« Donner et retenir ne vaut » disait Antoine Loysel, ancien procureur de Paris du XVIème siècle.
Bien qu’il ne parlât alors pas du cas particulier des donations et legs aux collectivités publiques, pourtant existants dès le Moyen-Âge, il est clair que l’actualité de ses propos ressort au moment de s’intéresser au régime juridique des donations et legs aux collectivités territoriales.
Dans de nombreux cas, la donation ou le legs est conditionné par des charges, c’est-à-dire par un engagement de la collectivité donataire d’affecter le bien à un usager déterminé ou d’utiliser les fruits du bien pour mener telle ou telle mission d’intérêt général ou particulier ou pour contribuer plus globalement au financement d’une action.
L’enjeu n’est pas négligeable ici pour la collectivité publique qui, si elle ne respecte par les charges afférentes à la donation ou au legs, peut se trouver face à plusieurs juridiques (1).
Heureusement, il existe toujours une porte de sortie pour la collectivité qui pourra, le cas échéant, envisager de saisir le juge judiciaire d’une action en révision des charges pesant sur elle (2).
1. Sur les risques de ne pas respecter les charges afférentes à une donation ou un legs.
L’article L2242-1 du Code général des collectivités territoriales constitue le fondement textuel des dons et legs aux communes : « Le conseil municipal statue sur l’acceptation des dons et legs faits à la commune ».
En cas de non-respect par la personne publique des charges afférentes à la donation ou au legs, il existe un risque sérieux de voir le donateur ou ses descendants mettre en cause la responsabilité de la personne publique.
Cela peut même aller jusqu’à obtenir la révocation de la donation sur le fondement de l’article 953 du Code civil qui dispose : « La donation entre vifs ne pourra être révoquée que pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite, pour cause d’ingratitude, et pour cause de survenance d’enfants ».
Par exemple, dans le cadre d’une affaire concernant une donation d’un immeuble à une commune, à charge d’affecter le bien à une école, la Cour de cassation a estimé que la révocation était justifiée dès lors que la commune avait laissé les locaux vacants pendant les 2 années ayant suivi la fermeture de l’école par décision administrative, dans la mesure où la commune ne justifiait d’aucune diligence pour exécuter ses obligations, notamment en ne proposant pas aux héritiers une nouvelle affectation en rapport avec la volonté du disposant [1].
Dans le même sens, la Cour de cassation juge que relève de l’appréciation souveraine des juges du fond la révocation d’une donation avec charges d’un bâtiment, consentie en 1870 sous la condition d’y maintenir une école, du fait de la fermeture de cette école à l’initiative de la commune, le bâtiment étant ensuite donné en location en dehors de toute affectation pédagogique [2].
La révocation n’est bien sûr pas automatique, puisque le juge judiciaire estime souverainement si les manquements d’un donataire aux obligations mises à sa charge ne sont pas suffisamment graves pour justifier la révocation de la donation [3].
Ainsi, la Cour de cassation a pu juger, à propos du legs d’un bâtiment à une commune à charge d’y établir un collège communal, un refuge pour vieillards, et de prononcer 280 messes par an à l’intention du testateur, qu’une cour d’appel avait pu déduire que la révocation ne se justifiait pas, alors même que le collège était devenu un lycée technique et que le refuge avait été transformé en école de rééducation pour enfants anormaux ; l’arrêt d’appel retient que les décisions prises par la commune étaient conformes aux « intentions charitables exprimées par le testateur à l’égard des enfants et des vieillards », aux « sentiments qui ont animé le bienfaiteur », à « la pensée qui [l’]a inspiré », à « l’évolution du monde moderne » [4].
Outre cette question de la responsabilité de l’administration, un autre risque ressort d’un point de vue cette fois purement administratif.
En effet, la légalité juridique d’un acte changeant la destination / procédant à la vente d’un bien objet d’une donation ou d’un legs peut être remise en cause devant le juge administratif, et ce y compris par les services préfectoraux : « Considérant qu’il résulte de l’ensemble des dispositions précitées que la modification des charges et conditions grevant un bien légué à une commune ou l’aliénation de ce bien ne peuvent avoir lieu que dans les conditions et selon la procédure définies par les articles 900-2 à 900-8 du Code civil issus de la loi du 4 juillet 1984, sans que la commune bénéficiaire du legs puisse utilement se prévaloir des dispositions des articles 954, 955 et 1046 du Code civil relatifs à la révocation des donations entre vifs ou testamentaires, ni faire état de l’accord éventuel du légataire universel sur la modifications des charges et conditions grevant le legs fait à la commune ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que par testament daté de 1975, Mlle X... a légué "à la mairie d’Eguilles le terrain des Fourches pour y construire une maison de retraite pour les habitants d’Eguilles" et que ce terrain est entré en 1980 dans le patrimoine de la commune ; que, dès lors, et même s’il avait obtenu l’accord de la personne instituée comme légataire universel par Mlle X..., le conseil municipal ne pouvait légalement, sans respecter la procédure prévue par les articles 900-2 à 900-8 du Code civil, décider les 30 novembre 1984 et 20 janvier 1986 de vendre le terrain légué à la commune à une société qui se serait engagée à y construire quarante six pavillons et d’utiliser le produit de cette vente à la construction d’un foyer du troisième âge au centre de la commune » [5].
