Avant d’aller plus loin sur ce propos qui cristallise souvent les tensions au sein de la profession, tant le contenu de la loi sur ce point si particulier peut apparaitre clair et sans équivoque pour certains et sibyllin pour d’autre, il convient de s’accorder sur les notions qui vont jalonner les propos qui suivront.
En effet, il ne sera ici présenté que le cas de la gestion de la mesure de protection par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) ou d’un délégué MJPM (dans le cas du salarié d’un MJPM personne morale), l’impasse sera donc faite de la mesure gérée par un « protégeant » familiale. Afin de lever toute ambiguïté ici aussi, le terme de « protégeant » recouvre à la fois les notions de curateur et de tuteur, c’est-à-dire en l’espèce, le professionnel, personne physique ou personne morale, qui se voit désigné par le juge des tutelles pour exercer la charge d’une mesure de curatelle ou de tutelle. Autrement dit, un régime de protection sous lequel peut être placé un majeur lorsque, sans être hors d’état d’agir lui-même, il a besoin d’être conseillé et contrôlé dans les actes les plus graves de la vie civile en raison d’une altération de ses facultés personnelles, pour la curatelle. Pour la tutelle, il s’agit d’un régime de protection sous lequel peut être placé un majeur qui, en raison d’une altération de ses facultés personnelles, a besoin d’être représenté d’une manière continue dans les actes de la vie civile.
Depuis la loi n°2007-308 du 5 mars 2007 entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2009, le domaine de la perception et du remploi des capitaux revenant au majeur protégé trouve ses fondements dans deux articles dont la simplicité apparente tant à être source de conflit lorsqu’il s’agit de les mettre en application. Comme dans grand nombre de domaines en matière de protection des majeurs, on perçoit les limites de la loi et de sa simplicité seulement quand il s’agit de la respecter sur un plan purement pratico-pratique.
Qui peut agir ? sous quelle forme ? selon quel processus ? le législateur, s’il dispose en l’espèce de percevoir les fonds sur un compte au nom du majeur et faisant mention de la mesure de protection, se garde bien de donner plus d’information au professionnel qui se trouve alors seul face à ces textes pourtant clairs en l’apparence.
Le professionnel doit en effet s’assurer d’agir, dans le cadre de la loi, dans le cadre de son mandat, sans empiéter sur les droits et les libertés du majeur protégé, au risque de voir possiblement sa responsabilité engagée au titre de la gestion d’affaires pour avoir agi en dehors des limites de son mandat.
Ainsi, il convient de se demander, En quoi la loi du 5 mars 2007 tend à limiter le champ d’action du mandataire judiciaire à la protection des majeurs en matière de capitaux revenant à un majeur protégé ?
A travers les travaux préparatoires, la volonté du législateur semble, en l’espèce, relativement clair. Elle a d’abord vocation à vouloir exclure le professionnel du champ de la perception des capitaux revenant à un majeur protégé (I). Elle a ensuite vocation à empêcher le professionnel d’être décisionnaire autonome dans l’emploi ou le remploi desdits capitaux (II).
I) Une exclusion relative du mandataire du champ de la perception des capitaux revenant à un majeur protégé.
A titre préliminaire, il faut noter que selon l’article 496 du Code Civil renvoyant au décret du 22/12/2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, la perception d’un capital constitue un acte d’administration. C’est-à-dire un « acte d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée dénuée de risque anormal ».
Considérant que le curateur doit son assistance pour les actes qui, en tutelle, nécessite l’accord du juge, soit les actes de disposition. C’est-à-dire les actes qui « engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire » ; il faut alors considérer que dans le cadre de la curatelle, la perception d’un capital, constituant un acte d’administration, ne nécessite pas l’intervention du curateur.
Plus encore, le législateur, par une volonté d’individualisation des opérations bancaires, fait sortir la perception du champ de compétence du curateur. En effet, cette volonté se retrouve dans les travaux préparatoires de la loi susvisée et particulièrement dans le rapport de Monsieur Émile Blessig, rapportant que
« En revanche, la perception des capitaux est soustraite du champ de l’assistance : ceux-ci seront désormais directement versés sur un compte ouvert exclusivement au nom du majeur et mentionnant son régime de protection, sans passer par le curateur. Cette disposition vise à concrétiser le principe d’individualisation des comptes bancaires prévu par l’article 427 du Code Civil ».
