[Arbitrage] Entre Civil Law et Common Law : le Maroc et l’Intégration de l’estoppel.

Par Oussama El Belaychy, Étudiant.

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Explorer : # arbitrage # estoppel # loyauté procédurale # droit des affaires

Une révolution silencieuse dans l’arbitrage international qui redéfinit les règles du jeu
Dans les couloirs feutrés des tribunaux commerciaux de Casablanca, une révolution juridique s’opère en silence. Sans fanfare ni déclaration solennelle, la jurisprudence marocaine intègre progressivement un principe anglo-saxon redoutable : l’estoppel. Cette doctrine, qui sanctionne impitoyablement les parties trop habiles ou trop paresseuses, transforme aujourd’hui le paysage de l’arbitrage international au Maroc.

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L’arbitrage international vit une métamorphose au Maroc. Au cœur de cette transformation, un principe aussi ancien que la common law elle-même refait surface dans les prétoires marocains : l’estoppel procédural. Bien que ce terme ne figure dans aucun code marocain, son esprit imprègne désormais les décisions des cours d’appel commerciales, créant une nouvelle donne pour les praticiens de l’arbitrage.

L’art de la forclusion : quand le silence devient assentiment.

L’estoppel, dans sa conception marocaine, se révèle être un piège redoutable pour les parties peu diligentes. Le principe est d’une simplicité déconcertante : qui ne parle pas au bon moment perd le droit de parler plus tard. Cette règle, d’apparence banale, bouleverse pourtant les stratégies contentieuses les plus rodées.

Les fondements d’une révolution juridique

Quatre piliers soutiennent cette construction jurisprudentielle marocaine :

La loyauté procédurale comme nouvelle religion juridique : Il n’est plus question de dissimuler ses objections pour mieux surprendre l’adversaire. La bonne foi procédurale devient un impératif catégorique, transformant chaque arbitrage en un exercice de transparence forcée.

L’efficacité comme obsession : Dans un monde où le temps c’est de l’argent, la jurisprudence marocaine refuse désormais les tergiversations. L’arbitrage doit être rapide, définitif, sans retour en arrière possible.

Le respect de la volonté contractuelle : En choisissant l’arbitrage, les parties s’engagent résolument dans la voie de la célérité. La justice marocaine leur rappelle qu’un contrat, c’est un contrat, surtout quand il s’agit d’arbitrage.

La lutte contre les tactiques dilatoires : Plus question de jouer la montre ou de garder des cartouches pour la phase judiciaire. L’estoppel marocain coupe court aux stratégies de dernière minute.

Le précédent qui change tout.

L’arrêt rendu par la Cour d’Appel Commerciale de Casablanca en 2018 marque un tournant historique. Dans cette affaire opposant une entreprise marocaine à une société étrangère de droit européen, la cour a posé un principe révolutionnaire : "l’abstention de soulever ces moyens en temps voulu équivaut à une renonciation à s’en prévaloir".
Cette formulation, d’une concision redoutable, sonne le glas des recours en annulation opportunistes. La société européenne avait eu l’intelligence de soulever ce moyen, arguant que son adversaire ne pouvait plus invoquer des griefs qu’elle avait eu l’occasion de présenter devant les arbitres mais qu’elle avait choisi de taire.

Une logique implacable.}

La défenderesse société étrangère avait développé une argumentation d’une logique imparable : pourquoi permettre à une partie de garder des munitions pour après la bataille ? Si l’entreprise marocaine avait des objections valables, elle devait les soulever devant l’arbitre, pas devant le juge de l’annulation.
Les Conséquences d’une Révolution Judiciaire
Cette évolution jurisprudentielle redessine complètement la carte de l’arbitrage international au Maroc et transforme la pratique des différents acteurs.

Pour les avocats : la vigilance absolue.

Plus question de naviguer à vue ou de garder des arguments en réserve. Chaque procédure arbitrale devient un exercice de haute voltige où tout doit être dit, tout de suite, sous peine de forclusion définitive. Cette nouvelle exigence impose aux conseils une préparation minutieuse dès les premiers échanges procéduraux, une analyse exhaustive des moyens disponibles, et une stratégie contentieuse pensée globalement dès l’origine du différend.

Pour les entreprises : la fin de l’improvisation.

Les stratégies contentieuses doivent désormais être pensées en amont, de manière globale. L’époque où l’on pouvait compter sur une seconde chance devant les tribunaux étatiques s’éloigne définitivement. Les entreprises doivent désormais investir davantage dans la phase arbitrale, sachant que celle-ci sera probablement leur unique opportunité d’être entendues sur le fond.

Pour l’arbitrage : une crédibilité renforcée.

En limitant drastiquement les possibilités de remise en cause, cette jurisprudence donne à l’arbitrage ses lettres de noblesse. Les sentences gagnent en force exécutoire et en crédibilité internationale. Cette évolution contribue à faire du Maroc une destination de choix pour l’arbitrage international, particulièrement pour les différends impliquant des parties africaines.

Un modèle pour l’avenir.

L’estoppel à la marocaine n’est pas qu’une curiosité juridique. Il s’inscrit dans un mouvement plus large de modernisation du droit des affaires au Royaume. En empruntant à la common law tout en gardant ses spécificités civilistes, le Maroc trace une voie originale qui pourrait bien inspirer d’autres systèmes juridiques de la région.
Cette évolution témoigne d’une maturité juridique croissante et d’une volonté affirmée de faire de Casablanca un hub de l’arbitrage international en Afrique. L’estoppel marocain, né de la jurisprudence et forgé par la pratique, illustre parfaitement cette ambition : créer un droit des affaires moderne, efficace et prévisible.
L’avenir dira si cette innovation jurisprudentielle résistera à l’épreuve du temps et si elle parviendra à s’imposer comme une référence au-delà des frontières du Royaume. Une chose est certaine : elle transforme déjà la pratique de l’arbitrage au Maroc et impose aux praticiens une nouvelle discipline procédurale dont les effets se font déjà sentir dans les cabinets d’avocats et les directions juridiques des entreprises.

Oussama El Belaychy
Master Carrières juridiques et judiciaires
Université Hassan II, Casablanca

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