Le mécanisme de la soulte a longtemps été considéré comme une manière aisée d’appréhender une partie de la trésorerie excédentaire d’une société, en franchise totale d’impôt.
Souhaitant limiter ce type de schéma, le législateur et le Comité de l’abus de droit fiscal ont décidé de mettre un terme à cette pratique astucieuse, qui appartiendrait donc désormais au passé.
Dans un premier temps, le Comité de l’abus de droit fiscal est venu considérer ce type d’opération comme abusif.
Par la suite, l’article 32 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 est venu modifier le traitement fiscal de la soulte perçue par l’apporteur lors d’une opération d’échange ou d’apport.
Cette double limitation vient donc remettre en cause l’intérêt même du versement d’une soulte.
Le présent article a pour objet de faire le point sur le régime fiscal applicable depuis le 1er janvier 2017 et sur le risque encouru par les contribuables ayant réalisé ce type d’opérations avant cette date.
I. Contexte du versement d’une soulte en cas d’apport de titres
A titre liminaire, il est rappelé que le présent article a pour objet de traiter de la soulte dans le cadre d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés.
Ce type d’opération permet au contribuable de bénéficier (i) d’un report d’imposition sur le fondement de l’article 150-0 B ter du CGI (lorsqu’il possède le contrôle de la société bénéficiaire à la suite de l’opération) ou (ii) d’un sursis d’imposition (art. 150-0 B du CGI).
Les deux mécanismes, bien que différents, ont la même finalité : éviter au contribuable d’avoir à régler l’imposition relative à la plus-value d’apport.
En effet, à l’occasion d’un apport pur et simple de titres (les « titres remis »), l’apporteur ne se voit rémunéré que par des titres de la société bénéficiaire (les « titres reçus »), sans qu’aucune trésorerie ne lui soit reversée.
C’est pour cela que le législateur a prévu un mécanisme de différé d’imposition, permettant à l’apporteur de n’avoir à régler l’imposition correspondante qu’à l’occasion de la revente des titres remis ou reçus, sous certaines conditions.
Il est rappelé que ce report concerne aussi bien l’imposition à l’impôt sur le revenu que les prélèvements sociaux.
Ainsi, l’opération d’apport ne donne en principe pas lieu à imposition immédiate, afin de faciliter les restructurations d’entreprises.
C’est à l’occasion de la réalisation de ce type d’opération que le législateur avait prévu la possibilité du versement d’une « soulte » en numéraire par la société bénéficiaire de l’apport.
Cette soulte permet à la société bénéficiaire de verser à l’apporteur une somme d’argent. Toutefois, au sens juridique du terme, le versement de cette somme visait à compenser les disparités d’échanges (en présence de rompus).
Au niveau fiscal, les textes (anciens articles articles 92 B, 160 I ter, 150-0 B et 150-0 B ter du CGI) renvoyant à la notion de soulte n’ont jamais fait référence à la notion de rompus ou de disparité d’échange.
En conséquence, la notion de soulte au sens fiscal apparaît détachée de la notion de soulte au niveau purement juridique.
II. Les modalités de calcul de la soulte en cas d’apport de titres
Concernant l’application de la soulte à une opération d’apport, il convient de rappeler que le montant de la soulte doit être calculé « en dedans ».
En effet, la soulte correspond à une partie du montant des titres remis au moment de l’opération. Il ne s’agit pas d’une somme supplémentaire reversée à l’apporteur par la société bénéficiaire.
En conséquence, le montant de la soulte doit être calculé comme suit :
Exemple :
La valeur des titres remis par Monsieur X à sa société holding est de 100.000 €.
Le montant maximum de la soulte sera de : 100.000 / 11 = 9.000 €.
Dans cet exemple, la valeur nominale des titres reçus serait de 91.000 € (soit le capital social de la société holding) et M. X toucherait 9.000 € de soulte (soit 100.000 € au total)
Ainsi, le montant de la soulte (9.000€) est bien inférieur au 10% du montant de la valeur nominale des titres reçus (91.000€).
III. Le traitement fiscal de la soulte en cas d’apport de titres avant le 1er janvier 2017
Antérieurement au 1er janvier 2017, en cas de versement d’une soulte dans le cadre d’un échange de titres, la totalité de la plus-value et de la soulte perçue pouvait bénéficier d’un différé d’imposition, à la condition que ladite soulte n’excédait pas 10% de la valeur nominale des titres reçus (anciens articles 150-B et 150-0 B ter du CGI).
Toutefois, le Comité de l’Abus de Droit Fiscal (CADF), à l’occasion de l’analyse de 4 affaires distinctes, a estimé que ce type de montage constituait un abus de droit par principe.
