SNCF : une gratification de 500.000 euros pour un inventeur ex-salarié, par Muriel Aupetit, Mandataire OEB

SNCF : une gratification de 500.000 euros pour un inventeur ex-salarié, par Muriel Aupetit, Mandataire OEB

2742 lectures 1re Parution: Modifié: 4.25  /5

Explorer : # rémunération des inventions # gratification salariale # innovation interne

-

Nouveau rebondissement dans la rémunération des inventions de salariés : si jusqu’à présent, les sommes jugées par les tribunaux s’élevaient à une dizaine, voire plusieurs dizaines de milliers d’euros, la jurisprudence s’en trouverait-elle aujourd’hui bousculée par l’octroi d’un demi-million d’euros ?

Rappelons les faits. Le demandeur, salarié de la SNCF à l’époque, dépose le 16 janvier 2003 auprès de son employeur une première "fiche idée" portant sur l’utilisation d’un insert métallique ou plastique et d’une résine dans des trous de tirefonds pour consolider les attaches de rail sur les traverses en bois.

Antérieurement, une société extérieure à la SNCF (Vape Rail International dite VRI) avait présenté à la SNCF lors d’une réunion d’octobre 2002 (à laquelle participait notamment le demandeur), "une résine susceptible d’être utilisée par la SNCF pour consolider les trous de tirefond". Les 15 et 16 janvier 2003, la société VRI et la SNCF se rencontrent pour présenter et réaliser des essais à partir des solutions proposées par ladite société et la SNCF dont le demandeur.

Le 20 mars 2003, VRI dépose une demande de brevet portant, exprimé de façon extrêmement résumée et schématique, sur un dispositif d’ancrage de rail sur traverses en bois permettant de reconstituer la paroi endommagée dans laquelle se trouve le tirefonds, comprenant un insert de forme particulière et de longueur adaptée et un produit fluide durcissable.

Des essais furent par ailleurs poursuivis au sein de la SNCF pour "vérifier l’efficacité du procédé et du dispositif utilisé", et en conclusion desquels la direction de l’infrastructure de la SNCF décide de "généraliser à l’ensemble du réseau cette technique à la fin de l’année 2004 de manière à impacter le budget de 2005 de la maintenance voie d’une économie de 15 millions d’euros".

Le salarié de la SNCF reçoit de son employeur lors de la soumission de sa première idée une "gratification" de 100 euros puis en 2005 un complément de 15.000 euros. Pour la seconde idée, le salarié reçut 140 euros lors du dépôt de sa "fiche idée" puis ultérieurement 100 euros.

Contestant le montant de ces gratifications versées par son ancien employeur, le demandeur alors en retraite, assigne en 2006 la SNCF devant le Tribunal de grande instance de Rennes (qui s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Paris).

Le demandeur requiert notamment à titre principal que le tribunal :
-  reconnaisse sa qualité d’"auteur" et sa paternité sur les inventions, en conséquence qu’il condamne le déposant des brevets à faire "procéder à la rectification de l’identité des inventeurs dans les brevets en question" ;
-  déclare les inventions comme étant hors mission attribuables ;
-  condamne la SNCF à lui payer le juste prix pour chacune des inventions, évalué selon lui à 1.485.000 euros pour l’une et 224.000 euros pour l’autre.

A titre subsidiaire, le demandeur demande à ce que la SNCF lui verse les sommes ci-dessus "en application de la réglementation interne de la SNCF, à titre de gratification complémentaire".

