En droit des contrats, la force majeure se définit traditionnellement comme une circonstance excédant la volonté des parties qui empêche l’exécution de leurs obligations respectives. À ce titre, l’article 269 du Dahir des obligations et des contrats dispose en son premier alinéa que
« La force majeure est tout fait que l’homme ne peut prévenir, tel que les phénomènes naturels (inondations, sécheresses, orages, incendies, sauterelles), l’invasion ennemie, le fait du prince, et qui rend impossible l’exécution de l’obligation ».
La relation de travail étant entretenue par l’employeur et le salarié dans le cadre d’un contrat, celle-ci ne serait pas conséquemment à l’abri de la survenance d’un cas de force empêchant ceux-ci d’honorer les obligations y étant prévues.
Toutefois, la notion de force majeure en droit du travail demeure insuffisamment explorée dans la mesure où le Code du travail ne contient que quelques dispositions se rapportant aux conséquences de la survenance d’un tel évènement sur la relation contractuelle de travail.
Il est possible de citer à titre d’illustration l’article 33 du Code du travail qui dispose en son deuxième alinéa que
« La rupture avant terme du contrat du travail à durée déterminée provoquée par l’une des parties et non motivée par la faute grave de l’autre partie ou par un cas de force majeure donne lieu à dommages-intérêts ».
Il s’ensuit que la rupture d’un contrat à durée déterminée non motivée par la survenance d’un cas de force majeure donne droit à la partie n’ayant pas initié la résiliation à des dommages-intérêts. Inversement, lorsque la rupture dudit contrat est effectivement due à un cas de force majeure, la partie s’estimant lésée ne pourra prétendre à des dommages-intérêts étant donné qu’un tel élément outrepasse la volonté de la partie défaillante.
En ce qui se rapporte au contrat à durée indéterminée, le Code du travail ne fournit aucune précision au sujet des effets juridiques produits par la force majeure qui frappe un contrat de telle nature et se limite à préciser par le biais du dernier alinéa de l’article 43 dudit texte que « L’employeur et le salarié sont dispensés du respect du délai de préavis en cas de force majeure ». Il en ressort que l’employeur et le salarié sont exemptés de l’obligation d’observer le délai de préavis lorsque la rupture du contrat de travail à durée indéterminée est due à une force majeure.
Pour cela et en l’absence de dispositions explicites en la matière, nous jugeons nécessaire de nous pencher plus en profondeur sur ce sujet afin de relever les éventuels retentissements de la force majeure sur le contrat de travail à durée indéterminée. Nous verrons que le juge intervient de manière capitale dans l’appréciation des circonstances de la rupture de la relation de travail d’autant plus lorsque cette rupture est due à un cas de force majeure.
Il convient ainsi de délimiter la force majeure à travers la détermination de ses conditions pour ensuite l’analyser à travers les dispositions du Code de travail marocain.
I. Le régime commun de la force majeure.
A. La notion de force majeure.
La notion de force majeure peut revêtir plusieurs formes. Il peut s’agir d’un fait de la nature, d’une cause ayant pour source un fait de l’homme ou encore un cas fortuit et qui rendent l’exécution du contrat de travail impossible ou difficile à exécuter, notamment en matière de fait du prince ou d’intervention de l’administration.
Généralement, il est admis que la force majeure et le cas fortuit sont des notions interchangeables attendu le Dahir des obligations et contrats utilise ces deux notions indistinctement dans plusieurs articles. Pour les partisans d’une distinction, la force majeure serait un évènement externe, imprévisible et irrésistible tandis que le cas fortuit est certes imprévisible mais demeure un évènement interne au débiteur. Il n’en demeure pas moins que ces deux notions partagent les mêmes effets [1].
La lecture de l’article 268 du Dahir des obligations et des contrats laisse penser que la notion de cause étrangère peut être plus adéquate et englobe tous les évènements qui rendent impossible l’exécution de l’obligation. D’ailleurs, dans un même ordre d’idées, cet article cite la force majeure, le cas fortuit et la demeure du débiteur comme étant de simples exemples,
« il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts, lorsque le débiteur justifie que l’exécution ou le retard proviennent d’une cause qui ne peut lui être imputée, telle que la force majeure, le cas fortuit ou la demeure du créancier ». En d’autres termes, les juges détermineront pour chaque évènement si l’évènement invoqué par le débiteur est ou non une cause étrangère exonérant le débiteur de la mise en œuvre de sa responsabilité contractuelle [2].
