La caractérisation du viol, ou de l’agression sexuelle autre que le viol, ne consiste pas à rechercher si la victime était "consentante", ni davantage à rechercher si l’auteur avait conscience de "l’absence de consentement" de la victime.
C’est précisément ce qu’a perdu de vue la Cour d’appel de Douai, rappelée à l’ordre par la Cour de cassation, à l’occasion d’un arrêt rendu par la Chambre criminelle, en date du 15 mai 2024, n° 23-85.034 [1].
De la définition légale du viol et de l’agression sexuelle.
L’agression sexuelle est ainsi définie, aux termes de l’article 222-22 du Code pénal :
« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur.
Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage.
Lorsque les agressions sexuelles sont commises à l’étranger contre un mineur par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l’article 113-6 et les dispositions de la seconde phrase de l’article 113-8 ne sont pas applicables ».
Le viol est quant à lui défini à l’article 222-23 du même code :
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.
Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle ».
Le viol est donc un cas particulier d’agression sexuelle, dont la spécificité consiste dans l’acte de pénétration, tandis que les autres formes d’agressions sexuelles se bornent à des attouchements.
En somme, le viol est donc une agression sexuelle, mais une agression sexuelle n’est pas nécessairement un viol.
Les textes sont ainsi centrés, non sur le point de vue de la victime qui serait "non consentante" à l’acte, mais bien sur le comportement de l’auteur, qui doit avoir commis cet acte par violence, menace, contrainte ou surprise, et de sa propre perception de ses propres agissements.
En réalité, il ne saurait en être autrement : faut-il le rappeler, le viol et l’agression sexuelle sont des infractions pénales, intentionnelles qui plus est. Or, comme pour toute infraction intentionnelle, celles-ci ne peuvent être caractérisées qu’au travers :
- d’un élément matériel, lequel s’évince du fait commis par l’auteur lui-même, qu’il s’agisse d’une action ou d’une omission, et non par la réaction d’un tiers à cette action ou à cette omission, fût-ce la victime elle-même ;
- d’un élément moral, qui s’évince de l’intention de l’auteur de commettre l’élément matériel de l’infraction, sciemment, et non une fois encore de la perception de la victime eu égard au fait accompli.
Sur ce dernier point, il a par exemple été jugé en ces termes (Crim 25 avril 2001 n° 00-85.467, au bulletin) :
« Attendu que, pour déclarer X... coupable d’agression sexuelle sur la personne de Y..., l’arrêt attaqué énonce que la différence d’âge entre les protagonistes était de 30 ans et qu’"après les avances poussées" du prévenu, la jeune femme "était tombée des nues", "cette expression familière et imagée" caractérisant la surprise ;
Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que l’élément constitutif du délit d’agression sexuelle, au sens de l’article 222-22 du Code pénal, consiste à surprendre le consentement de la victime et ne saurait se confondre avec la surprise exprimée par cette dernière la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Ainsi, ne caractérise pas l’agression sexuelle par surprise le fait, pour la victime, de « tomber des nues », c’est-à-dire d’exprimer sa propre surprise, en lieu et place de caractériser un acte commis « par surprise » du fait de l’auteur.
De même, est sans valeur le "consentement" donné par la victime sous l’empire de la contrainte, tel celui donné par une femme à un policier la menaçant d’incarcération (Crim 29 avril 1960 S. 1960, p. 253), ou encore celui donné par une femme à un individu la menaçant de l’abandonner en pleine campagne par un froid intense (Crim 11 février 1992 Dr pén 1992 comm 174).
Sur l’arrêt du 15 mai 2024.
L’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, sus-référencé, s’inscrit donc dans la continuité de sa propre jurisprudence, parfaitement constante, de laquelle s’était égarée la Cour d’appel de Douai.
L’arrêt de la cour d’appel est ainsi relaté par les Hauts magistrats :
« 17. Pour infirmer le jugement et relaxer le prévenu du chef d’agression sexuelle, l’arrêt attaqué énonce d’abord que l’intéressé a constamment indiqué ne pas avoir eu conscience de l’absence de consentement de M. [E] pour cet acte.