Le tribunal déboute l’ancien salarié de ses requêtes à titre principal en avançant que :
-  Si ’l’idée initiale d’associer un élément de blocage ou insert avec de la résine" fait l’objet de la fiche idée du demandeur, il ne peut être établi une participation "inventive" du demandeur quant à la structure de l’insert "telle que revendiquée dans la demande de brevet déposée par la société" VRI. Ainsi, l’ancien salarié ne peut être reconnu comme co-inventeur de l’invention – ou "co-auteur" selon la terminologie employée par le demandeur et reprise dans la décision – car sa fiche idée "ne recoupe pas totalement la demande de brevet", en particulier ne se retrouvent pas la forme et la constitution de l’insert.
-  Le demandeur ne revendiquant pas la propriété de la demande de brevet, c’est-à-dire la titularité du droit de propriété industrielle, et la demande ayant été déposée non pas au nom de la SNCF mais au nom d’un tiers (VRl), la demande de paiement d’un « juste prix » dans les conditions de l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), au regard d’une invention hors mission attribuable, ne présente alors aucun fondement.
Par ailleurs, le tribunal relève que la SNCF est "pour le moins taisante sur la raison pour laquelle ce brevet qui est le fruit d’un travail de recherche impulsée par ses services a été déposé par une société tierce avec comme inventeurs les seuls noms des salariés de cette société".

Toutefois, les juges font droit à la requête subsidiaire du demandeur.

En 2005, la SNCF avait reconnu par écrit que le demandeur avait eu l’initiative de proposer l’utilisation du procédé de résinification des attaches des traverses de voie, et participé aux essais et aux travaux de recherche, ce qui avait conduit à mettre en œuvre le procédé sur l’ensemble du territoire national. Dès lors, le demandeur est "bien fondé à solliciter l’application du régime du soutien à l’innovation interne à l’entreprise".

Le tribunal reprend les différents documents établis par la SNCF quand à sa politique de gratification de ses salariés dans le cadre habituel de leur travail, ou débordant de leur responsabilité habituelle. Le tribunal juge qu’il convient d’appliquer le document en vigueur en 2003 lors du dépôt des fiches idée pour calculer le montant de gratification due aux salariés pour une innovation participative, et en distinguant si l’innovation ressort d’une mission inventive ou non.

C’est dans ces perspectives que le tribunal estime qu’il y a bien innovation, et cela en dehors de la mission effective du demandeur, selon une participation de celui-ci évaluée à 30%. Au surplus, le document interne de l’époque présente une base de calcul de la gratification, très précise, qui correspond à "2 % des économies estimées sur une période de 5 ans, ou véritablement réalisées, s’il s’agit d’une idée novatrice qui déborde des responsabilités habituelles des auteurs". En l’espèce, "les économies estimées sur une période de cinq ans ou véritablement réalisées sont constituées par la somme non dépensée par la SNCF et non pas uniquement par les intérêts que lui rapportent chaque année les sommes non dépensées". Le calcul conduit à la somme de 439.900 euros.

Pour la seconde idée, les juges ont également débouté la demandeur de sa requête principale, le tribunal avançant de manière similaire que celle-ci ne recoupait pas totalement le second brevet, que les autres éléments versés aux débats n’avaient pas permis "d’identifier le rôle de chaque salarié" de VRI, et que le demandeur n’établissait "pas avoir inventé, même éventuellement en collaboration avec la société VRI", un modèle de cale sécable objet du brevet.

En revanche, le demandeur est conforté dans sa requête subsidiaire et obtient 61.830 euros de gratification complémentaire pour sa seconde idée sur la base du règlement interne à la SNCF de l’époque.

L’important est de noter que le demandeur a obtenu gain de cause, non pas en vertu des dispositions du CPI relatives aux inventions de salariés (la jurisprudence ne se voit en conséquence pas ébranlée), mais sur la base de dispositions internes propres à la SNCF, en vigueur au moment de la soumission des idées.

Reste à attendre ce qu’en pensera la cour d’appel, qui sera sans doute saisie.

TGI Paris, 3ème ch., 1ère section, 19 mai 2009

Muriel AUPETIT

Mandataire Office Européen des Brevets

Cabinet WAGRET

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

4 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27886 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Dossier] Le mécanisme de la concurrence saine au sein des équipes.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs