Intérêt à agir et permis de construire : la signature d’un compromis de vente comme circonstance particulière.

Par Antoine Louche, Avocat.

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Le fait pour un tiers de signer un compromis de vente pour l’acquisition d’un terrain voisin au projet, antérieurement au dépôt en mairie du dossier de demande de permis de construire, constitue une circonstance particulière au sens de l’article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme.

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La question de l’intérêt à agir en matière d’urbanisme opérationnel a été bouleversée ces dix dernières années avec comme point de départ la réforme engagée par l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme.

L’esprit de cette réforme était notamment d’accélérer la réalisation de logements, objectif identifié comme d’intérêt national. C’est donc dans cet esprit que le recours des tiers a été identifié comme un des freins majeurs à la réalisation de logements et que plusieurs dispositifs procéduraux ont été mis en place par les pouvoirs publics pour tenter de les diminuer.

A ce titre, l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme modifié impose ainsi désormais à tout particulier ou entreprise qui souhaite former un recours en annulation contre un permis de construire, de démolir, d’aménager ou une déclaration préalable de travaux, de justifier de son intérêt à agir à peine d’irrecevabilité de son recours.

De plus, cette même ordonnance de 2013 a également emporté création de l’article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme, qui fixe le principe selon lequel, sauf à justifier de circonstances particulières, l’intérêt à agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, s’apprécie à compter de la date d’affichage en mairie du dépôt de demande de permis de construire.

Ces dispositifs ayant bien comme objectif de limiter la possibilité de contester un permis de construire des nouveaux arrivants dans le secteur d’un projet.

La question est donc de savoir quel évènement ou élément est de nature à constituer une circonstance particulière de nature à permettre à un tiers de disposer d’un intérêt à agir contre un permis de construire ?

Par son ordonnance du 2 février 2023 présentement commentée, le juge des référés suspension du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient d’apporter une nouvelle réponse à cette question.

La jurisprudence a pu considérer depuis 2013 à plusieurs reprises que le tiers qui a signé un compromis de vente ou une promesse de vente postérieure à la date d’affichage en mairie du dossier de demande de permis de construire, ne justifie pas d’une circonstance particulière au sens de l’article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme.

Ainsi, à titre d’exemple, la Cour administrative d’appel de Marseille a considéré en 2014 que le requérant qui a signé un compromis de vente plus de trois mois après la date de délivrance d’un permis de construire et plus d’un mois après son recours gracieux adressé au maire de Marseille tendant à l’annulation dudit permis, ne dispose pas d’un intérêt à agir contre le projet de son voisin (CAA Marseille, 26 mai 2014, n° 14MA00701).

Le Conseil d’Etat en toute logique a également considéré que ne justifie pas d’un intérêt à agir une société qui est devenue propriétaire du terrain riverain d’un projet postérieurement à la délivrance du permis de construire (voir CE, 13 décembre 2021, n°450241).

Or, les faits ayant donné lieu à l’ordonnance du 2 février 2023 étaient différents. En effet, si le permis de construire avait été déposé en mairie et même délivré avant que le requérant ne devienne propriétaire du terrain, le compromis de vente avait quant à lui été signé plusieurs mois en amont.

C’est ce qu’a constaté la juge des référés qui a indiqué dans son ordonnance que les requérants :

« (…) ne sont devenus propriétaires du bien au titre duquel ils se prévalent d’un intérêt pour agir que le 26 juillet 2022, postérieurement à la délivrance du permis de construire en litige, et a fortiori de l’affichage de la demande du pétitionnaire le 25 mai 2022.
Il résulte toutefois de l’instruction qu’ils avaient conclu un compromis de vente pour l’acquisition de ce bien dès le 8 mars 2022. Dans ces conditions, Mme F et M. I doivent être regardés comme justifiant de circonstances particulières, au sens et pour l’application des dispositions précitées de l’article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme, leur conférant un intérêt pour agir. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Colombes et par M. et Mme G sur ce point doit être écartée (…) ».

Autrement dit, la date de signature du compromis ou de la promesse de vente semble un des éléments déterminant à prendre en compte pour apprécier l’intérêt à agir du requérant.

Au final, dans l’hypothèse d’une signature du compromis après le dépôt de la demande de permis en mairie, le recours du voisin risque d’être qualifié irrecevable à défaut d’intérêt à agir, alors qu’en cas de signature d’un tel acte en amont du dépôt du dossier de demande, un intérêt à agir lui sera probablement reconnu.

A notre connaissance, l’ordonnance du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 2 février 2023 constitue l’unique décision prenant position en pareille circonstance, étant au demeurant précisé que le juge a en outre constaté dans cette espèce une illégalité manifeste du permis et a en conséquence prononcé la suspension de ces effets.

Références : TA Cergy-Pontoise, ord., 3 février 2023, n°2217433 ; CAA Marseille, 26 mai 2014, n° 14MA00701) ; CE, 13 décembre 2021, n°450241

Antoine Louche,
Avocat associé chez Altius Avocats
Barreau de Lyon
www.altiusavocats.fr

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  • par Br. , Le 20 août 2023 à 16:08

    J’ai lu votre votre article sur l’intérêt à agir lors d’un recours contre un permis.

    Si, après avoir introduit un recours, le propriétaire vend sa maison, que se passe-t-il concernant le recours ? Le propriétaire peut-il continuer jusqu’à la décision du tribunal ? Ou le recours sera-t-il automatiquement retirer ou le nouveau propriétaire serait-il le nouveau requérant ?
    Merci beaucoup !

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