Introduction.
Le 28 novembre 2002, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) était créée par le gouvernement Raffarin par décret [1]. Son rôle est d’observer et analyser le phénomène sectaire, coordonner l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre des dérives sectaires, et informer le public sur les risques et les dangers auxquels il est exposé.
Longtemps appréhendées sous le prisme des religions, les dérives sectaires ont récemment émergé dans un nouveau domaine : la santé. En effet, le développement de médecines alternatives et de nouvelles thérapies laisse aussi place à l’apparition de « gourous » combinant emprise mentale et prédation financière et parfois sexuelle.
Ce phénomène est d’autant plus difficile à appréhender qu’il n’existe pas en droit français de définition de la secte, pas plus que de la religion. En effet, en raison du principe de laïcité et du respect des libertés de conscience, d’opinion et de religion garanties par la loi de 1905 [2] de séparation des Églises et de l’État, le législateur s’est toujours refusé à définir ces notions.
Nous verrons donc dans un premier temps les effets néfastes et préjudiciables des dérives sectaires dans le domaine de la santé (I) puis, dans un second temps, nous analyserons comment les pouvoirs publics et le législateur tentent de solutionner le problème des dérives sectaires en santé (II).
I. Le caractère pernicieux des dérives sectaires dans le domaine de la santé.
De plus en plus de personnes en France se détachent peu à peu de la médecine conventionnelle par méfiance et perte de confiance avec cette médecine et les professionnels de santé (A). Les personnes qui se tournent vers d’autres médecines doivent alors être accompagnées, afin d’éviter de faire l’objet de certaines dérives (B).
A. Un détachement observé envers la médecine conventionnelle.
La confiance envers la médecine conventionnelle est en déclin, marquée par des crises sanitaires telles que la pandémie du Covid 19 ou encore le scandale du sang contaminé. En effet, le scandale du sang contaminé dans les années 1990 est un événement marquant. Cela a révélé plusieurs défaillances graves de notre système de santé. Des milliers de patients ont été contaminés par le VIH à la suite de transfusions sanguines, et de nombreux autres ont contracté d’autres infections transmissibles par le sang, telles que l’hépatite C. Ce scandale a eu pour conséquence directe une perte de confiance dans le système de santé.
Récemment, la pandémie de Covid-19 a renforcé la perte de confiance envers la médecine conventionnelle. Effectivement, lors de cette période extraordinaire par l’ampleur des mesures mises en place, de nombreux « experts » ont été invités sur des plateaux télévisés ou radiophoniques pour donner leurs avis tant sur les causes de la pandémie de Covid-19, la prise en charge des patients contaminés, le traitement ou encore le vaccin fabriqué de façon express. La communauté scientifique n’était pas une unanime face à toutes ces interrogations. Ainsi, les prises de parole contradictoires d’experts pendant la crise sanitaire ont semé la confusion et ont conduit à une remise en question du système de santé. En 2022, c’est le scandale Orpéa qui, dans la continuité, va contribuer à ce que les Français perdent confiance dans le système de santé conventionnel. Cette affaire a révélé des négligences dans la prise en charge des résidents âgés, avec des accusations de mauvais traitements et des conditions de vie indignes dans certains établissements. Cet événement a suscité un large débat sur la qualité des soins prodigués aux personnes âgées.
Ce climat de méfiance a favorisé l’émergence de médecines alternatives et renforcé le désir des individus de prendre en main leur santé. Selon un sondage de 2019, 83% des Français ont déjà eu recours à une médecine non conventionnelle au moins une fois dans leur vie [3]. Et dans un sondage plus récent de 2023, on apprend que les Français ont une opinion favorable des thérapies alternatives, 70% d’entre eux ayant une bonne image de celles-ci et 57% estimant qu’elles sont globalement aussi efficaces que la médecine conventionnelle [4]. Cette tendance croissante du recours aux médecines alternatives est également observée chez les enfants. 30% auraient déjà eu recours à la médecine alternative. De plus, cela se reflète dans les dépenses. Celles-ci ont été estimées à 1,5 milliard d’euros en 2019. On peut citer l’ostéopathie et la naturopathie qui sont des médecines non conventionnelles auxquelles les Français ont beaucoup recours.
Toutefois, le détachement de la médecine conventionnelle ne s’explique pas uniquement par les différentes crises sanitaires. En effet, cette tendance au recours aux médecines non conventionnelle s’explique aussi en partie par la grande difficulté d’obtenir un rendez-vous avec un médecin et les déserts médicaux. On observe alors que les habitants situés dans un désert médical se tournent vers des alternatives telles que l’acupuncture, l’homéopathie, la naturopathie.
