L’inefficacité sidérante de la règle du « différé de rémunération » dans l’intermédiation en opérations de banque en matière de protection des clientèles.
Pour protéger les consommateurs contre les intermédiaires bancaires indélicats, une idée de génie a surgi à la fin des années 1960 : le « différé de rémunération ». Dérogeant au droit commun du paiement de prestations, il interdit d’effectuer tout paiement à un intermédiaire bancaire avant « l’obtention d’un ou plusieurs prêts d’argent » (selon l’une de ses deux formulations légales, celle du Code de la consommation [1]). L’expansion des fraudes au crédit indique qu’il serait grand temps de reconnaître modestement que cette règle juridique de 1966 est en échec flagrant, en 2025. D’une part, cette règle juridique n’empêche aucunement les paiements de victimes, pour obtenir un crédit. Ce point devrait susciter des réflexions. D’autre part, cette règle juridique est dépassée, car le service de conseil indépendant en crédit l’a supprimée. En clair : la règle n’est plus la règle.
Le service de conseil indépendant en crédit, immobilier (depuis 2016), en financement aux professionnels (droit commun), bientôt en crédit à la consommation (2026 [2]) suit la règle générale de paiement : à la réalisation de la prestation [3]. En droit bancaire : il est donc parfaitement légal et désormais, fréquent, qu’un intermédiaire en opérations de banque, dans le cadre du service de conseil indépendant en crédit, sollicite une rémunération non seulement avant toute mise à disposition des fonds, mais avant même l’obtention d’un prêt. Ainsi, marteler à tous vents qu’aucun paiement ne peut être sollicité par un intermédiaire bancaire avant l’obtention d’un crédit est non seulement sans efficacité, mais juridiquement erroné depuis 2016. Les consommateurs accueillent ce retour à la règle générale, simplement parce qu’ils sont accoutumés au droit commun. Un peu d’audace : en mettant fin au « différé de rémunération » de l’intermédiaire bancaire, règle de paiement dérogatoire au droit commun, dépassée, illisible pour les consommateurs et dépourvue de tout effet protecteur, le législateur ferait disparaître une règle qui ne procure aucune protection contre les fraudes et rétablirait la clarté pour les consommateurs. Se débarrasser d’une illusion serait un pas vers la quête de solutions efficaces pour protéger les consommateurs.
Accessoirement, cette règle est même parfois détournée, par des Clients déloyaux. Ces derniers, rares, tentent en toute mauvaise foi [4] de profiter des prestations des intermédiaires bancaires, en essayant de ne pas les payer. La Jurisprudence des tribunaux civils se montre claire et ferme envers de tels procédés : elle condamne les clients des courtiers en crédit aux paiements des prestations effectuées [5]. À l’heure de l’encombrement judiciaire, voici sans doute un contentieux dont les tribunaux civils pourraient certainement se passer. Des voix s’élèvent pour suggérer la réforme de cette rémunération de l’intermédiaire bancaire « au résultat », pour lui préférer une rémunération économiquement « plus juste » (Voir l’article [Point de vue] Rémunération des courtiers-IOBSP : entre rigueur réglementaire et quête d’indépendance. Par Dorian-Jacob Le Bay, Juriste.). Décidément, non : interdire aux intermédiaires bancaires de percevoir toute rémunération « avant la mise à disposition des fonds d’un crédit » (pour citer cette fois l’autre formulation légale, celle du Code monétaire et financier [6]) n’apporte aucune protection aux emprunteurs.
Une priorité : protéger les consommateurs contre les fraudes bancaires et au crédit.
Il reste à inventer des mesures efficaces de protection des populations et des emprunteurs, notamment contre les fraudes au crédit. Susciter leur vigilance lors de paiements devrait être l’objectif central. Tout paiement doit faire l’objet de contrôles.
