I. Le secret professionnel à l’égard du client.
A. Définition et cadre juridique.
Le secret professionnel à l’égard du client est une obligation absolue imposée à l’avocat de garder strictement confidentielles toutes les informations recueillies et échangées dans le cadre de ses échanges avec son client. Cette obligation déontologique trouve ses fondements dans plusieurs textes.
En France, cette obligation est codifiée à l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, lequel dispose qu’« en toute matière, et sous réserve des prescriptions législatives ou réglementaires, les consultations adressées par un avocat à son client, les correspondances échangées entre le client et l’avocat, entre l’avocat et ses confrères, ainsi que plus généralement toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».
L’avocat ne peut donc, sous aucun prétexte, révéler des informations relatives à son client ou aux affaires qui lui sont confiées.
Ce principe est réaffirmé dans le Code de déontologie de l’avocat (article 2 du RIN), et constitue la garantie de la confiance que les clients placent en leur conseil. Il s’applique dans tous les domaines du droit.
B. Objectifs du secret professionnel.
Le secret professionnel a plusieurs justifications essentielles :
- Protection de la confidentialité : le principal objectif du secret professionnel est de garantir au client que ses informations sensibles ne seront pas divulguées à des tiers. Cela couvre non seulement les informations confidentielles sur les affaires juridiques du client, mais aussi les aspects plus personnels tels que l’identité, le nom des parties, la nature du litige et les déclarations des différentes personnes intervenant tout au long de la procédure.
- Renforcement de la confiance : pour que l’avocat puisse défendre pleinement les intérêts de son client, il est essentiel que ce dernier puisse se confier librement à son avocat. Sans l’assurance que ses informations resteront confidentielles, le client pourrait hésiter à partager des détails importants, ce qui nuirait à sa défense.
- Assurer l’efficacité de la justice : le secret professionnel contribue à un meilleur fonctionnement du système judiciaire en garantissant que les avocats, en tant qu’auxiliaires de justice, disposent de toutes les informations nécessaires pour représenter et assister au mieux leurs clients.
- Protéger les droits de la défense : dans le cadre d’un procès pénal, par exemple, l’avocat doit pouvoir agir librement et efficacement pour protéger les intérêts de son client. Le secret professionnel renforce les droits de la défense en garantissant que l’avocat peut échanger en toute confidentialité avec son client.
C. Portée du secret professionnel.
Le secret professionnel est absolu et illimité dans le temps. Cela signifie que l’avocat est tenu de le respecter même après l’issue de la procédure de son client. En outre, il s’applique à toutes les informations dont l’avocat a connaissance dans le cadre de l’exercice de sa profession, qu’elles aient été obtenues directement de son client ou par d’autres moyens.
Il existe toutefois des exceptions limitées à cette obligation, notamment dans le cadre de la prévention du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme. Dans certains cas, l’avocat peut être amené à signaler des transactions suspectes. Néanmoins, ces exceptions sont strictement encadrées pour ne pas compromettre la relation de confiance entre l’avocat et son client.
D. Sanctions en cas de violation du secret professionnel.
La violation du secret professionnel constitue une infraction pénale en France. L’article 226-13 du Code pénal prévoit une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour toute personne soumise au secret professionnel qui en révèle une information.
Une violation de cette obligation peut également entraîner des sanctions disciplinaires pour l’avocat, pouvant aller jusqu’à la radiation du barreau au sein duquel il est inscrit.
Ces sanctions déontologiques s’expliquent notamment par le retentissement négatif que peut avoir une violation du secret professionnel par un avocat sur l’ensemble de ses confrères.
E. Les exceptions au secret professionnel.
Ces exceptions sont strictement encadrées et sont notamment les suivantes :
a. La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
L’une des exceptions les plus notables concerne la législation sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. En France, cette exception est régie par l’article L561-3 du Code monétaire et financier, qui impose aux avocats des obligations de vigilance lorsqu’ils participent, en dehors de l’activité de défense ou de représentation en justice, à des opérations financières ou immobilières pour leurs clients.
Dans ce cadre, les avocats doivent signaler les transactions suspectes à la cellule de renseignement financier (Tracfin). Cette obligation de déclaration concerne principalement les opérations liées à des activités économiques telles que :
- La gestion de fonds,
- L’achat ou la vente de biens immobiliers ou d’entreprises,
- La création, la gestion ou la cession de sociétés ou d’entités juridiques.
Toutefois, les activités de conseil juridique, de représentation ou de défense en justice restent couvertes par le secret professionnel, de sorte que l’avocat n’a aucune obligation de signalement dans ces situations.
La dénonciation se fait auprès du Bâtonnier de l’avocat concerné, lequel décidera ensuite de la transmission ou non à la cellule Tracfin.
b. La révélation d’un crime ou d’un délit.