« Sans passer par le curateur », ou en d’autres termes, sans passer par le compte de gestion ou de fonctionnement géré par le curateur.
Cependant, le constat en pratique ne va pas dans ce sens, en effet, si la perception des capitaux est un acte d’administration, sur quel compte percevoir ces capitaux puisqu’ils ne peuvent être perçus sur le compte de fonctionnement géré par le mandataire ? Ni même sur un compte d’épargne directement. Alors même que l’ouverture d’un nouveau compte constituerait un acte de disposition auquel le curateur va devoir assistance au curatelaire.
En clair, le curatelaire est le seul compétent pour percevoir des capitaux, sur un compte à son nom et mentionnant la mesure de protection et le débiteur doit y verser lesdits capitaux, sans possibilité de faire transiter les fonds par un autre compte. Adieu donc la possibilité de verser le capital sur un compte d’épargne qui nécessite que les fonds transitent d’abord par un compte de dépôt avant d’être placés, en théorie du moins.
Mais dans le même temps, le curatelaire va devoir solliciter son curateur s’il souhaite ouvrir un compte pour percevoir ce capital, laissant entrevoir les limites de l’exclusion de ce dernier dont l’action reste nécessaire si le curatelaire souhaite percevoir son capital. En outre, on imagine mal le curateur refuser son assistance pour une telle opération. Un tel refus sera sans souci contourné par le biais de l’article 469 Civ, le juge autorisant, on l’espère, le majeur protégé à agir seul dans un tel contexte.
Ce n’est donc pas tant une volonté d’exclusion du curateur en pratique, mais une volonté réelle d’individualisation des opérations bancaires et a fortiori de la nature des comptes et des fonds qui y sont déposés qu’a cherché à mettre en place le législateur afin de mettre fin à la confusion des fonds perçues sur un seul et même compte, le compte de fonctionnement. Volonté que l’on expliquera sans souci par un besoin de traçabilité et de transparence.
Quant à la tutelle, l’opération se veut bien plus simple, la perception et, au besoin, l’ouverture d’un compte se fera par le tuteur. On note alors la volonté de rendre acteur le curatelaire de sa mesure là où le tutélaire ne pourrait qu’émettre un avis simple.
II) Une volonté de consultation dans l’emploi ou le remploi des capitaux perçus par un majeur protégé.
Une fois réglée la question de la perception des fonds, c’est celle de l’emploi, ou du remploi du capital qui vient se poser.
Contrairement à la perception, qui constitue un acte d’administration, l’emploi ou le remploi de capitaux constitue un acte de disposition, sus définit, qui va nécessiter une collaboration plus ou moins directive en fonction de la nature de la mesure.
En effet, en matière de curatelle, le curatelaire va avoir besoin de l’assistance du curateur afin d’employer les fonds perçus, qu’il s’agisse de placements financiers, de placements immobiliers, ou même plus particulièrement de placements boursiers. On peut donc largement imaginer que le curateur saura apporter les conseils et les informations nécessaires au majeur protégé sur les conséquences et les risques de chacune des options précitées et, au besoin, ne fera pas l’économie de recourir à un gestionnaire de patrimoine si le capital perçu est réellement conséquent, tant les risques en matière de responsabilité sont proportionnels au capital perçu.
On réalise donc que dans la curatelle, les opérations de placement, si elles sont prises collégialement entre curateur et curatelaire, peuvent être plus ou moins réalisées en bonne collaboration, d’autant plus si le mandataire conserve le souhait de rendre le majeur protégé acteur de sa mesure de protection.
En matière de tutelle, la collaboration pourrait prendre un tournant plus directif voir exécutoire. En effet, ici le juge joue un rôle prépondérant puisque selon les dispositions de l’article 501 Civ
« Le conseil de famille ou, à défaut, le juge détermine la somme à partir de laquelle commence, pour le tuteur, l’obligation d’employer les capitaux liquides et l’excédent des revenus. Le tuteur peut toutefois, sans autorisation, placer des fonds sur un compte.
