En 2019 la jurisprudence en matière de harcèlement moral confirme la protection des Juges sur trois points :
Peu importe l’ancienneté du harcèlement moral, s’il perdure, l’employeur sera sanctionné (1) ;
Le comportement ou l’absence prolongée du salarié harcelé ne saurait légitimer son licenciement (2) ;
La sanction des Juges du fond qui ne respectent pas la méthodologie fixée par la Cour de Cassation : les preuves doivent être examinées dans leur ensemble (3).
1/ Peu importe l’ancienneté du harcèlement moral, s’il perdure, l’employeur sera sanctionné (3 arrêts).
A l’occasion de trois affaires de harcèlement moral, la Cour de Cassation a reconnu le harcèlement moral des salariés perdurant après leur départ de l’entreprise.
1er arrêt : Même si le salarié harcelé continue de travailler dans l’entreprise pendant plusieurs années (Cass. Soc. 30 janvier 2019 n° 16-25778)
Une salariée employée sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail, ce qu’elle obtient en appel, l’arrêt faisant l’objet d’un pourvoi de l’employeur qui conteste tout harcèlement moral :
"Dès lors que la salariée a continué a exécuter sa prestation de travail sans discontinuer jusqu’en 2013 », ce qui, selon lui, excluait des manquements graves rendant impossible la poursuite de la relation de travail" (Pour en savoir plus sur la résiliation judiciaire/la prise d’acte lire cet article).
Peine perdue, la Cour de Cassation reconnaît l’existence du harcèlement moral avec une motivation clairvoyante :
« Mais attendu qu’ayant retenu que les manquements de la société étaient graves et récurrents, qu’ils avaient trait aux conditions de travail quotidien de la salariée et constituaient un harcèlement moral dont les effets sur la santé de la salariée étaient incontestables, dès lors que l’annonce le 21 juin 2013 de sa mutation l’avait conduite, après les autres manquements endurés, à sa dépression, la Cour d’Appel a pu en déduire que la poursuite du contrat de travail était impossible et que la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur devait être prononcée ».
2ème arrêt : Même si la résiliation judiciaire est sollicitée un an après les derniers agissements de harcèlement moral (Cass. Soc. 6 mars 2019 n° 17-31161).
Une secrétaire générale saisit le Conseil de Prud’hommes d’une demande de résiliation de son contrat de travail pour harcèlement moral.
L’employeur conteste l’arrêt d’appel favorable à la salariée au motif que la demande de résiliation judiciaire par la salariée était postérieure d’un an après les derniers agissements de harcèlement moral qu’elle dénonçait et alors même qu’à la date de sa saisine son harceleur n’était plus présent, l’employeur en concluant que la situation de harcèlement moral aurait pris fin et que la Cour aurait dû constater que ces agissements étaient anciens et ne faisaient pas obstacle à la poursuite du contrat de travail à la date de la saisine du Conseil de Prud’hommes.
Comme l’arrêt précédent, la Cour confirme l’arrêt d’appel par une motivation explicite :
« Mais attendu qu’ayant relevé que l’employeur n’avait pas pris de mesures suffisantes pour faire cesser le harcèlement tout en observant qu’après une certaine accalmie et l’engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre (du harceleur) mis en cause, le harcèlement s’était intensifié, que le harcèlement perdurait au jour de la suspension du contrat de travail suivi de la déclaration d’inaptitude de la salariée, la Cour d’Appel…a fait ressortir de ses contestations la gravité du manquement persistant de l’employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail ».
3ème arrêt : Même si le salarié harcelé est en congé de fin de carrière (Cass. soc 26 juin 2019 n° 17-28323).
Un Directeur d’agence Grands Comptes dans le domaine de la banque et titulaire de divers mandats de représentants du personnel, bénéficie d’un congé de fin de carrière avec cessation d’activités en 2006 avec une mise à la retraite en 2012.
Il saisit le Conseil de Prud’hommes pour harcèlement moral, sa demande étant rejetée en appel comme prescrite, s’agissant de faits remontant en 2009, alors que le salarié en congé de fin de carrière depuis 2006 ne pouvait, selon la Cour d’Appel « invoquer aucune dégradation de ses conditions de travail, puisqu’il n’était plus sur son poste de travail au sein de l’entreprise ».
L’arrêt est cassé par la Cour de Cassation qui a été particulièrement attentive aux éléments présentés par le salarié représentant du personnel à l’appui du harcèlement moral évoqué :
« Qu’en statuant ainsi, le salarié était demeuré lié à l’entreprise par un contrat de travail jusqu’à son départ en retraite le 1er octobre 2012 et qu’il appartenait à la Cour d’Appel de rechercher…si le salarié qui invoquait des faits postérieurs à son départ en congés de fin de carrière, tel que le refus de fournir des outils nécessaires à son activité syndicale en le privant pendant 2 ans d’un accès à l’intranet de l’entreprise, le refus de lui permettre d’assurer aux réunions de délégués du personnel… des erreurs systématiques quant au calcul des cotisations de retraite complémentaire… des erreurs quant au calcul de l’intéressement et de la participation, établissait ainsi des faits qui permettent de présumer un harcèlement moral… ».
