifestement rendus publics sur des sites de ventes aux enchères ou, dans une certaine mesure, sur les « réseaux sociaux ». C’est dans ce contexte d’optimisation et de fiabilisation des recettes fiscales que se pose la notion de foncier innovant ».
La notion de « foncier innovant », pour l’heure, matérialise une expérimentation mise en œuvre par la DGFiP qui consiste à intégrer des outils technologiques innovants de type « Intelligence Artificielle » afin d’automatiser l’exploitation de données recueillie tant de prises de vue aérienne que d’informations rendues publiques par leur propriétaire [4]. Le foncier innovant revient à mettre l’innovation au service de l’optimisation du processus de lutte contre les anomalies déclaratives et, le cas échéant, permet de lutter contre la fraude fiscale. Ainsi est exprimée la volonté d’appliquer une intelligence artificielle à la réalisation de l’objectif constitutionnel de lutte contre la fraude.
I. Les modalités de la conformité constitutionnelle de la collecte et de l’exploitation des données rendues publiques.
Dix-sept articles (dont l’article 154) de la loi de finance pour 2020 ont été l’objet de la saisine du Conseil constitutionnel. À cette occasion, au sujet de l’article 154 de ladite loi, le juge constitutionnel a partiellement censuré certaines [5] de ses dispositions confirmant ainsi l’essentiel de son contenu [6]. En effet, par la décision n°2019-796 DC, le Conseil constitutionnel prononce conforme à la Constitution la collecte et l’exploitation des données (personnelles rendues publiques) par l’administration fiscale et l’administration des douanes. Ces moyens, prescrits par les dispositions de l’article 154 de la loi de finance pour 2020, se posent dans l’objectif à valeur constitutionnel de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale [7].
Cet objectif à valeur constitutionnel de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale est révélé par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) qui proclame : « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Autrement-dit, dans la mesure où l’égalité devant les charges publiques est proclamée par la Constitution, il est impératif qu’existe un ou plusieurs dispositifs susceptibles de préserver ladite égalité notamment en luttant contre la fraude et, le cas échéant, l’évasion fiscale. En effet, si un contribuable fraude, ce comportement crée une distorsion d’égalité devant les charges publiques. Si ce comportement déviant n’est pas circonscrit, le « laissez faire » risque d’instituer de facto une promotion d’un tel comportement. Si ce dernier se propage, alors il s’agira d’une atteinte à la continuité de l’État [8].
C’est à ce titre qu’il est essentiel d’optimiser les moyens de contrôle des anomalies voire des hiatus entre les données déclarées et les données matériellement constatées ou constatables. C’est d’ailleurs à ce titre que le Conseil constitutionnel a prononcé la suppression, au sein de l’article 154, des dispositions qui intégraient dans son champ d’application l’hypothèse où l’administration fiscale avait d’ores et déjà mis en demeure le contribuable de procéder à la production d’une déclaration fiscale. En effet, dans cette hypothèse, l’administration a déjà constaté l’infraction (article 1728.1.b du Code général des impôts). Dès lors, dans ce cas, le juge constitutionnel a considéré que le dispositif, de collecte et de l’exploitation des données personnelles rendues publiques, est disproportionné voire superfétatoire. La collecte et l’exploitation des données personnelles visent la « simple recherche » de manquements ou d’infraction. Dans l’hypothèse de l’article 1728.1.b du Code général des impôts, l’infraction est déjà constatée.
L’article 154 de la loi de finance ayant été rattaché à l’objectif à valeur constitutionnel de lutte contre la fraude, encore faut-il lui appliquer la méta-norme [9] consistant à vérifier le fait que ce dispositif est conciliable avec les libertés proclamées aux articles 2 et 11 de la DDHC, c’est-à-dire, le droit au respect de la vie privée et le droit de libre communication, la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer. En effet, la collecte et l’exploitation de données personnelles afin de lutter contre la fraude, sont des moyens quelque peu intrusifs. Afin de concilier l’objectif de lutte contre la fraude et les moyens posés pour y parvenir, le Législateur a prescrit des « garde-fous ».
Les données susceptibles de collecte et d’exploitation sont celles qui sont librement accessibles et manifestement rendues publiques par leur propriétaire sur lesdites plateformes. Ainsi, les données accessibles uniquement à la suite de la saisie d’un mot de passe ou après inscription sont de facto des données personnelles privées et, à ce titre, exclues du champ d’action. Ainsi, les données collectables et exploitables, au regard de l’article 154, sont celles qui ont été délibérément divulguées sur internet par leurs titulaires.
En tout état de cause, sont dans tous les cas exclues les données dites « sensibles » conformément à l’article 6.I de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ; il s’agit
« des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne physique ou de traiter des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique ».
