La rupture conventionnelle : un dispositif permettant une séparation en douceur.
La rupture conventionnelle est apparue en 2008. Les patrons l’avaient rêvée, le législateur l’a créée !
Il s’agissait alors de mettre en œuvre une alternative aux licenciements souvent suivis de transactions couteuses pour éviter les contentieux potentiels.
C’est l’accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2008 et la loi portant modernisation du marché du travail, du 25 juin 2008 qui ont introduit ce dispositif. Il constitue alors une nouvelle modalité de rupture du CDI inscrite dans le Code du travail [1].
Il s’agit d’un mode de rupture du contrat de travail à durée indéterminée, amiable, bilatéral, négocié et nécessitant la signature d’une convention de rupture en respectant un formalisme renforcé destiné à garantir le consentement des parties et éviter les abus [2].
Les débuts sont cependant assez chaotiques, l’ANPE (service public de l’emploi ayant fusionné avec le réseau des Assedics pour devenir Pôle emploi le 19 décembre 2008 puis France Travail en 2024) ayant refusé à plusieurs reprises, au début du dispositif, la prise en charge de salariés après des ruptures conventionnelles.
L’Accord national interprofessionnel du 23 décembre 2008 relatif à l’indemnisation du chômage apportait des précisions en ajoutant à la liste des bénéficiaires de l’allocation chômage, les salariés dont la cessation du contrat de travail résultait d’une rupture conventionnelle au sens de l’article L.1237-11 du code du travail. La rupture conventionnelle permet donc au salarié de bénéficier de l’assurance chômage.
La rupture conventionnelle : un dispositif qui a le vent en poupe.
La DARES mentionne 515 163 ruptures conventionnelles signées en 2023 contre 503 526 en 2022.
Côté licenciements on en observe 895 799 pour motif non économique en 2023 contre 983 639 en 2022 [3].
La rupture conventionnelle est donc une alternative aux licenciements dont le succès interpelle. Cependant ce dispositif fait débat actuellement car il coûte cher à l’assurance chômage.
En effet, en cas de rupture conventionnelle, contrairement à une démission (sauf cas de démission légitime) le collaborateur peut être indemnisé par France Travail après un délai de carence de 7 jours auquel s’ajoute un différé calculé en fonction du montant de l’indemnité perçue (cette indemnité ne pouvant être inférieure à l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement). Ce différé ne peut pas dépasser 5 mois dans le cas d’une rupture conventionnelle.
Tout salarié qui souhaite démissionner a un intérêt financier à transformer cette démission en RC, afin, d’une part, de percevoir les indemnités de rupture et, d’autre part, d’avoir accès à l’assurance chômage [4].
Le dispositif est attractif pour plusieurs motifs :
Pour le salarié :
Il permet de quitter rapidement l’entreprise, de bénéficier d’une indemnisation négociée, parfois plus favorable qu’en cas de licenciement, de mettre fin à des conditions de travail parfois devenues insupportables et de prétendre à une indemnisation chômage.
Côté employeur, la rupture conventionnelle limite les risques de contentieux, permet de régler une situation potentiellement conflictuelle rapidement.
Bien qu’il s’agisse d’une rupture négociée et amiable, la rupture conventionnelle révèle souvent des conflits latents et est parfois perçue comme la solution pour sortir d’une impasse notamment en matière de mal-être au travail des salariés.
si la RC s’adresse officiellement à des ruptures négociées, elle est supposée incarner la rencontre d’intérêts bien compris et peut être étudiée à travers le prisme des arbitrages d’individus rationnels. Il apparaît alors que cette modalité de rupture, comme les autres, met en jeu des intérêts conflictuels entre employeur et salarié [5].
La rupture conventionnelle peut être détournée de l’esprit de la loi dans la mesure où le dispositif pourrait de en plus répondre aux carences en matière de prévention dans des situations de démotivation, quête de sens, harcèlement ou de risques psychosociaux dans les organisations.
En effet, la perte de sens au travail, le manque d’engagement peuvent conduire à une rupture négociée évitant de produire des situations délétères et l’apparition de RPS. Ces RPs doivent être pris en compte par les employeurs dans le cadre de l’obligation générale de sécurité [6].
Dans son rapport 2023, l’INRS mentionne d’ailleurs des actions de prévention liées à l’organisation et aux situations de travail (horaires atypiques, nouvelles formes d’emploi, RPS, TMS).
La quête de sens est d’ailleurs désormais documentée dans la littérature [7], en sociologie, en psychologie, en économie et en gestion.
D’après une étude réalisée en 2022 par le cabinet empreinte Humaine 41% des personnes interrogées déclarent être dans une situation de détresse psychologique [8].
Pour résoudre ces situations difficiles et éviter risques et conflits, la tentation est grande de conclure une rupture conventionnelle.
En revanche, il faudra dans ce cas être particulièrement vigilant car le dispositif n’interdit pas au salarié d’engager ensuite une action aux prud’hommes notamment pour vice de consentement. Il faudra alors être attentif à la validité de la rupture conventionnelle qui pourrait être frappée de nullité.
Cette nullité serait entrainée par des faits de harcèlement moral, le collaborateur devant cependant apporter la preuve de l’existence d’un vice de consentement [9].
Ainsi si le salarié, au moment de la signature de la rupture conventionnelle, subit un harcèlement moral, produisant des troubles psychologiques, son consentement est vicié. Cependant il devra démontrer que cette situation a bel et bien été déterminante dans sa volonté d’accepter la convention.
Si le salarié était, « au moment de la signature de l’acte de rupture conventionnelle dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral la convention est nulle » [10].
Seule une transaction permet de sécuriser la rupture.
Rupture conventionnelle : un dispositif moins attractif ?
Malgré une augmentation du nombre de conventions signées, la rupture conventionnelle est un dispositif devenu moins favorable au fil du temps. Un forfait social a en effet été créé dès 2009 [11].
L’indemnité de rupture conventionnelle a été soumise au forfait social de 20 % dès 2013, la rendant moins intéressante pour les employeurs. La loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, portant réforme des retraites, a ensuite modifié le régime fiscal et social de l’indemnité de rupture conventionnelle remplaçant le forfait social de 20% par une contribution au profit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse de 30% à la charge de l’employeur [12]
Par ailleurs, le gouvernement envisage désormais une réforme de l’assurance chômage visant à allonger le délai de carence après un licenciement ou une rupture conventionnelle. Cette réforme ayant pour objectif de réaliser des économies et de favoriser un retour plus rapide à l’emploi après la cessation du contrat de travail.