2) Le comportement ou l’absence prolongée du salarié harcelé ne légitime pas son licenciement.
Le harcèlement moral entraîne une dégradation profonde physique et psychologique du salarié.
Lorsque le salarié est toujours présent dans l’entreprise, son travail, son comportement et ses relations avec ses collègues de travail altérées par le harcèlement moral qu’il subi entraînent parfois des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement.
C’est à ces cas de figure qu’a été confrontée la Cour de Cassation qui a érigé un rempart judiciaire protecteur des salariés particulièrement fragilisés :
1er arrêt : Un comportement du salarié harcelé en réaction au harcèlement moral (Cass. Soc.10 juillet 2019, n° 18-14317).
Une salariée Assistante de Direction licenciée pour faute conteste son licenciement en invoquant un harcèlement moral.
L’employeur se pourvoit à l’encontre de l’arrêt d’appel qui a prononcé la nullité du licenciement en évoquant des plaintes de salariés lui reprochant d’avoir créé des dissensions dans l’équipe, de négligence professionnelle, « une attitude moins collaborative et d’avoir répandu des rumeurs calomnieuses », sans oublier « l’attitude déloyale de la salariée qui aurait tenté d’obtenir une prime à laquelle elle ne pouvait prétendre ».
Et la Cour de Cassation, confirmant l’arrêt d’appel, relève que :
« Ayant constaté que le harcèlement moral, résultant notamment du retrait de certaines de ses attributions, d’injures et humiliations de la part du nouveau gérant ou de salariés, sans réaction de ce dernier, était caractérisé à l’égard de la salariée, et retenu, sans dénaturation de la lettre de licenciement que « l’attitude de moins en moins collaborative » ainsi que le fait de créer des dissensions au sein de l’équipe et de dénigrer le gérant, griefs reprochés à la salarié, était une réaction au harcèlement moral dont la salariée avait été victime, la Cour d’Appel… en a exactement déduit la nullité du licenciement ».
2ème arrêt : Même si la salarié est en absence prolongée suite au harcèlement moral (Cass. Soc. 30 janvier 2019 n° 17-31473).
Dans cet arrêt, un salarié est licencié « en raison de son absence prolongée perturbant le bon fonctionnement de l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif ».
Celui-ci conteste son licenciement en invoquant son harcèlement moral et obtient la condamnation de son employeur à des dommages-intérêts pour harcèlement moral et manquement à son obligation de sécurité.
L’employeur se pourvoit devant la Cour de Cassation en reprochant à la Cour d’Appel de ne pas avoir exigé du salarié qu’il établisse que son licenciement aurait pour cause les agissements de harcèlements moraux dont il se prévaut, argumentation rejetée par la Cour de Cassation qui constate :
« Mais attendu que lorsque l’absence prolongée du salarié est la conséquence du harcèlement moral dont il a été l’objet, l’employeur ne peut se prévaloir de la perturbation que l’absence prolongée du salarié a causé au fonctionnement de l’entreprise ; et attendu qu’ayant retenu l’existence d’un harcèlement moral ayant eu des répercussions sur l’état de santé de la salariée, dont elle avait constaté l’absence de l’entreprise en raison de plusieurs arrêts de travail, et ayant fait ressortir le lien de causalité entre le harcèlement moral à l’origine de l’absence de la salariée et le motif du licenciement, la Cour d’Appel… a légalement justifié sa décision ».
3ème arrêt : Le comportement du salarié harcelé n’excuse pas les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat (Cass. Soc. 13 juin 2019 n° 18-11115).
Dans le droit fil de ces deux jurisprudences protectrices du salarié affaibli par le harcèlement moral, la Cour de Cassation vient ici sanctionner un arrêt de la Cour d’Appel qui avait au contraire réduit les dommages-intérêts pour préjudice moral du salarié en considérant que son propre comportement aurait contribué à dégrader les conditions de travail dont il se plaignait.
La Cour de Cassation rappelle au contraire que dans le cadre de l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur définit par l’article L 4122-1 du Code du Travail, le propre comportement du salarié ne vient en rien réduire l’obligation de sécurité de l’employeur à prévenir les agissements de harcèlement moral.
La motivation est assez technique, mais elle résume bien la priorité donnée par les Juges suprêmes à la protection du salarié harcelé :
« Vu l’article L 4122-1 du Code du Travail…attention qu’il résulte de ce texte que les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé morale au travail n’affectent pas le principe de responsabilité de l’employeur ;
« Attendu que pour limiter le montant des dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice subi du fait des agissements de harcèlement moral, l’arrêt retient que la salariée a pu contribuer par son propre comportement lors des réunions des représentants du personnel à la dégradation des conditions de travail ; qu’en statuant ainsi, la Cour d’Appel a violé le texte susvisé ».