En outre, on peut aussi évoquer les réseaux sociaux comme facteur d’augmentation du recours aux médecines non conventionnelles. Effectivement, depuis quelques années, on observe l’émergence « d’influenceurs » sur les réseaux sociaux, ils ont un impact, notamment sur les jeunes. Très récemment, une loi est venue encadrer leur métier afin qu’ils ne fassent pas la promotion de certaines pratiques de santé [5].
En effet, l’article 4 de la loi du 9 juin 2023 expose qu’est interdite « aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, de produits, d’actes, de procédés, de techniques et de méthodes présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes, des protocoles ou des prescriptions thérapeutiques ».
Il est important de noter que 71% des patients ont toutefois conscience que ces médecines alternatives peuvent dévier vers des dérives sectaires et qu’un praticien en thérapie alternative pourrait exercer une influence sur les patients [6].
B. L’accompagnement difficile des victimes de ces dérives.
Les dérives sectaires tenant d’un détachement et d’une défiance de plus en plus prononcée envers la médecine conventionnelle, une des missions principales pour éviter un tel endoctrinement des victimes est de repérer en amont ou en aval les signes d’une telle défiance. Ainsi, les professionnels de santé ont un rôle important à jouer dans cette lutte face aux dérives sectaires dans le domaine de la santé. En effet, d’un point de vue déontologique, le serment d’Hippocrate prêté par les médecins envers leurs patients énonce : « J’interviendrai pour les protéger si elles [les personnes] sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité » [7].
Les notions d’« intégrité » et de « dignité » sont de nos jours reprises comme des principes à valeur constitutionnelle, déclinés au sein de nombreux articles de lois ou de règlements. Les médecins ont le devoir d’apporter les meilleurs soins possibles à leurs patients et concourent à ce titre aux actions en faveur de la santé publique. On peut notamment citer à cet effet l’article R4126-13 du Code de la santé publique, faisant partie du code de déontologie médicale, qui affirme que : « le médecin doit apporter son concours à l’action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l’éducation sanitaire. Il participe aux actions de vigilance sanitaire ». Ainsi, le médecin a l’obligation d’aider à mettre en œuvre les politiques publiques de protection de la santé.
Dans le cadre des dérives sectaires dans le domaine de la santé, la MIVILUDES a alors signé des conventions de partenariat avec les conseils nationaux des ordres professionnels des professions de santé mais également avec la Fédération de la ligue contre le cancer et avec l’Institut national contre le cancer, car les personnes malades du cancer sont des victimes privilégiées par les organisations sectaires en raison de la particulière vulnérabilité de ces patients. Ainsi, les professionnels de la santé sont non seulement en première ligne pour renouer le dialogue et la confiance dans la médecine allopathique mais aussi pour repérer certains comportements à caractère dangereux. Les partenariats avec les conseils nationaux des ordres professionnels des professions de santé [8] consistent alors notamment à améliorer les échanges d’informations entre les professionnels et la MIVILUDES, l’apport de l’expertise de cette dernière dans le cadre de signalements reçus par les ordres avant la saisine du Procureur de la République ou encore l’élaboration de fiches pratiques et de messages d’informations dans le but d’être diffusés et communiqués au public sur tout support d’information et notamment les réseaux sociaux.
Seulement, dans un contexte où les soignants se font de plus en plus rares, ceux-ci ont de moins en moins de temps à accorder à chaque patient afin de mettre en place une prise en charge efficiente. Le médecin n’a parfois plus que le rôle du « simple » prescripteur et n’a plus le temps d’accompagner les patients, notamment d’un point de vue psychologique et pédagogique, comme il le souhaiterait. Ainsi, l’accompagnement des victimes des dérives sectaires dans le domaine de la santé se fait de plus en plus difficilement, non pas par manque de volonté mais par manque de moyens.
Les associations de victimes constituent l’un des relais importants de cette lutte contre les dérives et à l’accompagnement des victimes. Elles sont nombreuses et l’on peut citer notamment l’UNADFI (Union nationale des associations de défenses des familles et de l’individu victimes de secte), le CCMM (Centre contre les manipulations mentales) ou encore la FAVIA (Fédération des Associations Vigilance Informations Action). Cependant, seule l’UNADFI est reconnue d’utilité publique [9] par un décret en date du 30 avril 1996 et peut alors ester en justice et se porter partie civile afin de soutenir et de défendre au mieux les victimes dans le cadre d’une instance, permettant de faire condamner les groupes sectaires conformément à ce que permet ce statut au titre de l’article 11 [10] de la loi relative au contrat d’association [11], adoptée en 1901. Ainsi, il est déplorable qu’une seule association soit en mesure de se porter partie civile, au regard de l’importance des dérives sectaires, qu’elles soient dans le domaine de la santé ou non.
