Par Marilou Ollivier, Avocat.
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  • Modifié le :  27 avril 2023

    1re Parution: 26 avril 2023

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Revirement en matière de protection du salarié qui dénonce un harcèlement moral.

Par un arrêt du 19 avril 2023 , la Cour de cassation abandonne sa jurisprudence antérieure selon laquelle la protection contre le licenciement dont bénéficie le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne joue que s’il les qualifie comme tel.
Cour de cassation, Chambre sociale, 19 avril 2023, n°21-21.053.

1. La protection contre le licenciement au bénéfice du salarié qui a dénoncé des faits de harcèlement moral.

Le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral bénéficie d’une protection contre le licenciement.

En effet, selon une jurisprudence constante rendue sur pied des articles L1152-1 et L1152-3 du Code du travail :

« le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis » [1].

Tout licenciement d’un salarié lié à la dénonciation de faits de harcèlement moral est donc nul est de nul effet.

Cette protection n’est exclue qu’en cas de mauvaise foi, laquelle ne peut être déduite de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis [2].

Seule la connaissance du caractère mensonger des faits dénoncés permet en effet de caractériser la mauvaise foi du salarié et d’ainsi exclure la protection contre le licenciement.

La nullité du licenciement prononcé en violation de cette protection offre au salarié une option :

  • Soit il demande sa réintégration au sein de l’entreprise et le paiement des salaires qu’il aurait dû percevoir entre la date de son licenciement et celle de sa réintégration effective ;
  • Soit il ne demande pas sa réintégration et il a alors droit non seulement au paiement de ses indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement) mais également d’une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement (dont le montant est laissé à l’appréciation des juges sur base des éléments justifiant ce préjudice).

2. L’abandon de la jurisprudence qui exigeait que le salarié ait expressément dénoncé des faits qualifiés de « harcèlement moral ».

Depuis un arrêt du 13 septembre 2017 [3], la Cour de cassation exigeait – pour que le salarié puisse bénéficier de la protection contre le licenciement – que celui-ci ait expressément qualifié les faits qu’il dénonçait de « harcèlement moral ».

A défaut, la Cour de cassation considérait que même si une situation de harcèlement moral était caractérisée, le salarié ne pouvait solliciter la nullité de son licenciement dès lors que :

« il n’avait pas dénoncé des faits qualifiés par lui d’agissements de harcèlement moral ».

Le 19 avril 2023, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence et abandonné cette condition en jugeant que :

« Ayant constaté que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir adressé aux membres du conseil d’administration de l’association une lettre pour dénoncer le comportement du supérieur hiérarchique de la salariée en l’illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la cour d’appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral ».

Il en résulte qu’il ne peut désormais plus être opposé au salarié de ne pas avoir expressément utilisé les termes de « harcèlement moral » dès lors que l’employeur ne pouvait ignorer, nonobstant le défaut de qualification comme tel, que le salarié dénonçait un harcèlement moral.

Ce revirement de jurisprudence était extrêmement attendu.

En effet, en pratique, il n’est pas rare que le salarié victime de harcèlement moral n’ose pas le qualifier comme tel par peur du poids de ces mots.

Pour autant, ceci ne signifie pas que les agissements qu’il dénonce ne constituent pas en réalité un véritable harcèlement moral.

Il semblait dès lors particulièrement injuste de le priver de la protection contre le licenciement au seul motif qu’il n’aurait pas fait usage du terme « harcèlement moral ».

Cette solution parait donc tout à fait justifiée.

Il reste néanmoins toujours préférable de ne pas hésiter, face à des faits de harcèlement moral, à les dénoncer en les qualifiant comme tels pour éviter tout débat ultérieur sur le bénéfice ou non de la protection contre le licenciement.

Marilou Ollivier
Avocat à la Cour
Selarl Chhum Avocats
03.20.57.53.24
www.chhum-avocats.fr

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Notes de l'article:

[1Voir notamment Cour de cassation, Chambre sociale, 21 mars 2018, n° 16-24.350.

[2Voir notamment Cour de cassation, Chambre sociale, 10 juin 2015, n° 13-25.554.

[3Cour de cassation, Chambre sociale, 13 septembre 2017, n°15-23.045.

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