En matière de paiements frauduleux, la Jurisprudence tergiverse encore entre la protection des banques (et de leurs assureurs de responsabilité civile professionnelle) et celle des consommateurs. Un classique de métaphysique judiciaire du droit bancaire. La Cour de cassation cultive ainsi son tropisme manifestement acquis à la préservation de l’oligopole des banques françaises. Dans un sens, la défense d’un monde (bancaire) qui s’écroule suscite la compassion. En attendant, les règles juridiques applicables aux fraudes de paiements s’affinent ; leurs modalités d’application sont encore gazeuses. Ainsi la Cour de cassation annonce fermement « Les banques doivent rembourser leurs clients victimes d’escroquerie bancaire » ; sauf : « en cas de négligence grave » de la victime. Qu’est-ce qu’une « négligence grave » ? Voilà de quoi nourrir une salle de cours de droit bancaire. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’il revient au Consommateur de vérifier que l’IBAN [7] qu’il désigne pour un virement correspond bien à l’identité du bénéficiaire du virement [8]. Il est en effet de notoriété publique - et l’information est entrée dans les salles d’audience de la Cour de cassation - que les consommateurs disposent d’outils puissants pour vérifier qui sont les titulaires effectifs des comptes bancaires (…). La banque doit toujours démontrer que les opérations contestées ont été exécutées « sans déficience technique » [9] de sa part [10]. Tout paiement peut être contesté dans un délai de treize mois [11]. La procédure de rappel de fonds (« recall ») déjà virés à un compte tiers n’est guère convaincante ; elle ne fonctionne pas si le compte est hors de la zone euro [12].
Dans le même temps, les virements instantanés et gratuits se sont généralisés (9 janvier 2025). Ce choix de calendrier laisse pantois. Il faudra patienter jusqu’au 1er octobre 2025, pour que les banques aient (enfin) l’obligation d’effectuer le contrôle de la cohérence entre un numéro d’IBAN et le détenteur effectif du compte correspondant [13]. Les fraudeurs s’adapteront, sans aucun doute.
Face au phénomène de fraude au crédit, les intermédiaires en opérations de banque, professionnels rigoureux, réglementés et immatriculés au registre national unique des intermédiaires seulement après des vérifications sérieuses effectuées par l’ORIAS, vérifiés également par les associations professionnelles agréées [14] dont les courtiers sont membres, diffusent activement une bonne culture de protection des populations et des consommateurs. Un authentique courtier en crédit peut aider un consommateur dans toute démarche de recherche de crédit. Le courtier en crédit est un remède au doute, en crédit. Un avocat est en mesure d’aider un consommateur à valider la nature d’un contrat avec un intermédiaire bancaire, ou la qualité juridique effective d’une personne qui se réclame de cette profession réglementée, ou encore un projet de contrat de crédit et la réalité du prêteur qui l’émet. Surtout : la culture bancaire et financière est, plus que jamais, nécessaire. Des entités se mobilisent pour promouvoir l’éducation financière [15]. Dans ce domaine, il serait judicieux de quitter la contemplation pour entrer dans une action d’éducation financière de très grande ampleur. Les intermédiaires bancaires s’y associent.
La fraude, y compris au crédit, s’étoffe : l’intelligence, artificielle soutient déjà la fraude, bien réelle. Evolution qui devrait ouvrir des espoirs et des outils nouveaux pour lutter contre cette forme d’insécurité financière, notamment mis à disposition par les banques à leurs clients en services de paiement. Pour favoriser la vigilance chez les clients, ou tout simplement, pour cultiver un réflexe efficace avant tout paiement, deux grands principes se montrent supérieurs : (i) pas de communication de données de paiement à des tiers ; (ii) pas de paiement sans identification certaine du bénéficiaire du paiement. Une situation particulière devrait systématiquement éveiller l’attention de tout consommateur : une demande de virement, combinée à une urgence quelconque. Pas de paiement dans l’urgence. Y compris en crédit. En attendant des protections techniques efficaces, ces deux principes et cette situation particulière sont à diffuser, sans réserve.
Face à la fraude, la seule urgence dans le monde bancaire et du crédit, c’est bien la protection des populations et des clientèles.