B. Les caractéristiques de la force majeure.
Si la cause étrangère est protéiforme et peut revêtir plusieurs aspects, la loi retient généralement, en premier lieu, la force majeure comme un évènement exonérant par excellence le débiteur de l’engagement de sa responsabilité pour inexécution contractuelle. La tendance actuelle est qu’elle doit revêtir trois caractères : elle doit être extérieure, irrésistible et imprévisible [3].
Un événement extérieur.
L’alinéa premier de l’article 269 du Dahir des obligations et des contrats permet de déceler le caractère extérieur de la force majeure en évoquant des exemples comme les inondations, la sécheresse, les orages, les incendies, les sauterelles, l’invasion, ennemie ou encore le fait du prince. Il s’agit d’évènements qui sont extérieurs à la volonté des parties et spécialement de celle du débiteur contractuel.
La jurisprudence a eu à qualifier des évènements de force majeure et à enlever à d’autres évènements ce caractère. Ainsi, en vertu d’un ancien arrêt rendu par la Cour de cassation française en date du 5 janvier 1949, alors qu’elle faisait office de Haute cour pendant le protectorat français sur le Maroc, avait décidé ce qui suit « en constatant l’impossibilité pour le vendeur d’exécuter la livraison des sacs promis, par suite de réquisition par l’autorité militaire dans ses magasins des sacs objets du marché et d’autre part de son impossibilité à se réapprovisionner du fait de la guerre, les juges peuvent en déduire légitimement l’existence d’un cas de force majeure exclusif d’une allocation de dommages intérêts » [4].
Dans un autre arrêt rendu par la Cour d’appel de Rabat en date du 7 juin 1928, il a été décidé que l’éclatement d’un pneu au cours d’un transport bénévole en automobile, ne doit pas être considéré comme un cas de force majeure. Selon cette juridiction « on ne peut y voir qu’une négligence ou imprudence légères habituelles aux conducteurs, inhérentes en quelque sorte à ce genre de locomotion et dont on ne saurait dire qu’elles n’auraient pas été commises par un bon père de famille, soucieux de ses propres intérêts » [5].
La jurisprudence ancienne n’a pas déduit l’élément de l’extériorité dans la cause obscure ou inconnue d’un accident et par conséquent n’a pas conclu l’existence d’une force majeure ou d’un cas fortuit [6]. Il en est de même pour « la rupture du câble de commande des freins d’une automobile, rupture contre laquelle le gardien de la chose avait l’obligation de se prémunir en faisant procéder à toutes les vérifications utiles » [7].
Dans un même esprit, la Cour suprême (la Cour de cassation actuellement) a considéré par un arrêt du 15 janvier 2008 que la maladie du débiteur ne peut pas être considérée comme un cas de force majeure [8]. De son côté, la Cour de cassation française n’a pas considéré, dans un arrêt rendu en date du 14 mai 1969, l’incarcération du débiteur comme un fait imprévisible étranger à la personne elle-même [9].
Dans le contexte de la présente étude et au sujet de la qualification de la grève en un cas de force majeure revêtant un caractère extérieur à la volonté du débiteur, un débat peut être engagé au niveau de l’origine du mouvement de grève en ce sens qu’il sera nécessaire d’identifier s’il puise sa source dans une cause purement externe ou si celui-ci est provoqué par un agissement de l’employeur, auquel cas, la grève ne pourra constituer un cas de force majeure.
Pour sa part, la jurisprudence qualifie la grève de force majeure si ce mouvement est imprévisible et irrésistible [10].
Par contre, il a été admis que la grève justifiée par des licenciements massifs auxquels a procédé l’entreprise, n’est pas considérée comme une force majeure [11].
La Cour de cassation française, concernant les grèves des salariés de la SNCF déclenchées en raison d’une décision gouvernementale affectant le régime des retraites, a estimé que la cause des tensions sociales provoquant ces grèves n’émane pas de la SNCF mais avait pour source une cause externe et par conséquent, il y avait lieu de retenir le cas de force majeure du moment que l’extériorité de la cause est présente dans le cas d’espèce [12].
Un événement imprévisible.
L’exigence des trois éléments de la force majeure est très discutée en droit français et a abouti avec la réforme du droit des contrats du 10 février 2016 à reconnaître à l’élément de l’imprévisibilité une certaine autonomie par rapport aux autres éléments.