Outre l’exclusion des données sensibles, doivent être détruites (dans les cinq jours voire dans les trente jours [10]) les données qui ne sont manifestement pas susceptibles de constituer des indices matérialisant l’existence d’un manquement ou d’une infraction.
En outre, la collecte et l’exploitation des données librement divulguées sur internet ne peut être mise en œuvre que par un contrôleur spécialement habilité à cet effet. Enfin, il ne doit pas exister de système de traitement automatisé des données entrainant mécaniquement la mise en œuvre de procédures pénales ou fiscales. La collecte et l’exploitation des données doivent mettre en situation l’administration compétente de diligenter ses agents à l’analyse, la corroboration et à l’enrichissement des dites données.
C’est donc à la lumière « des gardes de fous » pré-exposés que le juge constitutionnel considère que le dispositif posé par l’article 154 de la loi de finance pour 2020, constitue une atteinte proportionnée et justifiée, tant au droit au respect de la vie privée qu’a la liberté d’expression [11]. Le droit relatif à la protection des données trouve (dans une certaine mesure [12]) toujours application notamment via les garanties tenant aux droits d’accès aux données, à la rectification, à l’effacement. En revanche, ne sont pas applicables le droit d’information [13] et le droit d’opposition [14] du fait de l’objet et de la finalité spécifique de la collecte et de l’exploitation [15].
II. Les modalités règlementaires et concrètes de la collecte et de l’exploitation des données rendues publiques.
Par un décret n°2021-148, en date du 11 février 2021, le gouvernement pose les modalités de mise en œuvre des traitements informatisés et automatisés appliqués à la collecte et à l’exploitation de données rendues publiques sur des sites internet d’opérateurs de plateforme en ligne [16]. À ce titre, il est réaffirmé l’interdiction [17], pour les administrations bénéficiaires de ce dispositif, de l’utilisation de fausses identités pour la création de comptes permettant de récolter les données accessibles uniquement à la suite de l’inscription à un plateforme. En revanche, lesdites administrations peuvent utiliser des comptes à cet effet mis à dispositions par l’opérateur de plateforme.
En outre, il est précisé les modalités de déploiement du dispositif. Ce dernier doit être organisé en deux phases [18]. La première [19] constitue un moment d’apprentissage et de conception.
Cette phase consiste à la construction de l’intelligence artificielle : par le développement d’outils de collecte et de traitement automatisé, par la modélisation et l’identification de caractéristiques susceptibles de révéler un manquement ou une infraction, par le développement de capacités d’analyse automatisée de données non structurées et la capacité de croisement de données, notamment les bases de données de lieux géographiques et des moteurs de recherche spécialisées dans l’identification des lieux correspondant à des images. La seconde phase [20] est le moment d’exploitation de la collecte et de la sélection des données considérées comme pertinentes puis consiste en le transfert desdites données pour analyse et traitement par les agents habilités [21]. Ce déploiement de la collecte et de l’exploitation des données librement divulguées sur internet a été confirmé par le Conseil d’État [22], saisi d’un recours en annulation du décret n°2021-148.
Le dispositif du foncier innovant [23] se situe dans ce contexte de transformation de l’activité de la DGFiP par l’utilisation de l’intelligence artificielle. À ce titre, l’administration a pu bénéficier de l’assistance à maîtrise d’ouvrage [24] de la société « Capgemini » ainsi que de l’infrastructure « cloud » fournit [25] par la société « Google » qui fournit également des services de développement de modèles d’intelligence artificielle s’appuyant sur des communs numériques. Cette synergie doit permettre l’optimisation des informations du plan cadastral et des données foncières fiscales croisées à des données cartographiques (orthophotos [26] de l’IGN [27] via le cloud de Google ainsi que celui de la DGFiP dénommé « Nubo »). Cette « transversalisation » des données foncières (foncier innovant) serviront à la fiabilisation des données publiques utiles à la DGFiP mais également aux collectivités territoriales voire aux autres usagers du plan cadastral.
L’administration fiscale avance à grand pas dans l’optimisation de la mise en œuvre de ses missions par la réalisation de différents projets, PILAT (PILotage et Analyse du ConTrôle) [28], CFVR (Ciblage de la Fraude et Valorisation des Requêtes) et le foncier innovant.
A ce titre, le contribuable doit être vigilant sur ses données personnelles qu’il divulgue librement notamment sur internet mais il doit également être conscient de la nécessité de mettre à jour ses déclarations fiscales en cohérence avec les évolutions affectant l’exploitation de son foncier (art. 321E à 321G bis, 1406 du Code général des impôts ; L10 à L11A du Livre des procédures fiscales).