18. Les juges relèvent que la scène s’est déroulée dans le sauna d’un établissement où se pratiquent les relations sexuelles, et que la partie civile ne conteste pas avoir reçu et effectué des fellations consenties, notamment sur M. [R] ; ils ajoutent que M. [E] a indiqué qu’il était nu et faisait une fellation à un tiers lorsqu’il a été sodomisé.
19. Ils ajoutent que le prévenu a déclaré avoir entendu le refus de M. [E] d’être pénétré analement lors de l’acte lui-même et non antérieurement, et avoir alors interrompu son acte. Ils relèvent que si les déclarations du témoin sont conformes à celles du plaignant sur ce point, il n’en est pas de même à propos d’autres circonstances ».
Les juges du fond ont donc entendu entrer en voie de relaxe, en caractérisant le fait que l’auteur n’avait pas « eu conscience de l’absence de consentement » de la victime pour l’acte de sodomie.
Or, ainsi que le rappelle la Cour de Cassation :
« 24. D’une part, la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, éléments constitutifs de l’infraction poursuivie caractérisent le défaut de consentement de la victime. Leur existence doit être déduite des conditions dans lesquelles le fait a été commis et du comportement du prévenu.
25. D’autre part, la cour d’appel ne s’est pas expliquée, avant de conclure que le fait était dépourvu de caractère intentionnel, sur la déclaration du prévenu, reproduite dans l’arrêt, qui avait reconnu ne pas avoir fait part de ses intentions à M. [E] et l’avoir sodomisé sans préservatif, par surprise, en raison de son excitation liée à la prise de stimulants ».
Et de préciser également que « l’élément intentionnel de l’agression ne pouvait être écarté en considération d’un fait postérieur à celui visé par la poursuite ».
Conformément aux textes, et conformément à sa propre jurisprudence, la Cour de cassation rappelle donc aux juges du fond une évidence, à savoir qu’ils sont tenus de caractériser l’infraction, ou l’absence d’infraction, en fonction des agissements de l’auteur, et de son intention sous-jacente.
Au cas précis, les juges du fond ont donc omis d’analyser si le comportement de l’auteur, dans les circonstances particulières à l’espèce, caractérisait ou non le fait d’avoir commis l’acte incriminé « par surprise ».
La cassation était donc encourue.
Conclusion.
Pour nuancer le propos introductif, il faut tout de même remarquer que, si les textes sont parfaitement silencieux quant à la notion de consentement, la Cour de cassation ne déconsidère toutefois pas totalement cette notion, mais de manière indirecte.
Ainsi, la notion de "consentement" de la victime ne s’analyse pas de manière autonome, comme l’a fait la Cour d’appel de Douai, mais se déduit des agissements de l’auteur.
Autrement dit, n’est pas consentante la personne qui subit une atteinte sexuelle faite par violence, menace, contrainte ou surprise.
A contrario, est consentante la personne qui se laisse atteindre sexuellement, alors même que l’auteur n’aura fait usage ni de violence, ni de menace, ni de contrainte, ni de surprise.
En outre, doivent également être prises en compte les circonstances dans lesquelles l’acte a été commis.
Cela paraît aller de soi, tant le contexte peut effectivement avoir une incidence sur la nature matérielle de l’acte, et sur l’intention de l’auteur de commettre un délit, ou au contraire sur son absence d’intention.
En l’occurrence, les juges du fond ont donc brûlé la première étape, qui aurait dû consister dans l’analyse du fait matériel commis par l’auteur, et de l’analyser, effectivement, à l’aune des circonstances de l’espèce.
Or, s’il est clair que les juges du fond ont longuement analysé les circonstances entourant l’infraction pour en déduire un défaut d’élément moral, ils ne pouvaient les analyser sans tenir compte, d’abord et avant tout, de l’élément matériel du délit, tel qu’il résulte des agissements imputables à l’auteur.
En somme, l’analyse des circonstances de l’espèce n’a d’importance qu’en tant qu’elle permet d’éclairer le juge sur les éléments matériel et moral de l’infraction.
Au contraire, sont inopérants les motifs de l’arrêt qui se bornent à analyser les circonstances de l’espèce de manière autonome, sans tenir compte en premier lieu des faits matériels imputables à l’auteur.