Seulement, un des problèmes majeurs dans l’accompagnement des victimes est celui de la liberté de conscience, notamment proclamé au niveau constitutionnel mais aussi au niveau conventionnel avec la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et son article 9 relatif à la liberté de pensée, de conscience et de religion mais également à son article 10 relatif à la liberté d’expression qui dispose que : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ». Ainsi, les personnes, qu’elles soient physiques ou morales – dans le cadre d’un groupe sectaire – disposent de nombreuses prérogatives pour se protéger d’éventuelles répressions, d’autant plus que la MIVILUDES a relevé que : « un nombre non négligeable de groupes sectaires se dote d’une structure associative et jouit d’un statut parfaitement légal » [12]. En effet, de nombreux groupes se forment sur la base du statut d’association loi 1901, leur permettant de jouir de nombreuses prérogatives mais aussi d’une fiscalité intéressante pour se développer plus facilement.
Il est de ce fait assez difficile d’accompagner les victimes de ces dérives sectaires, d’autant plus qu’elles sont invisibilisées et si endoctrinées qu’elles ne se rendent pas compte de leur condition.
Pour pallier ces difficultés, les pouvoirs publics se sont engagés à renforcer les plans d’action, et un nouveau projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires a été déposé auprès du Parlement le 15 novembre 2023 [13].
II. L’engagement croissant des pouvoirs publics contre les dérives sectaires.
Constatant l’importance des dérives sectaires, notamment dans le domaine de la santé, les pouvoirs publics et le législateur ont décidé d’agir en sensibilisant la population aux dangers de ces dérives (A) mais également en apportant des solutions concrètes à ce phénomène qui touche de plus en plus de personnes (B).
A. La sensibilisation et la prévention du public aux dangers de ces dérives.
Les pouvoirs publics, ayant pris conscience de la dangerosité de ce phénomène, tentent au mieux de sensibiliser le grand public aux dangers de ces dérives sectaires qui peuvent mettre en péril la vie de nombreuses personnes, sous emprise la plupart du temps.
Dès 2001, le législateur s’interrogeait déjà sur la dangerosité des sectes, ce qui avait mené les parlementaires à voter la loi dite « About-Picard » [14], tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales. C’est dans cette dynamique que la MIVILUDES sera déployée l’année d’après par les pouvoirs publics afin de lutter contre les sectes tout en protégeant les victimes d’une part, et l’ordre public d’autre part, en prenant en compte les actes contraires aux lois et attentatoires aux droits fondamentaux.
Cette mission interministérielle a ensuite été rattachée au ministère de l’intérieur en 2020 [15], ce qui montre d’autant plus la volonté de protéger l’ordre public. Elle lutte contre les dérives sectaires en trois étapes : elle observe d’abord le phénomène des sectes et se concentre sur celles qui ne respectent pas les lois ; puis elle mène des actions préventives et répressives contre les dérives sectaires ; enfin elle informe le public sur ces phénomènes afin de les sensibiliser et elle facilite l’action d’aide aux victimes.
Une de ses dernières campagnes en date est celle du 04 mars 2024 visant à sensibiliser, à travers un film d’une minute et quatre vidéos de vingt secondes sur des thèmes différents : la santé, la fortune, l’éducation et l’éveil spirituel. Ce film sera diffusé pendant un mois sur internet et les réseaux sociaux afin de sensibiliser le grand public sur les dérives sectaires et leur permettre de reconnaitre une dérive et de la dénoncer, tout en respectant les libertés de cultes et d’expression de chacun.
En plus de sensibiliser le grand public sur ces dérives, elle dispose depuis 2014 [16], d’un partenariat avec l’École des hautes études en santé publique, offrant des formations afin de faire face aux dérives sectaires. Ces formations s’adressent en premier lieu aux professionnels de santé afin qu’ils puissent détecter et signaler les dérives dont ils sont témoins et permettent également aux médecins d’accompagner leurs patients lorsqu’ils sont confrontés à ces situations.