L’article 226-14 du Code pénal prévoit une exception au secret professionnel lorsqu’il s’agit de prévenir ou de limiter la commission d’un crime ou d’un délit susceptible d’entraîner des atteintes à la personne (comme des violences graves ou des infractions sexuelles).
Ainsi, l’avocat peut, sans violer le secret professionnel, informer les autorités judiciaires ou administratives si :
- Un client lui révèle des informations sur un crime ou un délit en préparation (comme un meurtre, un viol, ou un enlèvement),
- Les informations concernent des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne, notamment en cas de violences sur mineur ou sur personne vulnérable.
Cependant, cette exception reste limitée à des situations spécifiques, et l’avocat ne peut pas divulguer d’autres informations sur ses clients en dehors de ces cas précis. En pratique, l’avocat confronté à ces situations ne sera pas seul : il est d’usage que celui-ci se retourne d’abord vers son Bâtonnier avant d’envisager d’agir en ce sens.
c. Le consentement du client.
Il est de principe que l’obligation au secret professionnel s’impose à l’avocat de manière générale et absolue, de sorte qu’il ne peut pas en être délié par son client (Civ. 1re, 6 avril 2005, n° 00-19.254).
Néanmoins, le secret professionnel doit se concilier avec les intérêts de la défense du client pour ne pas dégénérer en blocage systématique. Par exemple, un client peut autoriser son avocat à partager certaines informations avec son adversaire, un expert judiciaire ou un autre professionnel impliqué dans le dossier, notamment afin de négocier un accord. Toutefois, même avec le consentement du client, l’avocat reste tenu à une certaine prudence et ne peut pas divulguer des informations susceptibles de nuire gravement au client, ou d’enfreindre les règles de déontologie. Les différends entre l’avocat et son client.
Lorsque l’avocat et son client sont en litige (par exemple, en cas de différend concernant les honoraires), l’avocat peut être amené à révéler certaines informations strictement nécessaires à sa défense devant les juridictions compétentes.
Toutefois, cette divulgation doit rester proportionnée et ne concerner que les éléments pertinents pour le litige. Par exemple, dans une action en recouvrement d’honoraires, l’avocat pourrait être autorisé à présenter des preuves de ses prestations, mais ne pourrait divulguer des éléments étrangers à l’objet du différend.
d. Les perquisitions et saisies chez un avocat.
La loi encadre strictement les perquisitions et saisies dans les cabinets d’avocats afin de protéger le secret professionnel. Toutefois, dans certaines situations, les autorités judiciaires peuvent être autorisées à effectuer ces opérations, notamment lorsqu’elles recherchent des preuves d’infractions pénales graves commises par un avocat ou dans le cadre de dossiers où l’avocat est suspecté de complicité.
Pour protéger le secret professionnel, ces perquisitions doivent être autorisées par un magistrat et effectuées en présence du bâtonnier de l’Ordre des avocats ou de son représentant. Le bâtonnier veille à ce que seules les pièces non couvertes par le secret professionnel ou strictement en lien avec l’affaire soient saisies.
e. La défense de l’avocat dans le cadre d’une procédure pénale.
Si l’avocat est poursuivi pour des faits liés à son exercice professionnel (par exemple, en cas d’accusation de complicité de fraude), il peut être amené à divulguer certaines informations relatives à son activité pour assurer sa propre défense. Cette divulgation doit toutefois répondre à des exigences de proportionnalité, c’est-à-dire que seules les informations nécessaires à sa défense peuvent être révélées.
f. Les révélations en matière d’éthique et de déontologie.
Lorsqu’un avocat est confronté à une procédure disciplinaire engagée par le Conseil de l’Ordre des avocats, il peut être autorisé à révéler certaines informations pour se défendre. Là encore, cette divulgation doit respecter les règles de proportionnalité, et ne concerner que les informations utiles à l’exercice de ses droits de la défense.
II. La confidentialité des échanges entre avocats.
A. Définition et cadre juridique.
La confidentialité des échanges entre avocats couvre les correspondances et les discussions échangées entre les avocats eux-mêmes, notamment dans le cadre de négociations ou de discussions précontentieuses. Contrairement au secret professionnel, qui est une obligation légale absolue, la confidentialité des échanges entre avocats repose principalement sur des règles déontologiques.
En France, cette confidentialité est régie par l’article 3.3 du Règlement Intérieur National (RIN) des avocats. Selon cet article, « les correspondances échangées entre avocats sont en principe couvertes par la confidentialité, sauf lorsqu’elles portent la mention "officiel" ou "non confidentiel" ». Cela signifie que, sauf indication contraire, les échanges entre avocats ne peuvent être utilisés comme preuve dans une procédure judiciaire ou être communiqués à des tiers.
