Il n’en demeure pas moins que de nombreux justiciables se voient purement et simplement laissés sur la touche, d’où la nécessité d’une aide de l’État.
En cassation comme ailleurs, cette aide est d’abord et avant tout subordonnée à un critère économique.
Ainsi, celui dont les revenus, ou dont le patrimoine mobilier, financier ou immobilier, dépassent un certain plafond, ne pourra prétendre à aucune aide, ou seulement une aide partielle [1].
Ces plafonds sont identiques à tous les stades de la procédure, cassation comprise.
Toutefois, un autre critère vient entraver l’accès à l’aide juridictionnelle pour le demandeur en cassation (c’est-à-dire celui à l’initiative du pourvoi) [2] : le bureau d’aide juridictionnelle doit en effet relever l’existence d’un "moyen sérieux" de cassation. À défaut, cette aide ne lui sera pas accordée, quelle que soit sa situation économique.
Quelles sont les conséquences de ce critère ?
Est-il possible de poursuivre son pourvoi malgré le refus de cette aide, et si oui, comment ?
Disons le d’emblée : l’appréciation du bureau d’aide juridictionnelle, quant à l’existence d’un "moyen sérieux", ne lie en aucun cas les juges de cassation, dans un sens comme dans l’autre.
Ainsi, l’aide juridictionnelle peut parfaitement être refusée pour défaut de "moyen sérieux", ce qui n’empêche pas la Cour de cassation ou le Conseil d’État de faire droit au pourvoi, si le requérant décide de le poursuivre à ses frais.
Dans ce cas, le requérant a droit au « remboursement des frais, dépens et honoraires par lui exposés ou versés, à concurrence de l’aide juridictionnelle dont il aurait bénéficié compte tenu de ses ressources » ([Article 7, alinéa 4, de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique).
À savoir également : lorsque le bureau d’aide juridictionnelle refuse d’accorder cette aide (quel que soit le motif), ou lorsque l’aide accordée n’est que partielle, le requérant n’a droit qu’à un seul et unique recours, auprès du premier président de la Cour de cassation, ou du président de la section du contentieux du Conseil d’État [3].
Inversement, cette aide peut être accordée, ce qui n’empêche en rien les Hauts magistrats de décider de refuser d’admettre le pourvoi, au travers d’un arrêt non motivé, jugeant péremptoirement les moyens soulevés "non sérieux", ni plus que de rejeter le pourvoi par un arrêt dûment motivé [4].
Seront successivement abordés le cas particulier du pourvoi en matière pénale, c’est-à-dire devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation [5], puis le cas général du pourvoi devant les chambres civiles de la Cour de cassation et devant le Conseil d’État.
Du pourvoi en cassation en matière pénale et de l’absolue nécessité de déposer un mémoire personnel.
Le pourvoi en cassation en matière pénale, y compris sur intérêts civils, est à l’intention de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
Quelle que soit sa qualité [6], le demandeur en cassation peut, en toute hypothèse, soutenir son pourvoi sans l’intermédiaire d’un avocat à la Cour de cassation.
Cette possibilité n’existe pas devant les chambres civiles de la Cour de cassation [7], ni devant le Conseil d’État [8].
Pour ce faire, le requérant doit déposer un mémoire, signé par lui, contenant ses moyens de cassation, en mains propres au greffe de la juridiction ayant rendu la décision attaquée, ceci dans un délai de dix jours à compter de sa déclaration de pourvoi, ainsi qu’il est dit à l’article 584 du Code de procédure pénale.
Le délai est étendu à un mois au bénéfice des demandeurs condamnés pénalement [9], et des demandeurs en matière de presse [10] : le mémoire doit alors être envoyé, en trois exemplaires, directement au greffe criminel de la Cour de cassation.
Ce mémoire est appelé "mémoire personnel", tandis que le mémoire émanant d’un avocat à la Cour de cassation est appelé "mémoire ampliatif", et la méthodologie de sa rédaction a déjà été abordée (Dans un précédent article Cour de cassation : guide pour rédiger son propre mémoire par devant la Chambre criminelle. Par Samy Merlo, Élève-Avocat.).
Il est absolument indispensable de sécuriser la procédure en déposant un mémoire personnel dans les délais, sans attendre l’issue de la demande d’aide juridictionnelle, étant rappelé que le mémoire personnel peut se cumuler avec un mémoire ampliatif.
Le justiciable peut rédiger lui-même son mémoire personnel, ou le faire rédiger par un tiers, tel un avocat ou un juriste auto-entrepreneur, aux tarifs abordables.