Cette tendance, amorcée par la jurisprudence, a été retenue par le nouvel article 1218 du Code civil français qui prévoit qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». L’extériorité et l’imprévisibilité apparaissent comme deux éléments distincts [13] et entre l’imprévisibilité et l’irrésistibilité, il y a un certain rapprochement [14].
On retiendra toujours les trois éléments de la force majeure partant du fait que les juges apprécieront, selon chaque cas d’espèce, l’impossibilité pour le débiteur à exécuter ses obligations contractuelles en raison de causes étrangères.
Le déclenchement d’une tempête peut être perçu différemment selon les circonstances inhérentes à l’environnement où elle a eu lieu dans la mesure où elle peut être prévisible en bord de mer et ne pas l’être ailleurs [15]. De même, en fonction des saisons, une tempête se déclenchant en été, est plus perçue comme une force majeure que si l’évènement a eu lieu en hiver qui est la saison des tempêtes par excellence et est ainsi plus prévisible [16] ou encore par exemple, si un emplacement précis est communément considéré comme une zone à risque et où ce phénomène est très fréquent [17]. Les juges conservent un pouvoir appréciateur du phénomène climatique en question et prendront en considération tous les éléments leur permettant de déterminer l’étendue ou l’exonération de la responsabilité contractuelle du débiteur de l’obligation.
Le Dahir des obligations et contrats retient également le fait du prince qualifié de force majeure. L’article 269 du dahir des obligations et des contrats prend le soin de préciser que ce fait doit rendre impossible l’exécution de l’obligation. Dans le cas où l’obligation est devenue plus difficile à exécuter, le débiteur ne pourra se prévaloir de la force majeure exonératoire de l’obligation attendue que seule l’impossibilité de l’exécution entraîne l’extinction de plano de celle-ci.
Un événement irrésistible.
L’article 269 du Dahir des obligations et des contrats ne précise aucunement que la force majeure revêt un caractère irrésistible mais se limite plutôt à indiquer que cette dernière rend impossible l’exécution de l’obligation. L’inexécution est alors une conséquence de l’irrésistibilité de cette force invincible que le débiteur ne peut contourner. Cela suppose que le débiteur ne doit commettre aucun fait ou faute susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle et ce, même en la présence d’un cas fortuit ou d’un cas de force majeure. De surcroît, l’irrésistibilité ne doit pas conduire seulement à une difficulté dans l’exécution ou à une exécution plus onéreuse mais elle doit rendre l’obligation impossible à exécuter [18].
Dans certains contrats ayant un objet spécifique, il est inconcevable de parler d’une impossibilité dans l’exécution du contrat. Ainsi, dans les contrats portant sur une chose fongible, le débiteur est tenu de remplacer l’objet perdu par un autre et à l’identique. Il en est de même pour les contrats de prêts de somme d’argent dans la mesure où il est inconcevable pour un débiteur de somme d’argent d’invoquer la force majeure dans l’inexécution contractuelle consistant à effectuer un paiement en monnaie [19].
Dans le cadre de la relation de travail, la force majeure qui peut, entre autres, être irrésistible, est à même de justifier la cessation d’un contrat de travail à durée déterminée et ce avant son terme et ne donne lieu à aucune réparation [20]. Cette cause étrangère exonère l’employeur et le salarié d’observer le délai de préavis imposé par la loi pour les contrats de travail à durée indéterminée. Dans les cas ordinaires, l’employeur doit avant de pouvoir résilier le contrat accorder au salarié le délai de préavis prévu par la loi, le contrat ou la convention collective et le salarié, de son côté, doit observer la même formalité avant de pouvoir initié la rupture du contrat au moyen d’une démission [21].
Pour autant et conformément à l’article 54 du Code de travail, la force majeure n’anéantit pas le contrat mais le suspend seulement et les heures d’arrêt sont considérées comme des heures de travail effectif, cet article prévoit expressément que :
« Sont considérées comme périodes de travail effectif :
les périodes de congé annuel payé ;
Les périodes de repos de femmes en couches prévues par les articles 153 et 154 ci-dessous et la période de suspension du contrat de travail prévue par l’article 156 ci-dessous ;
La durée de l’incapacité temporaire de travail lorsque le salarié a été victime d’un accident du travail ou a été atteint d’une maladie professionnelle ;
Les périodes où l’exécution du contrat de travail est suspendue, notamment pour cause d’absence autorisée, de maladie ne résultant pas d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, de fermeture temporaire de l’entreprise par décision administrative ou pour cas de force majeure ».