3) La piqûre de rappel faite au Juge du fond : les preuves du harcèlement moral doivent être examinées dans leur ensemble.
Régulièrement, la Cour de Cassation est amenée à sanctionner des arrêts d’appel qui continuent de rejeter les demandes de harcèlement moral de salariés en se tenant à l’examen unilatéral de chaque pièce présentée au lieu d’apprécier l’ensemble des pièces produites pour déterminer si ces éléments permettent de présumer l’existence du harcèlement moral.
En effet, afin de protéger le salarié harcelé, les règles de preuves sont allégées : il appartient au salarié harcelé de présenter des éléments laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral, puis à l’employeur de prouver que les faits, les mesures justifiées par le salarié seraient étrangères à tout harcèlement moral.
Or, de manière étonnante et malgré une jurisprudence constante de la Cour de Cassation, certains Juges du fond restent encore réfractaires à cette méthodologie réaffirmée de manière constante par la Cour :
1er arrêt : Pas d’appréciation séparée de chaque élément présentés par le salarié (Cass. Soc. 20 mars 2019 n° 17-27854).
Un salarié technicien support licencié pour inaptitude conteste son licenciement en sollicitant des dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour violation par son employeur de son obligation de prévention du harcèlement moral.
Sa demande est rejetée par la Cour d’Appel au motif qu’il ne justifierait pas de son isolement par rapport à ses collègues, ni de l’attitude harcelante de son manager, ni de sanctions qui auraient été prises à son encontre, d’une attitude vexatoire de son employeur, que son avis d’inaptitude serait en lien avec son harcèlement moral, que sa maladie ne serait pas connue d’origine professionnelle, « qu’il résulte de ces éléments concordants que les faits présentés par le salarié ne sont pas constitutifs de harcèlement moral et que l’attitude reprochée à la société est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral ».
La Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel en rappelant la méthodologie requise et en concluant :
« Qu’en statuant ainsi, en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par le salarié, alors qu’il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral, et dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la Cour d’appel a violé les textes susvisés (sur le harcèlement moral et l’absence de prévention du harcèlement moral, articles L 1152-1 et L 1154-1 du Code du Travail) ».
2ème arrêt : Pas de prise en compte de manière isolée des 9 points soulevés par le salarié (Cass. soc. 26 juin 2019 n° 17-20723).
De la même manière, la Cour rappelle par un attendu long et explicite la méthodologie requise, puis en conclut :
« Attendu que pour débouter le salarié de sa demande au titre d’un harcèlement moral, la Cour d’appel a retenu que le salarié affirmait avoir subi un harcèlement moral qu’il fondait sur 9 points développés dans ses écritures et que ces éléments ne se présentaient pas comme des agissements répétés en ce que chacun d’entre eux avait un caractère isolé, qu’en statuant ainsi, alors que le salarié présentait des faits qu’il lui appartenait d’examiner dans leur ensemble, la Cour d’Appel a violé les textes susvisés ».
3ème arrêt : Il faut prendre en compte TOUS les éléments établis par le salarié incluant les documents médicaux (Cass. Soc. 29 mai 2019 n° 18-11415).
Citons enfin ce 3ème arrêt sanctionnant de nouveau la méthodologie erronée de la Cour d’Appel :
« Il appartient au Juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux ... produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral… ».
« Attendu que la Cour d’Appel a rejeté les demandes formées au titre du harcèlement, estimant que la salariée n’établissait pas que le comportement de sa supérieure hiérarchique étaient constitutif d’un harcèlement ».
« Qu’en statuant ainsi, sans examiner l’ensemble des faits invoqués par la salariée au titre du harcèlement…la Cour d’Appel a violé les textes susvisés ».
Discussions en cours :
Vous avez du pain sur la planche, cher Maître !
Les exigences de résultats des actionnaires ne permettent plus aucune mansuétude à l’égard des salariés, devenus objectivement créateurs de "valeur". Il n’est pas question de laisser la machine capitaliste se gripper par des hésitations, ou pire, par des résistances somme toute humaines. C’est marche ou crève !
Mon constat est un peu général et plutôt prégnant auprès des "grandes" entreprises. Mais les TPE subissent elles aussi une pression... autrement plus dramatique. Au contact direct et quasi quotidien de salariés souvent isolés avec le patron, l’ambiance n’est pas meilleure.
Bonjour, effectivement gagner un procès pour harcèlement moral est souvent une gageure mais le combat en vaut la peine, outre une réhabilitation morale du salarié, une décision de condamnation possède souvent une vertu thérapeutique permettant au salarié de se reconstruire vers un processus d’estime retrouvée (CA Paris Pôle 6 CH. 8 17 mars 2022 RG 18/05528).
Judith Bouhana
Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com