Le secret professionnel de l’avocat : sanctuaire ou repère ?

Geoffrey DELEPIERRE
Collaborateur parlementaire. Elève avocat
SciencesPo Lille. Faculté de Droit de l\’Université de Lille

7948 lectures 1re Parution: 1 commentaire 4.84  /5

Explorer : # secret professionnel # profession d'avocat # présomption d'innocence # médias et justice

Alors que le débat sur la protection du secret professionnel entre l’avocat et son client revient sur le devant de la scène médiatique, politique et judiciaire au rythme des affaires « Sarkozy » ou encore « Delarue » ; il est opportun de rappeler que si les avocats n’ont pas plus de droits que les autres, ils n’en exercent pas moins une activité singulière exigeant des garanties particulières.

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I/ L’état actuel du droit :

Le secret professionnel de l’avocat est aujourd’hui essentiellement garanti par la loi du 31 décembre 1971, et plus particulièrement par les dispositions de son article 66-5 impliquant qu’« en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».

C’est ainsi qu’est relativement bien assurée la protection des correspondances et des consultations entre un avocat et son client, et ce tant sur le plan du conseil que sur le plan judiciaire.

Néanmoins là où le droit semble aujourd’hui faire défaut, c’est bien en ce qui concerne l’échange entre un avocat et son client par le biais des réseaux de télécommunication. Bien sur il ne peut être procédé à une captation qu’à titre exceptionnel, en ce sens qu’il doit exister des indices graves et concordants quant à la participation de l’avocat à la réalisation de l’infraction. Toutefois le problème se pose lorsqu’il s’agit de procéder à une telle captation afin de récoler les dits indices.

Si la jurisprudence a certes d’ores et déjà établi qu’en cas d’absence d’indices préalables, la nullité de la captation pourra être prononcée, il n’en demeure pas moins que le secret aura été violé et récolté.

Par ailleurs si l’article 100-7 du Code de procédure pénale dispose de l’obligation d’une formalité préalable relative à ce qu’aucune interception en la matière ne saurait intervenir sans que le Bâtonnier ne soit préalablement informé par le juge d’instruction ; il est regrettable que le résultat de cette information ne soit pas contraignant et que le magistrat instructeur puisse faire fi de la position du premier des avocats. D’autant que le Bâtonnier ne dispose que de la possibilité d’émettre des observations sur un dossier dont il n’a pas connaissance.

Ces faiblesses ne laissent plus à l’avocat que le choix de la discrétion et surtout celui de la prudence d’un entretien au sein de son cabinet ; même si comme en témoigne la récente « Affaire Delarue » cette sacralité du cabinet est devenue toute relative.

II/ Et la présomption d’innocence ?

La faiblesse de la protection du secret professionnel de l’avocat associée à une plus grande perméabilité entre le monde judiciaire et médiatique nous amènent également à nous interroger sur l’état de la procédure pénale française quant à la préservation de la présomption d’innocence.

Si la présomption d’innocence figure parmi les « principes cardinaux de la procédure pénale dans un État de droit », consacrée en France par l’article préliminaire du Code de procédure pénale, par l’article 6§2 de la CEDH et par l’article 9 de la DDHC ; elle ne peut que s’épuiser lorsque les droits de la défense s’affaiblissent.

C’est ainsi qu’en l’état du droit de la protection du secret professionnel de l’avocat, il n’est pas inopportun de réfléchir aux manques légaux quant à la protection de la présomption d’innocence. En effet dès lors que les médias disposent d’informations issues de la captation du secret – et ce quelque soit la légalité de cette dernière – ils ajoutent bien souvent à la violation du secret, la violation de la présomption d’innocence.

Les médias peuvent d’autant plus abuser de leurs informations que le risque encouru est faible et ce particulièrement durant les phases d’enquêtes et d’instruction. La protection du secret de l’instruction introduite en 1958 dans le Code de procédure pénale ne s’impose qu’à ceux qui concourent à la procédure et non aux journalistes qui sont libres de diriger leurs propres investigation et de préserver la confidentialité de leurs sources – y compris s’il s’agit d’officiels à l’origine de la captation du secret de l’avocat.

L’on comprend dès lors le danger pour la présomption d’innocence lorsque s’établit une association médiatique et judiciaire face à une défense désarmée.

D’un effet de vase communiquant entre la violation du secret et la propension médiatique nait parfois la possibilité de l’erreur ou de l’excès judiciaire. C’est d’ailleurs en ce sens que si comme l’indiquait autrefois Me Henri Leclerc « les journalistes observent les juges et dénoncent leurs excès ; alors que le juges font le procès des journalistes et punissent leurs abus  » ; force est aujourd’hui de constater que les entorses à l’adage classique : «  la procédure est sœur jumelle de la liberté » mènent les journalistes à pousser les juges vers l’excès et à les juges à confirmer les abus des journalistes.


C’est ainsi qu’il convient de réaffirmer que la préservation du secret professionnel de l’avocat est au cœur du fonctionnement de l’État de droit et qu’il n’a que pour but de préparer une défense et non de constituer une association de malfaiteurs.

Si bien que le secret professionnel doit être strictement préservé et compris par l’institution judiciaire car pilier du procès équitable ; et strictement respecté par les tiers car gardien de la présomption d’innocence.

Sources :

Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
Not. Crim. 15 janv. 1997, pourvoi n° 96-83.753, Bull n° 14.
Not. Crim. 6 oct. 1999, pourvoi n° 97-85.118, Bull n° 210.
Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
DANET Jean, Justice pénale le tournant », Gallimard, Paris, 2006, p254.
LECLERC Henri, « Justice et médias, un affrontement nécessaire », in Médias-Pouvoirs, 1997.

Pour en savoir plus :

-  « Le secret professionnel, le secret médical et l’avocat » – Jérôme Gavaudan – Jean-François Abeille – RDSS 2011. 65.
-  « Perquisition d’un cabinet d’avocat : respect du secret professionnel ou efficacité de la justice ? » – Pascal Remillieux – AJ pénal 2006. 304
-  « Avocat et secret professionnel » – Frédéric Doyez – AJ pénal 2004. 144
-  Pétition « Les avocats » du 04/03/2014

Geoffrey DELEPIERRE
Collaborateur parlementaire. Elève avocat
SciencesPo Lille. Faculté de Droit de l\’Université de Lille

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Discussion en cours :

  • par Pierre Berthon , Le 12 mai 2015 à 19:15

    Votre article vaut mieux que l’indignation tapageuse. Merci, mais… il faudrait parler du rôle que certains avocats acceptent de jouer parfois.

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