En parallèle de ces actions, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) joue elle aussi un rôle dans la lutte contre ces dérives. En effet, la DGCCRF va enquêter contre les pratiques commerciales trompeuses dans le domaine de la santé auxquelles peuvent avoir recours les sectes qui utilisent la médecine traditionnelle ou d’autres formes de médecines non-conventionnelles. Elle avait notamment publié une enquête qui révélait des insuffisances dans le respect de la règlementation qui mettaient en danger les patients ayant recours aux médecines traditionnelles. Dénommée « "médecines" douces ou alternatives : des insuffisances dans le respect de la règlementation » [17], cette enquête menée en 2018 avait montré que plus des deux tiers des 675 praticiens contrôlés présentaient au moins un manquement, la plupart du temps relatif au défaut d’information, mais dans certains cas il y avait aussi des pratiques commerciales trompeuses pouvant présenter des risques pour les patients. 460 des 675 professionnels contrôlés étaient donc en infraction. Selon les chiffres de la MIVILUDES quatre français sur dix ont recours à aux médecines dites alternatives ou complémentaires, dont 60% parmi les malades de cancers [18]. Les dérives sectaires dans le domaine de la santé représentent ainsi 40% de l’ensemble des signalements reçus par la MIVILUDES.
La DGCCRF peut sanctionner ces pratiques trompeuses et illégales qui mettent en danger la vie de personnes malades grâce à un pouvoir de sanctions dont elle dispose et peut engager des poursuites pénales si elle constate une infraction.
De nombreux mouvements sectaires peuvent constituer des dérives et devenir ainsi pénalement répréhensibles. Les gourous, ayant beaucoup d’imagination pour appâter leurs futures victimes, violent ainsi à de nombreuses reprises la loi, ce qui permet d’engager des poursuites pénales. Les infractions les plus commises par ces gourous sont notamment l’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie ou, dans les cas les plus graves, l’homicide involontaire.
Les juridictions ont donc à de nombreuses reprises pu condamner ces dérives. C’est le cas de la cour d’appel de Chambéry qui, par un arrêt du 1er juillet 2004 [19], a condamné Ryke Geerd Hamer à trois ans d’emprisonnement pour escroquerie et complicité d’exercice illégal de la médecine. Considéré comme le « gourou du cancer », le Docteur Hamer considérait que le cancer était une maladie psychologique et qu’il fallait donc la combattre par « la force de la nature et laisser faire la nature ». Il prônait ces idéologies par le biais de son site internet Médecine Nouvelle, revendiquant « l’arrêt de tout traitement traditionnel comme la chimiothérapie ».
Plus récemment, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 16 octobre 2013 [20], confirmant la condamnation de l’Église de scientologie pour escroquerie et exercice illégal de la pharmacie. L’Église de scientologie avait été considérée comme un mouvement religieux par la cour d’appel de Lyon, ce qu’a infirmé la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1999 [21] qui rappelle qu’il n’appartient pas aux juridictions françaises d’attribuer la qualification religieuse à un mouvement ou une association.
Au niveau des collectivités territoriales, la Haute Autorité de Santé ou encore l’Agence Régionale de Santé peuvent aussi jouer un rôle dans la lutte contre ces dérives, en mettant en ligne des guides de bonnes pratiques pour les médecins, mais aussi des recommandations pour garantir des soins sécurisés. La Haute Autorité de Santé a aussi un pouvoir de dénonciation si elle constate des pratiques médicales dangereuses. Les Agences Régionales de Santé veillent à la sécurité des soins sur leurs territoires. Enfin il existe des associations de luttes contre les dérives sectaires qui sont là pour accompagner et soutenir les victimes et sensibiliser le public à ces dangers.
B. Le nouveau projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes.
Le 15 novembre 2023, le gouvernement a engagé une procédure accélérée sur le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires, poursuivant ainsi la dynamique engagée par les premières Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires.
Ce projet de loi est porteur de plusieurs nouveautés visant à améliorer les dispositifs déjà existants et qui sont envisagées selon trois axes, déclinés en 3 chapitres dans le projet :
- Faciliter et renforcer les poursuites pénales ;
- Renforcer l’accompagnement des victimes ;
- Protéger la santé.
Différents apports juridiques sont envisagés, notamment en matière pénale.
Le texte prévoit en effet de créer une circonstance aggravante de sujétion psychologique ou physique pour de nouveaux crimes et délits ainsi qu’un délit de placement ou maintien en état de sujétion psychologique ou physique.
La création d’un second délit est également envisagée par l’article 4 du projet initial débattu en première lecture qui dispose : « Est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende la provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé des personnes visées alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elles, compte tenu de la pathologie dont elles sont atteintes, des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique ».
Une telle modification du Code pénal constituerait une avancée considérable dans la reconnaissance de l’emprise mentale à laquelle toute personne, en situation de détresse ou non, peut être confrontée. Il ne s’agit pas non plus des sectes en général, notamment celles à caractère religieux qui occupaient jusqu’alors toutes les préoccupations, mais du domaine de la santé spécifiquement ce qui est inédit.
