Le « paquet neutre » conforme à la constitution : justifications internes et problématiques globales. Par Gwladys Tournier, Juriste.

Le « paquet neutre » conforme à la constitution : justifications internes et problématiques globales.

Par Gwladys Tournier, Juriste.

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Explorer : # santé publique # propriété intellectuelle # industrie du tabac # législation

La loi dite « Touraine » n° 2016-41 promulguée le 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé s’est vue, le 21 janvier dernier, soumise par les parlementaires au contrôle a posteriori des Sages de la rue Montpensier. Le Conseil constitutionnel a décidé (décision n° 2015-727) que le paquet neutre tant décrié était effectivement conforme à la Constitution. Branle-bas de combat, les industries du tabac expriment déjà leur mécontentement et s’estiment spoliées.

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La disposition de la discorde

L’article 27 de la loi Touraine précitée dispose :

I.-Après l’article L. 3511-6 du Code de la santé publique, il est inséré un article L. 3511-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3511-6-1.-Les unités de conditionnement, les emballages extérieurs et les suremballages des cigarettes et du tabac à rouler, le papier à cigarette et le papier à rouler les cigarettes sont neutres et uniformisés.
Un décret en Conseil d’Etat fixe leurs conditions de neutralité et d’uniformisation, notamment de forme, de taille, de texture et de couleur, et les modalités d’inscription des marques et des dénominations commerciales sur ces supports. »

II.-Le I entre en vigueur le 20 mai 2016.

La loi Touraine n’est pas le premier coup porté aux industries des cigarettes. Une loi de 2003 avait déjà limité le droit des industries du tabac en ce qu’elle avait restreint l’utilisation sur l’emballage des produits du tabac, des textes, dénominations, marques et signes figuratifs ou autres indiquant qu’un produit du tabac particulier est moins nocif que les autres. Cette atteinte n’était alors pas réellement significative dès lors qu’elle portait seulement sur l’aspect particulier de la nocivité moins importante d’un produit par rapport à une autre gamme de produits.

La date est maintenant fixée : dès le 20 mai 2016 prochain, les paquets de cigarettes seront tous neutres. Comme explicitée dans l’article 27 de la loi Touraine, l’uniformité prochaine de l’apparence des paquets de cigarettes semble, de prime abord, être une restriction assez notable des droits des titulaires de titres de propriété industrielle et notamment, des titulaires de marques qui ne seront plus libres d’utiliser celles-ci sur le paquet, sauf à inscrire le nom de la marque sur l’emballage.
« Le paquet neutre détruit la propriété intellectuelle, réduit la concurrence et encourage le commerce illicite déjà florissant des produits du tabac », a vite réagi Philip Morris France.

Le Conseil constitutionnel a cependant décidé que l’article 27 de la réforme était bien conforme à la Constitution. Pour cela, il considère que la procédure d’adoption de l’amendement gouvernemental n’a pas méconnu les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Il a également décliné les griefs qui concernaient, pour les parlementaires émetteurs de la question prioritaire de constitutionnalité, l’atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre.

Il est à noter que le Conseil exerce sur l’atteinte à la liberté d’entreprendre, un contrôle de proportionnalité, et ce, dès lors que la limitation apportée par le législateur à la liberté d’entreprendre est couplée à une exigence constitutionnelle. Il s’agit du principe de protection de la santé en l’espèce (la décision 283 DC du 8 janvier 1991 en avait fait un principe constitutionnel).

Ainsi, dès lors que le Conseil a considéré que l’atteinte n’était pas excessive vis-à-vis de la nécessité de l’objectif poursuivi, celui de santé publique donc, l’atteinte à la liberté d’entreprendre ne pouvait être caractérisée.

Quant à l’atteinte au droit de propriété, la plus décriée, elle a été jugée proportionnée par le Conseil, au détriment des producteurs de cigarettes qui ont investi des millions d’euros en matière de branding et de marketing des paquets.

Le but premier de la marque est identitaire. Les consommateurs peuvent, grâce à elle, repérer les produits de la marque et les distinguer de ceux des concurrents. Elle est également, en tant qu’actif immatériel, une valeur économique pour la société détentrice du titre de propriété. Ledit paquet neutre peut alors faire considérablement baisser la valeur de ce type de bien et par delà, réduire la compétitivité de l’entreprise détentrice.
Nous pouvons raisonnablement penser que la riposte judiciaire pour la protection des titres de propriété industrielle ne tardera pas à venir. S’il y a effectivement spoliation, même justifiée par le principe constitutionnel de protection de la santé des citoyens, une indemnisation juste devra être versée par l’Etat aux fabricants, qui disposent de marques légitimement enregistrées et valides sur le plan juridique.