Cette règle est reprise par l’article 239 du même texte qui prévoit que
« pour le calcul de la durée du congé annuel payé, sont considérées comme périodes de travail effectif et ne sauraient être déduites du congé annuel payé :
les périodes du congé annuel payé au titre de l’année précédente ou la période due au titre du délai de préavis de licenciement ;
les périodes pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu dans les cas prévus aux 1°, 2°, 3°, 4° et 5° de l’article 32, ainsi que pour cause de chômage, d’absence autorisée ne dépassant pas dix jours par an, de fermeture temporaire de l’établissement par décision judiciaire ou administrative ou pour cas de force majeure ».
Il s’ensuit que les articles précités bénéficient au salarié plus qu’à l’employeur dans la mesure où ce dernier ne sera pas exonéré de s’acquitter des indemnités de préavis et de licenciement notamment lorsque le fonds de commerce est exproprié [22] ou lorsque l’activité est ralentie pour des considérations techniques [23] ou pour raison d’incendie [24].
En droit français en revanche, si l’incarcération de l’employeur n’a pas d’effet suspensif sur les contrats de travail [25], celle du salarié termine le contrat de travail [26].
À ce sujet et au niveau du droit marocain, beaucoup d’aberrations peuvent être constatées quant à l’application des règles du Code du travail dans le sens où l’article 39 du Code de travail ne considère pas l’incarcération du salarié comme une faute grave même si l’infraction pénale est reconnue par le salarié du moment qu’une décision définitive privative de liberté n’a pas été rendue. Ajoutons à cela, l’interprétation erronée de l’article 62 du Code du travail par la Cour de cassation qui considère, à tort, la procédure d’audition comme une procédure obligatoire et impérative dont l’inobservation entraîne de facto la qualification abusive de la résiliation de la relation du travail par l’employeur même si le salarié reconnait avoir commis une faute grave.
La lecture de l’article 62 du Code de travail laisse conclure que cette procédure n’est ni obligatoire, ni impérative ; l’employeur peut, juridiquement parlant, passer outre sans entrainer pour lui aucune sanction juridique.
Cet article prévoit qu’
« avant le licenciement du salarié, il doit pouvoir se défendre et être entendu par l’employeur ou le représentant de celui-ci en présence du délégué des salariés ou le représentant syndical dans l’entreprise qu’il choisit lui-même dans un délai ne dépassant pas huit jours à compter de la date de constatation de l’acte qui lui est imputé. Il est dressé un procès-verbal à ce propos par l’administration de l’entreprise, signé par les deux parties, dont copie est délivrée au salarié. Si l’une des parties refuse d’entreprendre ou de poursuivre la procédure, il est fait recours à l’inspecteur de travail » [27].
II. Le régime particulier de la force majeure en droit du travail.
A. La notion de force majeure en droit du travail.
Le texte du 11 septembre 2003 donne une définition erronée de la force majeure et introduit pour la première fois la notion de ‘cause accidentelle’ tout en retenant le cas fortuit comme une cause étrangère exonérant le salarié de certaines obligations découlant du contrat.
On retrouve quelques illustrations de la force majeure dans l’article 352 du Code du travail qui prévoit que
« sont considérées comme périodes de travail effectif et ne peuvent être déduites de la durée des services entrant en ligne de compte pour l’attribution de la prime d’ancienneté :
les périodes de suspension du contrat de travail (…) ;
le congé annuel payé ;
l’interruption temporaire du travail par suite d’un arrêt de fonctionnement de tout ou partie de l’entreprise résultant d’un cas de force majeure, telles que catastrophe, panne du courant électrique, réduction ou pénurie de matières premières ;
la fermeture temporaire de l’entreprise en raison d’un cas de force majeure, d’une décision judiciaire ou d’une décision administrative ».
Conformément à cet article, la panne électrique, la réduction ou la pénurie de matières premières sont considérées comme des cas de force majeure alors que par définition celle-ci rend, tout d’abord, impossible l’exécution de l’obligation et, ensuite, elle est tout fait que l’homme ne peut prévenir - ces deux caractères étant précisés par l’article 269 du Code du travail.
Il y a lieu de remarquer que, primo, la panne d’électricité ne rend pas impossible l’exécution de l’obligation et, secundo, elle n’est pas imprévisible dans la mesure où toutes les entreprises diligentes et soucieuses des intérêts de ses clients disposent, par exemple, de groupe électrogène au cas où il y aurait une rupture brusque du courant électrique ; plus encore, le fait pour une entreprise de ne pas prévoir une énergie alternative en cas de panne électrique est constitutif d’une faute de négligence grave ou d’une faute lourde.
