1. La fonction primaire du marché de l’assurance emprunteur consiste à protéger les banques, lesquelles entretiennent un déséquilibre spectaculaire au détriment des assurés.
Malgré les incantations du « bilan d’assurance emprunteur » rendu au CCSF [1], puis communiqué tel quel au parlement, les données publiées de celui-ci, comme les données oubliées, montrent que le marché de l’assurance emprunteur français demeure profondément déséquilibré. En 2024, la liberté de choix de l’assurance emprunteur n’est toujours pas effective, en France, pour les consommateurs.
1.1. La liberté de choix de l’assurance de prêt par l’emprunteur n’est toujours pas un objectif public en France.
Le rapport du CCSF publié en janvier 2024 sur l’assurance emprunteur conclut audacieusement, au contraire des données qu’il affiche : la loi de 2022 Loi 2022-270 du 28 février 2022, « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur » aurait permis « d’accélérer […] la dynamique concurrentielle » [2].
Les propres données de ce rapport du (au ?) CCSF démontrent exactement l’inverse.
Certes, en droit et en théorie, l’emprunteur est libre de choisir tout contrat d’assurance emprunteur [3].
L’emprunteur est libre de substituer, à tout moment, ce contrat à un autre [4], sous conditions notamment de présenter des garanties équivalentes à celles imposées par le prêteur.
Le Conseil constitutionnel a rappelé aux banques françaises, en les déboutant au passage de leur opposition à cette liberté, cette évidence :
« […] en instituant un droit de résiliation annuel des contrats d’assurance de groupe au bénéfice des emprunteurs, le législateur a entendu renforcer la protection des consommateurs en assurant un meilleur équilibre contractuel entre l’assuré emprunteur et les établissements bancaires et leurs partenaires assureurs » [5].
Parfois, l’assurance de groupe prive même l’emprunteur des garanties, en cas de substitution [6].
D’évidence, le contrat d’assurance emprunteur présente des avantages patrimoniaux indéniables pour l’emprunteur. Surtout, il fait partie des éléments contributifs à la sécurité financière des prêteurs français, qui est excellente en matière de prêts immobiliers aux Ménages [7]. Il n’existe aucune justification, ni économique, ni juridique, au financement au prix fort de cette protection des banques par les consommateurs, au moyen de contrats imposés de manière déloyale par les banques.
L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, ensablée dans le conflit d’intérêts structurel que suscite mécaniquement ses deux principales missions, soit de veiller à la fois « […] à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients […] des personnes soumises à son contrôle » [8].
Avec son rapport de 2024 relatif à l’assurance emprunteur, le Comité Consultatif du Secteur Financier échoue notablement dans sa mission légale [9] : il ne propose pas de « mesures appropriées […], notamment sous forme d’avis ou de recommandations d’ordre général » susceptibles d’améliorer les relations entre établissements agréés et leurs clients [10].
1.2. Près de neuf contrats d’assurance de prêt sur dix sont imposés par les prêteurs aux emprunteurs.
Une vigoureuse anomalie affecte le marché de l’assurance emprunteur français : pratiquement neuf contrats sur dix sont vendus près de deux fois plus chers aux emprunteurs, avec des garanties souvent minimales.
En dépit de nouvelles mesures législatives [11], en 2023, dans le stock de ces contrats, la part d’assurances de prêt externes aux prêteurs bouge de manière insignifiante : de 15,3% en 2021 à 16% en mai 2023 [12].
L’origine de ce constat économique inusuel s’explique simplement : par les pratiques commerciales déloyales [13], agressives [14] déployées largement par les établissements de crédit agréés. Lors de la souscription des prêts, les prêteurs imposent le placement de « leur » assurance emprunteur, celle « de groupe ». Par la suite, les banques s’opposent avec ardeur à la substitution, pourtant légale, d’assurance de prêt. Une sorte de monopole de fait s’est instauré en France, pour ce marché, dans l’indifférence des Autorités, notamment celles en charge de la protection des consommateurs.
Ainsi, en 2023, 77% des nouveaux contrats d’assurance emprunteur sont des contrats de groupe, proposés par les prêteurs [15].
La part des assurances de prêt en délégation (les contrats hors des gammes des prêteurs, vendus par leurs concurrents) chute, de 9,3% à 7,5% de la production de nouveaux contrats [16]. Sans mystère : la liberté de choix en assurance de prêt n’a pas progressé, depuis 2022. Elle n’est toujours pas effective, en France, en 2024 [17].
L’assurance emprunteur fait partie des assurances facultatives [18]. Elle peut faire partie des conditions d’octroi du prêt imposées par le prêteur [19].
En 2024, la Jurisprudence durcit les obligations du prêteur qui agit comme distributeur d’assurance emprunteur de groupe.
La Cour de cassation énonce que le prêteur doit éclairer l’emprunteur qui décline l’assurance emprunteur de groupe et opte pour une assurance de prêt en délégation, quant à un éventuel défaut d’assurance en regard de sa situation personnelle.