Cependant, pour être effectif, ce projet ne doit pas être vidé de sa substance avant son adoption. Or, le texte adopté par le Sénat le 19 décembre 2023, à l’issue de leur première lecture en session ordinaire, a supprimé en première lecture les nouveaux délits ainsi que la nouvelle circonstance aggravante de sujétion psychologique ou physique.
Les sénateurs ont donc suivi l’avis du Conseil d’Etat [22] rendu sur le projet initial du Gouvernement dans lequel il avait estimé que l’article 4 reposait sur des dispositifs juridiquement faibles puisque « ni la nécessité, ni la proportionnalité de ces nouvelles incriminations ne sont avérées ». Pour justifier cette affirmation, le Conseil d’Etat avait rappelé que les faits visés par l’article 4 étaient déjà couverts par le droit en vigueur au travers de diverses incriminations telles que l’exercice illégal de la médecine, les pratiques commerciales trompeuses, la mise en danger de la vie d’autrui, du délaissement d’une personne hors d’état de se protéger ou encore de l’entrave aux mesures d’assistance et de l’omission de porter secours.
Cet article 4 est d’ailleurs celui faisant le plus débat. À l’occasion d’un nouvel examen en commission des lois de l’Assemblée nationale, la rapporteure du texte, Brigitte Lislo a affirmé qu’il répond à « un problème de santé publique nécessitant une adaptation de notre cadre juridique ». Certains députés émettent quant à eux des réserves sur la formulation de cet article en raison de sa rédaction qui pourrait servir à condamner les lanceurs d’alerte. L’exemple d’Irène Frachon, la lanceuse d’alerte qui a révélé le scandale du Mediator, a été plusieurs fois cité.
L’adoption de cet article dans la formulation du projet initial reste cependant possible puisque l’Assemblée nationale a adopté, à l’occasion de sa première lecture, l’article 4 avec la formulation suivante : « Est punie d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la provocation, au moyen de pressions ou de manœuvres réitérées, de toute personne atteinte d’une pathologie à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé de la personne concernée alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elle, compte tenu de la pathologie dont elle est atteinte, des conséquences particulièrement graves pour sa santé physique ou psychique ».
Une Commission Mixte Paritaire s’est donc tenue afin de répondre à l’absence de consensus entre les deux assemblées sur l’ensemble du texte. Ainsi, lors de sa nouvelle lecture en date du 20 mars 2024, l’Assemblée nationale a retenu une nouvelle fois cette formulation de l’article 4 et le Sénat doit à nouveau se prononcer prochainement.
Des perspectives d’amélioration sur le plan judiciaire et notamment de l’accompagnement des victimes sont également prévues. En effet, outre l’ajout d’infractions pénales, une évolution de la procédure figure également dans le projet déposé par le Gouvernement. Ce dernier prévoit d’améliorer l’accompagnement des victimes en permettant à davantage d’associations de se constituer partie civile pour des infractions à caractère sectaire. Comme évoqué précédemment, jusqu’à maintenant, seule l’association UNADFI peut se constituer partie civile car elle est reconnue d’utilité publique. Le nouveau texte soumet la possibilité pour une association d’aide aux victimes de se porter partie civile à un procès au respect d’une procédure d’agrément, une condition beaucoup plus souple. Cet assouplissement procédural est non négligeable dans la reconnaissance des préjudices subis par les victimes de dérives. En matière de protection des victimes, le texte prévoit également un allongement de la durée de prescription pour les enfants victimes de dérives sectaires, en prévoyant de porter celle-ci de 6 à 10 ans à partir de la majorité de la victime. Se voulant ambitieux, le projet de loi prévoit une répression renforcée pour les infractions commises en ligne. En effet, le fait d’utiliser des moyens de communication numériques pour exercer une emprise sectaire a ainsi été reconnu comme une circonstance aggravante par les sénateurs. Le texte renforce, en outre, le rôle de la MIVILUDES, en lui conférant un statut législatif.
Conclusion.
Ces différents dispositifs et ajouts se veulent multiples et variés afin de donner une réponse des plus complètes au phénomène des dérives sectaires qui est, par nature, multiforme. Tout l’enjeu de ce projet sera donc sa formulation finale qui, comme l’article 4 l’illustre bien, est exposé au risque d’être vidé de sa substance à l’issu de son processus d’adoption si les différents acteurs législatifs ne trouvent pas de compromis protecteurs.