L’article 269 du DOC ayant tracé les contours de la force majeure dispose expressément que « n’est pas (…) considérée comme force majeure la cause qui a été occasionnée par une faute précédente du débiteur », et la négligence est bien, il y a lieu de le dire, une faute du débiteur.
En ce qui se rapporte au cas fortuit, le Code du travail évoque une seule fois cette notion à travers les dispositions de l’article 22 qui prévoient que
« le salarié doit veiller à la conservation des choses et des moyens qui lui ont été remis pour l’accomplissement du travail dont il a été chargé ; il doit les restituer à la fin de son travail. Il répond de la perte ou de la détérioration des choses et des moyens précités s’il s’avère au juge, de par le pouvoir discrétionnaire dont il dispose, que cette perte ou cette détérioration sont imputables à la faute du salarié, notamment par l’usage desdites choses et moyens en dehors de leur destination ou en dehors du temps de travail. Le salarié ne répond pas de la détérioration et de la perte résultant d’un cas fortuit ou de force majeure ».
À ce titre, deux questions pertinentes méritent d’être posées : la première étant de savoir pourquoi la notion de cas fortuit n’a été citée qu’une seule fois dans le texte et sans qu’à chaque fois elle ne soit associée à la force majeure. La deuxième étant de savoir pourquoi la référence à la notion de cas fortuit a été uniquement faite à l’occasion de l’obligation de conservation des choses qui ont été remises au salarié.
La réponse à ces deux interrogations se logerait dans les dispositions du Dahir des obligations et contrats dans la mesure où les rédacteurs du Code du travail ont tout simplement repris les dispositions de l’article 740 dudit dahir qui oblige les locateurs de services à
« veiller à la conservation des choses qui leur ont été remises pour l’accomplissement de services ou de l’ouvrage dont ils sont chargés ; ils doivent les restituer après l’accomplissement de leur travail, et ils répondent de la perte ou de la détérioration imputable à leur faute » [28].
Il en découle que l’article 22 du Code de travail a quasiment repris les dispositions de l’article 741 du Dahir des obligations et des contrats qui prévoit que les locateurs de services « ne répondent pas de la détérioration et de la perte provenant d’un cas fortuit ou de force majeure, qui n’a pas été occasionné par leur fait ou par leur faute » [29].
La même règle est reprise pour les hôteliers, aubergistes, logeurs en garni, propriétaires d’établissements de bains, cafés, restaurants, spectacles publics qui ne sont pas responsables, si elles prouvent que la perte ou la détérioration des choses qui leur ont été remises, a eu pour cause une force majeure ou un cas fortuit non imputable à leur faute ou à celle de leurs agents, préposés et serviteurs [30].
En somme, les rédacteurs se sont inspirés de ces textes en ayant recours aux notions de force majeure et de cas fortuit en ce qui concerne l’obligation de conservation des instruments et outils de travail qui ont été remis au salarié. En ce qui concerne les autres situations, ceux-ci préfèrent utiliser une notion des plus vagues et imprécises à savoir celle de « cause accidentelle » aux côtés de la notion de "force majeure" - ces deux notions n’entretenant aucune relation rationnelle.
L’article 742 du Dahir des obligations et des contrats traitant toujours des obligations du locateur de services précise à juste titre que « le vol et la soustraction frauduleuse des choses qu’il doit restituer au maître ou commettant n’est pas considéré comme un cas de force majeure déchargeant la responsabilité du locateur d’ouvrage ou de services, s’il ne prouve qu’il a déployé toute diligence pour se prémunir contre ce risque ».
En d’autres termes, il doit prendre les mesures nécessaires pour que de tels risques ne se produisent pas. Logiquement, il doit en être de même pour la panne d’électricité qui ne doit pas non plus constituer un cas de force majeure dès l’instant où l’entreprise se doit de se prémunir contre de tels risques.
B. La notion de cause accidentelle en droit du travail.
Le Code de travail, comme précédemment signalé, introduit la notion de « cause accidentelle » et l’associe à la force majeure sans en donner une définition.
Cette notion est évoquée par l’article 189 du Code du travail qui prévoit qu’
« en cas d’interruption collective du travail dans un établissement ou partie d’établissement résultant de causes accidentelles ou de force majeure, la durée journalière de travail peut être prolongée à titre de récupération des heures de travail perdues, après consultation des délégués des salariés et, le cas échéant, des représentants des syndicats dans l’entreprise ».