A. Le principe du report ou du sursis d’imposition de la soulte n’excédant pas 10%
En vertu de l’article 150-0 B du Code général des impôts, les plus-values constatées à l’occasion des opérations suivantes, réalisées en France, dans un État membre de l’Union européenne ou dans État ayant conclu une convention fiscale avec la France, peuvent bénéficier de plein droit d’un sursis d’imposition ; il s’agit :
- des offres publiques d’échange, d’achat, de rachat ou de retrait ;
- des fusions, scissions, absorptions d’un fonds commun de placement par une société à capital variable ;
- des conversions, divisions ou regroupements ;
- des apport de titres à une société assujettie à l’impôt sur les sociétés.
En vertu de l’article 150-0 B ter du Code général des impôts, les plus-values constatées à l’occasion de l’apport de titres à une société assujettie à l’impôt sur les sociétés et contrôlée par l’apporteur à la suite de l’opération sont placées de plein droit en report d’imposition.
Ces deux régimes de faveur trouvaient à s’appliquer sur l’intégralité du montant de la plus-value et de la soulte versée, lorsque l’opération donnait lieu au versement d’une soulte n’excédant pas 10% de la valeur nominale des titres reçus.
Comme rappelé (infra), l’intérêt de ce mécanisme était de permettre à l’apporteur d’obtenir des liquidités immédiatement en franchise d’impôt.
B. Le versement de la soulte comme nouvel abus de droit au sens du Comité national de l’abus de droit fiscal
La possibilité pour l’apporteur d’obtenir un revenu non fiscalisé est, comme souvent, remise en cause par l’Administration fiscale sur le fondement de l’abus de droit.
En particulier, à l’occasion de l’analyse des situations qui lui étaient soumises, le CADF a pu considérer que ces opérations ne présentaient pas d’intérêt économique pour l’entreprise bénéficiaire de l’apport et que le but poursuivi par ce montage était donc exclusivement fiscal puisqu’il s’agit pour l’apporteur de toucher des liquidités en franchise d’impôt (lien).
Ce type d’opération a par ailleurs été ajouté à la liste des pratiques et montages abusifs (lien).
En effet, selon le Comité, le but poursuivi par le législateur lorsqu’il a instauré le mécanisme du sursis d’imposition était de faciliter les restructurations d’entreprises.
Il s’agissait d’éviter que la fiscalité applicable soit un frein à ce type d’opération.
Toujours selon le Comité, l’inclusion de la soulte dans la plus-value faisant l’objet d’un sursis d’imposition s’inscrivait dans le même objectif. Il serait donc nécessaire que le versement de la soulte s’inscrive dans la restructuration d’une entreprise et que la société bénéficiaire de l’apport ait un intérêt économique à la verser à l’apporteur pour éviter qu’un abus de droit soit qualifié.
Il nous semble difficilement justifiable qu’une société holding trouve un intérêt économique à sortir des liquidités au profit d’un de ses associés, notamment lors de sa constitution, sous réserve du versement d’une soulte afin de compenser la parité d’échange.
Or, le législateur, en matière fiscale, n’a jamais fait de lien entre la parité d’échange au sens juridique et la parité d’échange au sens fiscal.
C’est ainsi qu’il a été décidé, depuis 2000, que la soulte inférieure à 10% de la valeur des titres reçus ne soit pas imposée immédiatement.
Dans l’hypothèse où le législateur aurait souhaité lier les notions de soulte juridique et de soulte fiscale, il aurait pu simplement limiter le report d’imposition au montant de la soulte venant compenser la présence de rompus.
Le fait que le législateur ait opté pour un montant de soulte inférieur à 10% de la valeur nominale démontre que ce mécanisme visait à permettre à l’apporteur de titres de bénéficier immédiatement d’une partie de son apport, sous forme de trésorerie non imposée.
Ce mécanisme a ainsi été utilisé pendant de nombreuses années et constituait l’un des seuls moyens permettant à un associé d’appréhender une partie de la trésorerie de sa société en franchise totale d’impôt.
Au vu de cette situation, le Comité semble strictement limiter l’intérêt du versement d’une soulte dans le cadre d’un apport ouvrant droit à un sursis d’imposition.
Il nous semble que cette solution est parfaitement transposable à une opération ouvrant droit à un report d’imposition.
Suite à cet avis du Comité de l’abus de droit fiscal, on peut penser que tous les reports ou sursis d’imposition s’étant appliqués à des plus-values intégrant une soulte avant le 1er janvier 2017 peuvent être remis en cause par l’Administration fiscale sur la base de l’abus de droit.
Il convient cependant de conserver à l’esprit que cette vision reste l’interprétation du CADF et qu’il pourrait donc être remis en cause par les juridictions saisies.
C’est dans ce contexte que le législateur est intervenu pour régler la question du traitement fiscal de la soulte perçue lors d’une opération d’échange ou d’apport.
IV. L’imposition immédiate de la soulte en cas d’apport après le 1er janvier 2017
Il est rappelé qu’antérieurement à la loi n°99-1172 du 30 décembre 1999 de finances pour 2000, les soultes reversées à l’occasion d’un apport étaient immédiatement imposées (anciens articles 160, I ter et 92 B du CGI).