Ainsi : « Lorsqu’un emprunteur n’adhère pas au contrat d’assurance de groupe proposé par la banque [...] il appartient à la banque de l’éclairer sur l’adéquation d’un défaut d’assurance à sa situation personnelle et de rapporter la preuve de l’exécution de son obligation ».
La banque est tenue d’apporter la preuve de la délivrance effective de cette obligation [20].
Mais, le préteur : « n’est pas tenu d’une obligation de conseil sur l’opportunité de souscrire une assurance complémentaire à l’assurance de groupe » [21].
Dans une assurance emprunteur de groupe, l’assureur doit informer explicitement l’assuré des risques non couverts :
« […] l’assureur qui propose sa garantie pour des risques définis dans la demande d’adhésion de l’assuré est tenu, lorsqu’il n’entend pas accorder à celui-ci sa garantie pour tous ces risques, de l’en informer de façon explicite et non équivoque et de rapporter la preuve qu’il a précisément porté cette restriction à sa connaissance ».
À défaut, la restriction de couverture pratiquée par l’assureur de groupe n’est pas opposable à l’assuré [22].
C’est dans ce marché particulièrement déséquilibré, mal contrôlé et sans proposition que s’inscrit l’obligation de conseil du distributeur d’assurance de prêt.
2. Les contenus juridiques détaillés de l’obligation de conseil en assurance de prêt, le prix de celle-ci et la sanction du devoir de conseil en assurance.
Réputée apparue au cours de l’incomparable année 1964, initialement dans la pratique du courtier d’assurance [23], l’obligation de conseil spécifique à l’assurance s’est dilatée jusqu’à sa formulation législative contemporaine, introduite en droit français fin 2018 [24].
Ses principes juridiques détaillés comportent des imprécisions et des incohérences : en passant outre la coexistence regrettable de deux définitions différentes de la distribution d’assurance [25], l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution croit bon d’analyser cette obligation de conseil en assurance selon trois variantes [26] alors que la loi n’en connait que deux [27].
2.1. L’importance éminente du diagnostic des besoins de l’assuré/emprunteur.
La Loi expose donc deux natures de conseil en assurance, sans les nommer : l’une, minimale, porte sur un contrat d’assurance [28] et l’autre, étendue, considère plusieurs contrats d’assurance [29].
Dans ses deux versions, les conseils sont nécessairement formulés de « manière […] impartiale » [30], comme le sont toutes les actions des distributeurs d’assurance. La Loi ne distingue donc pas les différentes versions de conseil en assurance selon un critère d’impartialité [31].
En revanche, la Loi distingue deux natures de conseil personnalisé : avec « analyse d’un nombre suffisant de contrats offerts par le marché » [32] ou sans cette analyse complémentaire étendue à plusieurs contrats.
Dans tous les cas, le distributeur d’assurance réalise : (i) le diagnostic des besoins d’assurance du candidat à l’assurance ; celui-ci est central ; en (ii) analysant les garanties d’au moins un contrat ; en (iii) proposant (conseillant) un contrat cohérent avec les besoins, et correspondant au marché-cible défini par le producteur (assureur) pour ce contrat [33] ; en (iv) motivant ce conseil [34] ; et (v) en formulant des explications adaptées à la complexité du contrat d’assurance proposé. En option, le distributeur d’assurance peut donc proposer sa recommandation personnalisée après l’examen d’« un ou plusieurs contrats ou options [qui] correspondent le mieux [aux] exigences et [aux] besoins » du client [35].
En pratique, le distributeur a tout intérêt à préciser qu’il délivre son devoir de conseil en assurance de prêt selon les dispositions minimales du Code des assurances [36]. Il précise en ce cas qu’il ne propose pas de conseil optionnel ou personnalisé [37].
La sanction du défaut de conseil est plutôt bien connue, y compris en assurance emprunteur. Des sanctions disciplinaires peuvent toucher le distributeur, notamment l’Intermédiaire [38], nécessairement immatriculé au Registre national unique des Intermédiaires [39] dans l’une des catégories d’Intermédiaires d’assurance. De même, les sanctions judiciaires sont à présent bien cernées. En cas d’absence de la garantie qui aurait été nécessaire, la sanction repose sur la notion de perte de chance, sans démonstration supplémentaire à apporter par l’assuré [40].
2.2. L’analyse spécifiques des garanties d’assurance de prêt et du prix de l’assurance emprunteur.
Comme dans tout contrat d’assurance, la bonne adéquation du couple formé par les garanties assurantielles et par leur coût pour l’assuré est essentielle, aux côtés du diagnostic des besoins de garanties de l’assuré [41].
Le conseil en assurance de prêt passe fondamentalement par la vérification de la bonne adéquation des garanties aux besoins exprimés par l’assuré. Celui-ci a tout intérêt à répondre avec la plus grande franchise aux questions de santé et relatives à ses pratiques, notamment sportives, qui lui sont posées, le cas échéant.