Il est également possible de la retrouver dans les dispositions de l’article 348 du même texte qui prévoit que
« les heures de travail perdues et non rémunérées, en cas d’interruption collective du travail dans une entreprise résultant de causes accidentelles ou d’un cas de force majeure doivent, lorsqu’elles sont récupérées, être payées au taux normal, sauf dispositions plus favorables pour le salarié ».
L’article 175 du Code du travail, pour sa part, utilise une notion similaire en avançant la notion « d’interruption accidentelle » dans la mesure où il est prévu dans cet article qu’
« à la suite de chômage résultant de force majeure ou d’une interruption accidentelle ne présentant pas un caractère périodique, l’employeur peut déroger aux dispositions du 2ᵉ alinéa de l’article 173 (…), dans la limite du nombre de journées de travail perdues, sous réserve d’en aviser au préalable l’agent chargé de l’inspection du travail. Il ne peut être fait usage de cette dérogation au-delà de douze nuits par an, sauf autorisation de l’agent chargé de l’inspection du travail ».
Conclusion.
À travers la lecture des dispositions du Code de travail qui se rapporte à la cause étrangère, il convient de tirer les réflexions suivantes :
Tout d’abord, la définition de la force majeure n’est pas en conformité avec celle retenue par le Dahir des obligations et contrats [31].
Ensuite, l’association de la notion de force majeure doit être faite généralement avec celle du cas fortuit, cette dernière pouvant englober des situations très diverses et très variées.
Finalement, l’adoption par le Code du travail des notions de cause accidentelle et d’interruption accidentelles doivent être explicitées davantage par la loi.
D’autre part, le Code du travail ne précise pas les effets produits par la force majeure sur le contrat de travail à durée indéterminée. Toutefois, la Cour de cassation a eu l’occasion de se pencher sur la question par un arrêt du 6 avril 2022 dans lequel il est possible de lire ce qui suit :
« Attendu que le législateur a affirmé par le biais du dernier alinéa de l’article 33 du Code du travail le principe de l’exonération de l’indemnisation dans le cas où la rupture du contrat de travail est dû à un cas de force majeure à la condition que le motif de la rupture ne soit pas imputable à une faute de l’employeur, et que cette conséquence n’a pas été reprise en ce qui se rapporte au contrat à durée indéterminée, … et que la rupture du contrat de travail pour cas de force majeure nécessite en principe l’octroi des indemnités de licenciement » [32].
Par le biais de cet arrêt, la Haute juridiction marocaine soutient que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée pour cas de force majeure donne au salarié le droit de prétendre à des indemnités de licenciement.
Cette même position sera reprise par un arrêt de la Cour de cassation 7 mars 2023 dans lequel il a été décidé ce qui suit « Attendu qu’il est établi d’après les éléments du dossier que la Cour de cassation, par son arrêt du 18/05/2015 ayant décidé de la cassation et du renvoi, a décidé d’octroyer au demandeur au pourvoi des indemnités de licenciement, et non pas autres les indemnités précitées, attendu que l’impossibilité d’exécuter le contrat de travail liant les parties au litige est imputable à l’incendie qui est considéré comme un cas de force majeure, et que la juridiction ayant rendu la décision attaquée, lorsqu’elle a décidé d’octroyer au demandeur au pourvoi des indemnités de licenciement après avoir déduit le montant qu’il avait préalablement reçu dans le cadre de l’accord de conciliation contractée avec son employeur et qui fait foi de la réception des montants y étant mentionnés » [33].
Par le biais de cet arrêt, la Haute juridiction marocaine a décidé d’octroyer au salarié dont le contrat de travail a été rompu en raison de la survenance d’un incendie, qualifié par cette même juridiction en un cas de force majeure, des indemnités de licenciement.
Il ressort des arrêts précités que le salarié dont le contrat de travail a été rompu en raison de la survenance d’un cas de force majeure à des indemnités de licenciement sur le fondement de l’article 52 du Code du travail qui en consacre le principe.
Seulement, le salarié ne pourra prétendre à des dommages-intérêts étant donné que ceux-ci ne sont octroyés qu’en matière de licenciement abusif et dans la mesure où la résiliation du contrat de travail pour cause de force majeure n’est pas issue de la volonté de l’employeur.