B. Objectifs de la confidentialité des échanges entre avocats.
La confidentialité des échanges entre avocats vise à faciliter les négociations et à encourager un dialogue ouvert et constructif entre les parties. Sans cette confidentialité, ciment de la confraternité, les avocats pourraient hésiter à échanger des propositions de règlement ou à discuter des aspects délicats du dossier, craignant que leurs échanges puissent être utilisés contre leurs clients lors d’une procédure ultérieure.
Cette règle instaure donc un climat de confiance et d’efficacité dans les négociations. Elle permet également d’accélérer la résolution des litiges en offrant aux avocats la possibilité de communiquer librement sans crainte de voir leurs propos divulgués.
C. Différences par rapport au secret professionnel.
Nature des obligations : le secret professionnel est une obligation légale et déontologique, sanctionnée pénalement et applicable à toutes les informations échangées entre l’avocat et son client. En revanche, la confidentialité des échanges entre avocats est une règle exclusivement déontologique, laquelle peut être levée si les avocats s’accordent sur ce point. La levée de ce secret doit intervenir par la mention « courrier officiel » sur chacune des correspondances.
Portée : le secret professionnel couvre toutes les informations échangées avec le client et s’applique à toutes les matières. La confidentialité des échanges entre avocats, quant à elle, s’applique uniquement aux correspondances entre avocats et peut être levée dans certaines circonstances (si les avocats marquent explicitement leur correspondance comme "officielle"). Il doit être prêté attention à ce qu’une correspondance officielle ne fasse pas référence à des échanges précédents, couverts par le secret des correspondances.
Durée et limites : le secret professionnel est perpétuel, et demeure entier même après la fin de la relation avocat-client. En revanche, la confidentialité des échanges entre avocats est plus flexible et peut être limitée à la durée des négociations ou des discussions.
D. Sanctions en cas de violation de la confidentialité des échanges entre avocats.
En cas de violation de la confidentialité des échanges entre avocats, les sanctions sont de nature disciplinaire. Le Conseil de l’Ordre peut être saisi pour manquement aux règles déontologiques, et des sanctions comme des avertissements, blâmes ou suspensions peuvent être prononcées. En revanche, contrairement au secret professionnel, il n’y a pas de sanctions pénales directement attachées à la violation de cette confidentialité.
III. Enjeux et implications des deux principes déontologiques dans la pratique.
A. Importance pour la relation avocat-client.
Le secret professionnel est une garantie essentielle pour les clients. Il leur permet de faire confiance à leur avocat en sachant que leurs secrets seront protégés, même dans les circonstances les plus délicates. Cela est particulièrement important dans les affaires pénales ou civiles impliquant des informations personnelles ou des données financières sensibles. Il est important pour le client de s’assurer que l’avocat respecte cette règle déontologique essentielle, afin de pouvoir fournir à son conseil l’ensemble des informations nécessaires à l’exercice des droits de la défense.
D’autre part, la confidentialité des échanges entre avocats permet de fluidifier les négociations et les discussions précontentieuses. Elle facilite la recherche de solutions amiables aux litiges sans que les parties aient à craindre que leurs concessions ou propositions soient utilisées ultérieurement dans une procédure judiciaire. Le secret des correspondances permet ainsi aux avocats de chacune des parties d’assurer un traitement efficace des problématiques en explorant des pistes de résolution du litige sans que leurs clients ne soient ensuite liés par celles-ci.
B. Limites et critiques.
Malgré leur importance, ces deux règles déontologiques présentent parfois des limites. Par exemple, dans certains cas, les obligations légales de l’avocat en matière de lutte contre le blanchiment d’argent peuvent entrer en conflit avec le secret professionnel. De plus, la distinction entre correspondances confidentielles et officielles entre avocats peut parfois prêter à confusion, notamment lorsque les parties ne sont pas d’accord sur le caractère de leurs échanges.
Enfin, d’aucuns considèrent que la confidentialité des échanges entre avocats peut, dans certaines situations, compliquer les débats judiciaires, en empêchant l’accès à des éléments de preuve potentiellement pertinents.
Conclusion.
Le secret professionnel et la confidentialité des échanges entre avocats sont deux piliers essentiels de la profession d’avocat, chacun ayant des objectifs et des fonctions distinctes. Le secret professionnel protège avant tout les droits des clients, assurant une défense pleine et entière, tandis que la confidentialité des échanges entre avocats favorise des négociations efficaces entre les professionnels du droit.
Bien que ces deux règles déontologiques présentent certaines similitudes en termes de protection de la confidentialité, elles se distinguent par leur cadre juridique, leur portée, et les sanctions qui y sont associées.