Le conseil de famille ou, à défaut, le juge prescrit toutes les mesures qu’il juge utiles quant à l’emploi ou au remploi des fonds, soit par avance, soit à l’occasion de chaque opération. L’emploi ou le remploi est réalisé par le tuteur dans le délai fixé par la décision qui l’ordonne et de la manière qu’elle prescrit. Passé ce délai, le tuteur peut être déclaré débiteur des intérêts.
Le conseil de famille ou, à défaut, le juge peut ordonner que certains fonds soient déposés sur un compte indisponible ».
Le tuteur est donc tenu, à la loi, au jugement de protection, et particulièrement pour le capital, à l’ordonnance qui pourra avoir été rendue par le juge des tutelles et qui fixera les modalités d’emploi des fonds.
A noter, qu’en sus de respecter la volonté du juge, le tuteur à tout intérêt à se montrer diligent et prudent en la matière, car il pourrait se voir réclamer les intérêts qui auraient dû être perçues et qui ne l’auraient pas été du fait de sa négligence. Il serait alors vivement conseiller pour ce dernier de percevoir les fonds sur un compte rémunéré de type compte sur livret, afin de percevoir des intérêts, même minime, et ainsi limiter les risques de voir sa responsabilité engagée pour négligence dans le placement des capitaux du tutélaire.
On constate donc que le mandataire à la protection des majeurs ne peut prendre seul les décisions relatives à l’emploi ou au remploi des capitaux, ces décisions nécessitant d’y faire participer le majeur protégé et/ou le juge en fonction de la nature de la mesure.
A noter qu’en tutelle, bien que la volonté du tutélaire ne soit pas décisive, il est tout de même opportun de la rechercher, dans la mesure du possible, à titre d’avis simple.
Discussion en cours :
Enfin un juriste qui rappelle les règles civiles régissant clairement la réception et l’emploi des capitaux liquides en cours de mesure de protection (curatelle et tutelle) et les raisons qui les fondent. Règles ignorées et allègrement contournées par les curateurs et tuteurs, qu’ils soient des proches du majeur protégé ou des MJPM, professionnels formés, agréés et contrôlés.
A ce titre, pourquoi spécifier que l’article ne concerne que les MJPM et non les curateurs-tuteurs familiaux ? Les deux ne sont-ils pas soumis, sans distinction, au même cadre légal concernant l’exercice des mesures de protection, notamment en matière de gestion des biens ?
Outre les textes et travaux préparatoires cités, ne serait-il pas également opportun de faire référence aux articles 468 al 1 (curatelle) et 498 al 1 (tutelle) du code civil, qui font très explicitement obligation de recevoir les capitaux revenant au majeur protégé sur un compte ouvert à son seul nom avant d’en faire emploi (suivant des modalités différentes en curatelle ou tutelle).
Par ailleurs, ne pensez-vous pas que la mise en œuvre pratique de cette obligation est grandement facilitée depuis la réécriture de l’art 427 c.civ par la loi du 23 mars 2019, qui ne soumet plus l’ouverture d’un compte à l’autorisation préalable du JT lorsque l’opération est réalisée dans un établissement bancaire où le majeur protégé est déjà titulaire de comptes/livrets ?
Sans compter l’ajout apporté par cette même loi du 23 mars 2019 à l’alinéa 1 de l’art 501 c.civ s’agissant du placement des capitaux liquides sur « un compte » : « Le tuteur peut toutefois, sans autorisation, placer des fonds sur un compte ». Pas d’autorisation en tutelle, donc pas d’assistance en curatelle (art 467 al 1 c.civ) pour le placement des capitaux liquides comme de l’excédent de revenus (ce dernier versé sur un compte laissé à la disposition du majeur en curatelle renforcée, art 472 c.civ).
Les juges des tutelles, directeurs de greffe, subrogés et personnes dites « qualifiées » pour vérifier et approuver les comptes annuels de gestion, au même titre que les autorités de contrôle des MJPM, apparaissent peu préoccupés par la connaissance et le respect du cadre légal qui régit la réception et l’emploi des capitaux des majeurs protégés ... Qu’en pensez-vous ?
Avec grand intérêt pour vos réflexions en matière de protection juridique des majeurs.