Dans le cadre de ce sujet, il ne sera présenté que le cas de la gestion de la mesure de protection par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) ou d’un délégué MJPM (dans le cas du salarié d’un MJPM personne morale). C’est-à-dire le professionnel, personne physique ou personne morale agréée, qui se voit désigné par le juge des tutelles pour exercer la charge d’une mesure de curatelle ou de tutelle.
Autrement dit, un régime de protection sous lequel peut être placé un majeur lorsque, sans être hors d’état d’agir lui-même, il a besoin d’être conseillé et contrôlé dans les actes les plus graves de la vie civile en raison d’une altération de ses facultés personnelles, pour la curatelle.
Pour la tutelle, il s’agit d’un régime de protection sous lequel peut être placé un majeur qui, en raison d’une altération de ses facultés personnelles, a besoin d’être représenté d’une manière continue dans les actes de la vie civile.
L’impasse sera également faite en ce qui concerne les modalités préalables à la mise en location du bien immeuble du majeur protégé. Par ces modalités, il faut ici entendre le respect des dispositions de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs ; la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, dans le cas d’un bien immeuble en copropriété ; et plus récemment les modifications apportées par la loi du 22 aout 2021 dite « loi Climat », portant lutte contre le dérèglement climatique. A charge donc pour le MJPM de s’assurer que le bien peut être loué dans le respect des règles sus énoncées, sans causer de préjudice, ni au majeur protégé, ni au potentiel preneur à bail.
S’il peut apparaitre simple pour le MJPM et dans l’intérêt du majeur protégé, de s’adjoindre les services d’un professionnel de l’immobilier, comme une agence immobilière réalisant de la gestion locative par exemple. Et cela afin de gérer la ou les locations pour le compte du majeur protégé ; la volonté du législateur ne semble pas concorder avec cette possibilité. Elle semble pourtant être la plus sûre et être dans l’intérêt du majeur protégé, le MJPM n’étant pas un professionnel de l’immobilier et une telle gestion dans les cas les plus rares d’un majeur protégé disposant d’un patrimoine immobilier conséquent, pourrait vite rendre la tâche complexe et chronophage.
Il s’agira donc d’étudier en quoi la gestion locative du bien du majeur protégé, à titre onéreux, par un tiers est incompatible avec les dispositions relatives à la protection juridique des majeurs.
En effet, comme indiqué précédemment, la volonté du législateur laisse apparaitre une réelle volonté de gestion par l’unique personne du protégeant désignée dans le jugement de mise sous protection. Cette volonté est reprise par les juges du fonds qui semblent en faire une appréciation stricte, bien que la position en la matière ne soit pas entérinée.
I) Une incompatibilité juridique et comptable.
a. L’incompatibilité par la charge personnelle de la mesure de protection.
La charge personnelle de la mesure de protection constitue l’un des principes en la matière. Elle est prévue à l’article 452 du Code Civil qui dispose que
« La curatelle et la tutelle sont des charges personnelles. Le curateur et le tuteur peuvent toutefois s’adjoindre, sous leur propre responsabilité, le concours de tiers majeurs ne faisant pas l’objet d’une mesure de protection juridique pour l’accomplissement de certains actes dont la liste est fixée par décret en Conseil d’état ».
Il est ici question du décret du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle. Plus particulièrement, c’est l’article 3 de ce décret qui nous intéresse en l’espèce. Celui-ci prévoyant les cas où le concours d’un tiers est possible et précisément en son 2°
« Les actes d’administration énumérés dans la colonne 1 des tableaux constituant les annexes 1 et 2 du présent décret, sous réserve qu’ils n’emportent ni paiement ni encaissement de sommes d’argent par ou pour la personne protégée ».
La conclusion et le renouvellement d’un bail de neuf au plus en tant que bailleur ou preneur figure bien dans ladite colonne, en tant qu’acte d’administration, le curatellaire peut donc réaliser seul cet acte, et le tuteur également. Ils pourraient également s’adjoindre le concours d’un tiers de prime abord. Cependant, la gestion du bien en location suppose la perception de loyer, soit l’encaissement de somme d’argent, et la prestation du tiers supposera, par principe, règlement de somme d’argent également pour la prestation de gestion réalisée. Que ce règlement ait lieu par paiement ou par compensation sur les sommes perçus au titre des loyers. C’est ici que la problématique se pose. En effet, le décret émet une réserve sur la possibilité de s’adjoindre les services d’un tiers, et cela devient impossible si le service emporte paiement ou encaissement de sommes d’argent par ou pour le majeur protégé. Ce qui est le cas en l’espèce. La charge personnelle de la mesure de protection, combinée à ce point d’exception visé dans le décret susmentionné, semble donc rendre incompatible la gestion locative d’un bien immeuble par un tiers avec l’exercice de la mesure de protection.
b. L’incompatibilité par la gestion des comptes du majeur protégé.
Le caractère personnel de la charge de la mesure de protection n’est pas le seul barrage au recours au service d’un tiers pour ce qui est de la gestion locative d’un bien immeuble du majeur protégé. Une autre limite existe et se retrouve à l’article 427 alinéa 5 du Code Civil.
En effet ce dernier dispose que
« Les opérations bancaires d’encaissement, de paiement et de gestion patrimoniale effectuées au nom et pour le compte de la personne protégée sont réalisées exclusivement au moyen des comptes ouverts au nom de celle-ci ».