Il s’agit d’une jurisprudence constante [6].
En cas de difficulté sérieuse, le juge administratif n’hésite d’ailleurs pas à saisir le juge judiciaire d’une question préjudicielle [7].
2. Sur la possibilité résiduelle d’obtenir une révision des charges par le juge judiciaire.
Aux termes de l’article 900 du Code civil, il est prévu que : « Dans toute disposition entre vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui sont contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites ».
Tandis que l’article 900-1 indique : « Les clauses d’inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime. Même dans ce cas, le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige.
Les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou mêmes à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales ».
La jurisprudence, combinant ces deux articles, en a déduit que les clauses d’inaliénabilité perpétuelle sont interdites « Contrairement à ce qu’a admis le premier juge le département de la Marne démontre que l’intérêt qui avait justifié la clause d’inaliénabilité a disparu au vu des changements intervenus et qu’il existe de plus une nécessité de rationaliser la gestion du patrimoine justifiant la cession des parcelles léguées.
En tout état de cause et par application combinée des articles 900-1 et 900 du Code civil, une clause d’inaliénabilité perpétuelle dans une donation au profit d’une personne morale doit être réputée non écrite.
Il convient, au vu de ces éléments d’autoriser le département de la Marne à aliéner les parcelles situées sur la commune de Blesme dont la vente est sollicitée en précisant toutefois que le prix de vente sera employé à des fins en rapport avec la volonté des disposants et notamment au profit de la formation des jeunes du Foyer de l’enfance de Chalons en Champagne » [8].
Ce qui nous intéresse surtout ici, c’est la possibilité de révision en elle-même, qui est prévue par l’article L1311-17 du Code général des collectivités territoriales qui dispose que : « La révision des conditions et charges grevant les donations ou legs consentis au profit des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics est régie par les articles 900-2 à 900-8 du Code civil ».
L’article 900-2 du Code civil prévoit ainsi que : « Tout gratifié peut demander que soient révisées en justice les conditions et charges grevant les donations ou legs qu’il a reçus, lorsque, par suite d’un changement de circonstances, l’exécution en est devenue pour lui soit extrêmement difficile, soit sérieusement dommageable ».
L’article 900-5 du Code civil énonce quant à lui que : « La demande n’est recevable que dix années après la mort du disposant ou, en cas de demandes successives, dix années après le jugement qui a ordonné la précédente révision.
La personne gratifiée doit justifier des diligences qu’elle a faites, dans l’intervalle, pour exécuter ses obligations ».
On peut citer plusieurs conditions pour que le juge fasse droit à la demande de révision :
l’exécution de la libéralité est pour le gratifié extrêmement difficile ou sérieusement dommageable : seuls les changements de circonstances entraînant les conséquences les plus graves sont susceptibles de donner lieu à révision des charges. Cependant, la jurisprudence se montre souple, et le juge peut en conséquence aménager l’exécution des charges ou autoriser la vente du bien en ordonnant l’emploi du prix de vente en rapport avec la volonté du disposant [9] ;
l’évolution de la situation contemporaine de la libéralité : une révision n’est pas admise si la lourdeur dénoncée existe dès l’origine. La loi exige une aggravation par suite d’un changement de circonstances résultant d’une dépréciation économique du bien, de l’évolution des mœurs ou des pratiques sociales, ou encore l’évolution technologique ou médicale. Ce changement de circonstances doit être extérieur à la personne du gratifié, postérieur à la date d’effet de la libéralité, et ne devait donc pas être connu de lui à cette date. Il n’est pas besoin qu’il soit imprévisible, il suffit que ses incidences sur l’exécution de la libéralité soient effectives ;
les diligences du gratifié : le gratifié doit justifier des diligences qu’il a faites pour exécuter ses obligations aux termes de l’article 900-5 du Code civil [10] ;
un délai de dix années : la révision ne peut être demandée que dix ans après la mort du disposant ou une précédente révision aux termes de l’article 900-5 du Code civil.
En pratique, ces conditions sont assez facilement admises par le juge judiciaire qui prend en compte par exemple l’ancienneté de la donation et le changement de contexte [11] ou l’évolution des compétences communales et l’importance de l’entretien de l’immeuble donné [12].