En effet, la demande d’aide juridictionnelle n’interrompt pas les délais impartis pour le dépôt d’un mémoire personnel, lesquels sont très courts au demeurant, comme on vient de le voir, de sorte que le requérant est à coup sûr hors délai s’il attend de connaître la décision sur sa demande.
Si le requérant ne dépose pas de mémoire personnel, et se voit débouté de sa demande, la seule possibilité restante consiste à mandater un avocat à la Cour de cassation à ses frais ... lesquels oscillent généralement entre 3 000 et 6 000 euros pour un seul dossier, comme vu en introduction.
Et qui ne lui seront remboursés par l’État que s’il obtient gain de cause.
Enfin, faut-il redire que l’octroi de l’aide juridictionnelle peut être total, ou partiel.
En cas d’aide partielle, le requérant sera amené à régler une partie des honoraires de son avocat à la Cour de cassation, ainsi qu’il est dit à l’article 35 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
Or, les honoraires des avocats à la Cour de cassation étant beaucoup plus élevés que ceux de leurs confrères, il peut s’avérer in fine plus avantageux de faire appel à un tiers juriste pour rédiger un mémoire personnel - même en étant éligible à une aide partielle - que de faire appel à un avocat à la Cour de cassation pour produire un mémoire ampliatif.
Exemple : une aide juridictionnelle partielle à hauteur de 50% suppose un honoraire restant à charge du requérant à hauteur de ... 1 500 euros minimum.
Ce qui est déjà très supérieur aux tarifs de bien des juristes, et alors même que cette somme reste définitivement à la charge du justiciable, même s’il obtient gain de cause [11].
Pour toutes ces raisons, la nécessité de déposer un mémoire personnel, en matière pénale, s’impose au justiciable déterminé à mettre toutes les chances de son côté.
Elle s’impose d’ailleurs aussi bien à l’indigent qu’au fortuné : le cumul d’un mémoire personnel et d’un mémoire ampliatif, avec ou sans aide juridictionnelle, permet de mobiliser deux cerveaux sur un même dossier au lieu d’un.
Des autres pourvois.
Que ce soit devant les chambres civiles de la Cour de cassation, ou devant le Conseil d’État, la recevabilité du pourvoi en cassation est en principe subordonnée au ministère d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.
Comme vu précédemment, il y a trois exceptions à la règle :
- par devant les chambres civiles de la Cour de cassation, en matière électorale,
- et par devant le Conseil d’État, en matière d’aide sociale, et en matière de pension.
Lorsque le requérant se situe dans l’une de ces hypothèses dérogatoires, il peut, comme en matière pénale, se dispenser d’avocat, et rédiger lui-même ses propres écritures, ou les faire rédiger par un tiers juriste.
Mais, contrairement à la matière pénale, la demande d’aide juridictionnelle, cette fois, interrompt bel et bien les délais pour les y déposer [12] ; ces délais sont encore interrompus par un éventuel recours devant le président de la section du contentieux du Conseil d’État ou devant le premier président de la Cour de cassation [13].
Elle l’interrompt, même lorsqu’elle est déposée devant le mauvais bureau d’aide juridictionnelle, qui doit alors la transmettre au bureau compétent [14].
Partant, et lorsque le requérant ne se situe pas dans l’une des hypothèses susmentionnées (c’est-à-dire dans l’écrasante majorité des cas), il lui appartient ... d’anticiper l’hypothèse d’un rejet de sa demande, dont le traitement peut prendre jusqu’à plusieurs mois, précieux mois dont il doit tirer profit pour réunir la somme requise.
Le requérant doit ainsi savoir :
- que, selon ses facultés de remboursement, il peut potentiellement contracter un crédit à la consommation auprès d’un établissement bancaire,
- que la plupart des avocats acceptent un paiement en plusieurs fois,
- qu’enfin, il a la possibilité, s’il jouit d’une notoriété, de financer ses frais d’avocat via appel à dons.
Sur ce dernier point, s’il est vrai que l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime les appels à dons ayant pour objet le financement d’« amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires », il n’en va pas de même en ce qui concerne le financement de ses propres frais d’avocat, qui plus est en rapport avec une procédure pendante.
Enfin, le requérant peut également solliciter condamnation de son adversaire à lui rembourser tout ou partie des frais exposés (particulièrement en cas d’aide partielle), sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ou L761-1 du Code de justice administrative, sans préjudice du remboursement dû par l’État dans l’hypothèse d’une cassation.