Ainsi, la perception des loyers, en tant qu’opération bancaire d’encaissement d’une somme d’argent, doit être réalisé directement sur le compte du majeur protégé. Plus particulièrement sur le compte dit de « fonctionnement » ou de « gestion » puisqu’il s’agit en l’espèce d’une ressource.
Adieu donc l’idée de s’adjoindre les services d’un tiers qui s’occuperait de la gestion locative en percevant les loyers sur ses propres comptes pour ensuite les reverser en totalité ou partiellement, déduction faite de son prix de prestation de service, sur le compte du majeur protégé.
Pour aller plus loin, c’est ici la volonté originelle du législateur qui s’applique en la matière, et que l’on retrouve, ici encore, dans le rapport Blessig, dans le cadre des travaux préparatoire de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs. Il en ressort une volonté d’individualisation des comptes et des opérations de paiement et de gestion patrimoniale sur des comptes bancaires distinct et ouvert au nom du majeur. Le but étant de bannir définitivement l’usage des comptes pivots et permettre une plus grande traçabilité et une transparence dans la gestion des comptes du majeur protégé par le MJPM. L’idée de faire percevoir des sommes d’argent revenant au majeur protégé sur un autre compte dont serait titulaire le tiers prestataire pour ensuite reverser les sommes au majeur protégé semble donc compromise.
II) Une appréciation jurisprudentielle stricte et conforme à la volonté du législateur.
a. L’appréciation stricto sensu par la Cour d’Appel de Paris.
Loin d’être une simple théorie, les limites évoquées précédemment ont fait l’objet d’une interprétation stricte par les juges du fonds. En particulier dans un arrêt de la Cour d’Appel de Paris [1] en date du 28 juin 2021. En effet, les juges ont ici considéré, pour ce qui intéresse le sujet de la gestion locative avec concours d’un tiers et à titre onéreux, que la combinaison des articles 427, 452, 504 du Code Civil et de l’article 3 du décret du 22 décembre 2008, rendait impossible le fait pour un MJPM de confier la gestion des immeubles détenus par le majeur protégé à des agences immobilières. Les agences immobilières ne pouvant encaisser sur leurs comptes bancaires des sommes qui doivent revenir au majeur protégé. Les juges rappelant également que le MJPM, en l’espèce le tuteur, « ne pouvait s’adjoindre un tiers que pour les actes d’administrations n’ayant pas d’incidence sur le patrimoine de la personne protégé ».
Cette interprétation stricto sensu des textes, si elle confirme et affirme la volonté du législateur, tend tout de même à faire peser sur les épaules du MJPM une responsabilité non négligeable. En effet, s’il peut sembler aisé de réaliser la gestion locative d’un seul bien appartenant au majeur protégé. Mais la tâche peut rapidement devenir complexe dans l’hypothèse d’un nombre de dossiers conséquent disposant de patrimoine pouvant être loué ; et plus encore dans le cas d’un majeur protégé disposant d’un patrimoine conséquent nécessitant une gestion parfois chronophage pour le MJPM et qui peut, tout aussi rapidement, devenir complexe et technique. On voit alors le contraste flagrant entre la lettre de la loi et les limites pratique et quotidienne pour le MJPM.
b. L’hypothèse d’une vision largo sensu plus compatible avec la pratique quotidienne.
Au-delà des exigences de la loi confirmée par la jurisprudence, il serait intéressant de réfléchir sur des solutions pouvant soulager cette gestion locative par le MJPM.
L’une des pistes serait le cas de la gestion locative par un tiers, à titre gratuit, incluant le versement des loyers directement sur le compte bancaire du majeur protégé.
Néanmoins la problématique liée à l’encaissement de somme d’argent est toujours présente, rendant incompatible ce recours à un tiers ici aussi. Il en va de même pour l’hypothèse plus réaliste de la gestion à titre onéreux, incluant un encaissement des sommes sur le compte du majeur et un règlement du prix de la prestation par paiement sur présentation de facture.
Il faudrait donc espérer une appréciation plus souple de la loi par les juges du fonds. Une gestion par un professionnel du secteur immobilier, supposant un règlement du prix par paiement et pour lequel les loyers sont encaissés sur le compte du majeur protégé et non sur le compte du tiers professionnel, semble une option satisfaisante dans l’intérêt du majeur protégé. Il ne s’agit là que d’une réflexion, qui pourrait permettre de trouver un point d’équilibre, ici encore, entre l’exigence de la loi, et sa mise en pratique par les professionnels de la protection juridique des majeurs.
Discussions en cours :
Bonjour,
Je vous remercie pour cette analyse que je rejoins.
Une alternative pourrait être envisagée pour éviter la prise de risque : demander l’autorisation du juge de recourir à un administrateur de biens au regard de la complexité du patrimoine immobilier dès lors qu’un contrôle des comptes de gestion annuel est prévu.
La conformité des flux au travers de l’analyse des relevés de gestion locative serait, en plus de la surveillance du MJPM en charge de la mesure, vérifiée par la personne chargée du contrôle des comptes de gestion annuels (subrogé, cotuteur ou professionnel qualifié).
Bonjour,
Je vous remercie pour ce commentaire, votre proposition est intéressante et désormais possible à la suite des récents décrets parus en matière de contrôle des comptes.
Il faut néanmoins réussir à obtenir l’accord du Juge, ce qui dans certain cas, risque d’être compliqué car cela supposerait que le juge soit prêt à voir sa responsabilité engagée par une telle autorisation si un problème survenait.
Cela permettrai pourtant, dans une certaine mesure, la dilution des responsabilités, compte tenu du nombre d’intervenants si cette hypothèses était mise en pratique.