Le salarié bénéficie de la protection contre le licenciement même si le harcèlement moral n’a pas été défini comme tel au moment de sa dénonciation.

Par Kevin Bouleau, Avocat.

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Explorer : # harcèlement moral # protection des salariés # licenciement abusif

Par un arrêt du 19 avril 2023, la Cour de cassation affirme que la protection contre le licenciement bénéficie aux salariés ayant dénoncé des faits de harcèlement moral, peu important que ces faits aient été qualifiés de harcèlement moral au moment de cette dénonciation.

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En l’espèce, une salariée était engagée par une association en qualité de psychologue.

Par courrier en date du 26 février 2018, la salariée adressait une lettre à la direction de l’association, dénonçant des dysfonctionnements au sein de la structure, et notamment les décisions et agissements du directeur, ayant pour conséquences la dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.

Par courrier en date du 9 avril 2018, la salariée était licenciée pour faute grave.

La lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir adressé ce courrier à la direction de l’association, courrier au sein duquel elle avait « gravement mis en cause l’attitude et les décisions prises par le directeur, M. [D], tant à son égard que s’agissant du fonctionnement de la structure » et y avait

« également porté des attaques graves à l’encontre de plusieurs de ses collègues, quant à leur comportement, leur travail, mais encore à l’encontre de la gouvernance de l’association ».

Contestant son licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant notamment à la nullité du licenciement et au paiement de diverses sommes au titre du harcèlement moral, de la violation de l’obligation de sécurité et de la rupture du contrat de travail.

Elle soutenait avoir subi et dénoncé des agissements de harcèlement moral de la part du directeur de la structure, et revendiquait à ce titre le bénéfice des dispositions protectrices de l’article L1152-2 ancien du Code du travail.

Selon cet article,

« Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ».

Par un arrêt en date du 15 avril 2021, la Cour d’appel de Caen prononçait la nullité du licenciement et condamnait l’employeur au paiement de sommes en réparation du harcèlement moral subi par la salariée, du manquement à l’obligation de sécurité et de l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

L’arrêt retenait que le motif de licenciement étant tiré de la dénonciation par la salariée, dont la mauvaise foi n’était pas démontrée, d’agissements de harcèlement moral, il emportait à lui seul la nullité de plein droit du licenciement.

L’association formait un pourvoi en cassation.

Elle soutenait que la lettre de licenciement ne reprochait pas à la salariée d’avoir dénoncé l’existence de faits de « harcèlement moral », celle-ci n’ayant pas qualifié ces faits comme tels lors de leur dénonciation.

Elle faisait grief à la cour d’appel d’avoir toutefois considéré que la formulation de la lettre de licenciement autorisait la salariée à revendiquer le bénéfice des dispositions de l’article L1152-2 ancien du Code du travail.

La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et rejette le pourvoi au visa des articles L1152-2 ancien, L1152-3 et L1121-1 du Code du travail, et de l’article 10 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Elle affirme qu’il

« y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté́ des faits qu’il dénonce. ».

Or, la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir adressé une lettre de dénonciation du comportement du directeur du foyer, lettre illustrée de faits ayant entraîné selon la salariée la dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, à des membres du conseil d’administration de l’association.

La Cour de cassation considère donc que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral.

Partant, la mauvaise foi de la salariée n’étant pas démontrée, le licenciement devait être déclaré nul.

Ainsi, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence par cet arrêt et abandonne l’exigence de qualification de harcèlement moral des faits dénoncés.

En effet, la Chambre sociale avait consacré une exigence de qualification expresse des faits de « harcèlement moral » par le salarié lors de leur dénonciation dans un arrêt du 13 Septembre 2017 [1].

La position adoptée par la Cour de cassation dans cet arrêt s’inscrit dans un mouvement de protection des salariés dénonçant un harcèlement moral.

En effet, face à une telle situation, les salariés n’osent pas toujours qualifier les faits de « harcèlement moral ».

Ainsi, seule la mauvaise foi du salarié, caractérisée par sa connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce, peut faire obstacle à la protection de l’article L1121-1 du Code du travail.

Un salarié ayant, de bonne foi, dénoncé des faits de harcèlement moral pourra bénéficier de la protection contre le licenciement fondé sur cette dénonciation ; peu importe que le caractère de harcèlement moral des faits dénoncés soit reconnu par la suite.

Toutefois, il appartiendra au juge de vérifier que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer, à la lecture du courrier de dénonciation ayant motivé le licenciement, que le salarié dénonçait des faits de harcèlement moral, bien que ces faits n’aient pas été qualifiés de tels.

Cet arrêt appelle donc à une vigilance accrue des professionnels des ressources humaines, et à une analyse minutieuse des faits dénoncés par le salarié.

Dorénavant, celui-ci peut d’autant plus simplement invoquer l’existence d’un harcèlement moral et demander la nullité de son licenciement, au risque pour l’employeur de devoir le réintégrer dans les effectifs de l’entreprise.

Kevin Bouleau
Avocat au Barreau de Paris
Cabinet Ekipe Avocats
http://ekipe-avocats.com

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Notes de l'article:

[1Cass. Soc, 13 septembre 2017, n° 15-23.045.

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