Les garanties d’assurance de prêt sont simples dans leurs principes : (i) décès (élémentaire pour protéger un contrat de prêt) ; (ii) Perte Totale et Irréversible d’Autonomie (PTIA) ; (iii) Incapacité Temporaire Totale (ITT) ; (iv) Incapacité Permanente Totale (IPT) ; (v) Invalidité Permanente Partielle (IPP) et (vi) perte d’emploi (chômage, coûteuse et rare).
Leur analyse approfondie est indispensable : définitions exactes retenue par le contrat, écarts avec celles de l’assurance-maladie, exclusions, franchises, délais maximum, carences, prise en compte (ou non) de l’évolution de l’état de santé de l’assuré. La notion de quotité assurée et sa répartition entre co-emprunteurs est déterminante.
En cas de substitution de contrat d’assurance, soit de remplacement d’un contrat de groupe par un contrat délégué, l’assuré doit présenter des garanties équivalentes [42]. Cette notion, limitée à dix-huit (18) critères, ne signifie pas des contrats aux garanties identiques.
Le prix fait souvent partie des besoins et des exigences de l’assuré : l’emprunteur a tout intérêt à déclarer que tel est le cas, notamment au prêteur, afin que ce dernier prenne cette donnée en considération.
Le prix de l’assurance emprunteur peut s’analyser, soit en montant (en valeur) : (i) montant de la prime mensuelle (prélèvement) d’assurance, en euros [43] ; (ii) coût total de l’assurance, en euros, soit pour la durée du prêt, soit pour huit (8) années [44] ; ou encore (iii), par un indicateur synthétique, le Taux Annuel Effectif d’Assurance, ou « TAEA » [45]. La ventilation du coût par garantie proposée est souvent éclairante.
L’aide d’un expert externe, tel qu’un Intermédiaire d’assurance [46], est particulièrement précieuse pour analyser efficacement les garanties, comme le coût de l’assurance de prêt. Le Taux Annuel Effectif d’Assurance, TAEA, est étroitement attaché au Taux Annuel Effectif Global [47] du prêt, lequel nécessite des explications précises. Tous les frais attachés à un prêt n’entrent pas dans le TAEG : le TAEA peut être égal à zéro, même en présence d’un coût nominal d’assurance emprunteur [48] Ce principe légal des coûts compris, ou exclus, du TEG/TAEG est rappelé par la Cour de Justice de l’Union Européenne [49].
Les principes de tarification sont à présenter à l’assuré et à analyser : selon le capital initial / selon le capital restant dû ; ou : selon l’âge à l’adhésion/ selon âge atteint au paiement de la prime.
Surtout, les contrats d’assurance de groupe tarifés selon des primes d’assurance dégressives, « lissées » dans les mensualités, sont à clarifier pour l’assuré : la prime d’assurance de ces contrats, très répandus, est calculée selon le capital restant dû et « lissée » avec l’échéance mensuelle du crédit. La prime d’assurance est variable, avec une mensualité globale (prêt + assurance) fixe (principe du lissage).
Dans ces contrats, le paiement du coût total de l’assurance n’est pas linéaire : il est inégal, évidemment plus fort en début de prêt. Le remboursement du crédit (amortissement) est donc moins rapide [50].
La preuve de la bonne délivrance de son obligation de conseil incombe toujours au distributeur [51]. Le distributeur doit donc impérativement disposer d’une fiche de conseil en assurance, conforme au droit applicable et adaptée aux spécificités de l’assurance distribuée [52]. La fiche de conseil en assurance emprunteur, nécessairement interne au distributeur, occupe donc une place fondamentale dans la sécurité juridique de celui-ci. Elle pacifie les relations entre le vendeur et l’assuré. Elle est foncièrement utile à l’assuré, lui permettant de comprendre les fonctions et les limites du contrat d’assurance qu’il souscrit.
Conclusion.
La « timidité » proverbiale des prêteurs d’argent, moquée par R. Kipling en 1931, s’explique naturellement par de justes principes de sécurité financière collective. En crédit immobilier aux Ménages, cet objectif est, de longue date, atteint par des méthodes d’octroi totalement maîtrisées.
La politique publique de destruction massive du crédit immobilier aux consommateurs, surgie depuis 2019 (au nom du « bon sens », une notion manifestement tardive) ne possède aucune justification, ni économique, ni juridique.
La France est plongée dans l’encadrement minutieux de l’octroi de crédit, la décision échappant désormais largement aux prêteurs. Dans ce contexte de prêts immobiliers rationnés, encore plus sûrs pour le système bancaire, la protection du prêteur par l’assurance de prêt participe activement au faible coût du risque des prêteurs français. Financée par les emprunteurs, cette protection des banques en crédit n’a aucune raison de passer par des contrats d’assurance imposés et surfacturés par celles-ci. Il est temps de rendre leur liberté et leur argent aux emprunteurs. Dans ce contexte, le devoir de conseil du distributeur d’assurance emprunteur prend une place essentielle pour améliorer la liberté des consommateurs. Les Intermédiaires, de crédit et d’assurance, occupent une fonction fondamentale dans ce processus de conseil. De même, la fiche de conseil adaptée à l’assurance de prêt, prêteur ou Intermédiaire, s’avère cruciale.