Depuis 2000, le législateur avait donc volontairement mis fin à l’imposition des soultes reversées à l’occasion des opérations d’apport (dans la limite du versement d’une soulte inférieure à 10% des titres reçus).
Cette volonté avait par ailleurs été confirmée en 2012 lors de la création du mécanisme du report d’imposition.
Toutefois, à l’occasion du vote de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, et suite à l’avis du Comité, le législateur est encore une fois revenu sur sa position en matière d’imposition de la soulte.
Depuis cette date, en cas de versement d’une soulte dans le cadre d’un échange de titres, la plus-value constatée est immédiatement imposée à concurrence du montant de ladite soulte.
Bien que le principe de l’imposition soit clairement établi par la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, les modalités de cette imposition ne sont pas encore, à notre sens, clairement déterminées.
A. L’imposition de la plus-value à concurrence du montant de la soulte perçue
Les modalités d’obtention d’un sursis ou d’un report d’imposition, lorsque l’opération donne lieu au versement d’une soulte n’ont pas été modifiées ; le seuil de 10% de la valeur nominale des titres reçus est maintenu.
A cet égard, dans l’hypothèse où la soulte est inférieure au seuil de 10% de la valeur nominale des titres reçus, la plus-value d’apport peut bénéficier du report ou du sursis d’imposition (selon les modalités décrites ci-après).
En revanche, depuis le 1er janvier 2017, la soulte perçue n’est plus incluse dans le report ou le sursis d’imposition et doit être immédiatement imposée (art. 150-0 B et 150-0 B ter nouveaux du CGI).
En conséquence, il conviendra de distinguer deux hypothèses :
- Lorsque la soulte sera d’un montant inférieur à la plus-value, la soulte sera immédiatement taxable et le reliquat de plus-value bénéficiera d’un sursis ou d’un report d’imposition ;
- Lorsque la soulte sera d’un montant supérieur à la plus-value, la totalité de la plus-value sera immédiatement taxable et une partie de la soulte fera l’objet d’une imposition différée.
Cette solution avait été retenue pour les deux régimes de report d’imposition applicables aux plus-values constatées avant le 1er janvier 2000, qui avaient été modifiés par l’article 94 de la loi n°99-1172 du 30 décembre 1999 de finances pour 2000, et nous semble donc à nouveau applicable à compter du 1er janvier 2017.
B. Les modalités d’imposition de la soulte
Les modalités d’imposition de cette soulte posent encore question.
En effet, rien n’est précisé dans la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.
En outre, on ne peut se référer au régime antérieur au 1er janvier 2000 puisque, depuis le 1er janvier 2013, les plus-values font l’objet d’une taxation au régime du barème progressif de l’impôt sur le revenu après une éventuelle application des abattements pour durée de détention (classiques ou renforcés).
Dès lors, bien qu’il ne fasse aucun doute que cette soulte sera taxée au titre de l’impôt de le revenu et aux prélèvements sociaux, il est possible de s’interroger sur l’application des abattements pour durée de détention.
Deux hypothèses sont donc à distinguer :
- Le montant de la soulte imposable peut être calculée en fonction du montant de la plus-value avant application de l’abattement pour durée de détention ;
Exemple : dans l’hypothèse où la valeur des titres remis par Monsieur X à sa société holding serait de 100.000 € et qu’il les aurait acquis 3 ans plus tôt pour 90.000 €, une plus-value de 10.000 € serait constatée.
Comme dans l’exemple précédant, Monsieur X touche une soulte de 9.000 €.
Dès lors, la soulte est immédiatement imposable et le reliquat de plus-value de 1.000 € fera l’objet d’un report ou d’un sursis d’imposition.
L’abattement de droit commun pour durée de détention s’appliquerait alors à la soulte d’un montant de 9.000 €. Ainsi, la base imposable serait de 4.500 € (hypothèse de l’abattement classique).
- L’assiette de l’imposition de la soulte peut être calculée après application de l’abattement pour durée de détention ;
En reprenant les mêmes hypothèses, après application de l’abattement de droit commun pour durée de détention sur le montant total de la plus-value, le montant taxable de la plus-value serait de 5.000 € (50% d’abattement).
A notre sens, il est à espérer que l’administration fiscale se prononcera assez rapidement sur les modalités d’imposition de la soulte reçue dans le cadre d’un échange de titres afin de mettre fin à l’insécurité juridique dans laquelle se trouvent actuellement les contribuables.
Discussion en cours :
l’échange des actions "ingenico-worldline" est si alambiqué que votre article éveillé encore plus de méfiance sur une situation obligatoire !
Tenant des titres depuis plus de Vingt ans que va-t-il réellement se passer ??
Votre article ouvre les yeux mais laisse perplexe et anxieux ......