Toutefois, une situation analogue s’est déjà produite, quatre ans plus tôt, en Australie, et nous ne pouvons pas, à l’heure actuelle, constater sur le plan international de véritable principe d’indemnisation pour les producteurs de cigarettes.

Le parallèle australien

Initiatrice, l’Australie a fait évoluer sa législation en matière de santé publique et de lutte contre le tabac dès 2012. Elle a instauré un paquet neutre standardisé qui se matérialise comme étant un paquet de couleur olivâtre, illustré d’une photographie choc, montrant un poumon cancéreux, par exemple, et présentant des slogans sanitaires. Le nom de la marque du producteur étant seulement mentionné en petits caractères sur le paquet, dans une police uniformisée pour tous les emballages.

Philip Morris International (PMI), qui détient d’ailleurs 7 des 15 marques de cigarettes les plus importantes au niveau global, dont « Malboro », a intenté une action en Australie. PMI désirait une compensation de plusieurs milliards de dollars et la suspension de l’application de la loi sur le paquet neutre (« plain packaging ») au motif qu’elle constituerait une « expropriation » de son droit de propriété intellectuelle. Il a donc mis en cause la législation sur le « plain packaging » comme étant une atteinte aux droits de propriété intellectuelle des fabricants . La décision de la High Court autralienne « British American Tobacco Australasia Limited and Ors v. The Commonwealth of Australia » (S389/2011) a clos la question dans une décision à 6 juges contre 1 en faveur de la validité de la législation nationale au regard de l’atteinte constatée. Le grand producteur a donc perdu et a été condamné à payer les frais de procès qui en ont résulté.

Une bataille juridique mondiale

Après un court répit, PMI a contre-attaqué. En effet, Philip Morris, dans sa branche asiatique, s’est fondé sur un traité entre Hong-Kong et l’Australie de 1993 pour dénoncer la loi « plain packaging » et la considérer comme violant le traité puisqu’il l’analysait comme portant atteinte à ses investissements. Or, le 18 décembre 2015, le tribunal jugeant de cette affaire s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande de Philip Morris Asia.

L’Australie s’est également faite poursuivre sur la scène internationale par l’Ukraine, le Honduras, la République Dominicaine, Cuba et l’Indonésie. D’aucuns pourraient se demander également pour quelles raisons ces pays poursuivent-ils l’Australie ?
Le fait est que PMI couvre les coûts légaux de ces procédures, cela lui procure donc un autre angle d’attaque juridique. Ces poursuites ont été exercées devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les pays qui ont initié ces différends ont remis en cause la législation australienne au regard des accords conclus lors de l’Uruguay Round, et notamment sur l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

L’Accord régit les règles de la propriété intellectuelle dans le système commercial international. Le comité qui s’occupe de ces différends est supposé rendre son rapport final aux parties sur la question de l’atteinte aux règles de l’OMC au second semestre 2016. La situation reste alors encore en suspens dans la communauté internationale et nous pouvons espérer que l’OMC prenne partie sur la question de savoir quel intérêt privilégier, en vertu de ses propres règles.

Enfin, un dernier exemple de l’offensive des producteurs de tabac sur la scène mondiale : PMI s’est également attaqué à l’Uruguay, qui a réussi à faire baisser la consommation de produits du tabac dans son pays sur la base d’une législation très axée sur la protection de la santé publique. Cette fois-ci, l’Uruguay a reçu directement le soutien de l’OMC dans le litige en cause.

Si l’exemple australien était censé être dissuasif, le Conseil constitutionnel l’a ignoré, pour privilégier la protection de la santé publique face au droit de propriété dans sa mise en balance des deux intérêts. Cela place sûrement l’État français face à un horizon de contentieux divers et variés, sur le plan interne comme sur le plan international si les producteurs de cigarettes demeurent aussi assertifs qu’avec l’Australie. Une première victoire a cependant été gagnée : celle du gouvernement sur la constitutionnalité de la mesure.

Gwladys Tournier est juriste chez LegaLife
www.legalife.fr
LegaLife est une société d’accompagnement juridique en ligne qui met à disposition des chefs d’entreprise et des particuliers tous les services pour faire face à leurs problématiques juridiques.

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