La protection des élus locaux contre les atteintes portées à leur intégrité : vers une amélioration ?

Par Adrien Souet, Avocat.

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Explorer : # protection pénale # protection institutionnelle # violences envers élus # politique pénale

Ce que vous allez lire ici :

Le législateur a renforcé la protection des élus via des mesures pénales et institutionnelles. Cela inclut des peines plus sévères pour les atteintes faites contre eux, une réponse rapide de la justice et une procédure simplifiée d'octroi de protection, garantissant ainsi leur sécurité et celle de leurs proches.
Description rédigée par l'IA du Village

En 2023, la protection des élus est devenue un sujet d’actualité prépondérant compte tenu de la hausse importante des agressions commises au préjudice de ces derniers dans un contexte de tensions sociales.

Pour rappel, l’association des maires de France a recensé près de 2 600 agressions d’élus pour l’année 2023. Par ailleurs, il a été observé de nouveaux phénomènes et de nouvelles formes d’atteintes, notamment la commission d’actes commis au préjudice des proches des élus ainsi qu’une vague inédite de cyberharcèlement.

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Face à ce constat, le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour accentuer « la protection pénale » des élus (I) et améliorer la protection institutionnelle de ces derniers (II).

I - Le renforcement de la protection pénale des élus.

Le terme de « protection » pourrait paraître impropre car cette notion renvoie généralement à une logique préventive, qui intervient a priori, avant la commission de l’infraction.

Or, en matière de protection pénale des élus, il n’existe en réalité aucune protection pénale préventive : cette protection intervient nécessairement à retardement, a posteriori, lorsque l’infraction a été commise.

Si la législation pénale prévoit bel et bien des dispositifs préventifs pré sentenciels ou post sentenciels (notamment la possibilité pour une juridiction de prononcer une interdiction de contact entre l’auteur des faits et la victime ou une interdiction de paraître dans une zone géographique définie par la juridiction), ces dispositifs ne peuvent être prononcés qu’a posteriori, et ce, lorsque l’infraction a déjà été commise au préjudice de l’élu.

En réalité, le renforcement de la protection pénale des élus peut être illustrée par l’orientation récente de la politique pénale en faveur des élus (A), par l’extension des comportements répréhensibles et le durcissement de l’arsenal répressif (B) ainsi que par les modifications favorables des règles procédurales pour faciliter la représentation des élus en cas de constitution de partie civile (C).

A - Sur l’orientation récente de la politique pénale en faveur des élus.

La protection pénale ne s’illustre pas uniquement à l’aune de la sévérité de la réponse pénale. En effet, cette protection peut également résulter d’une certaine célérité de la réponse pénale impulsée par les modifications de la politique pénale nationale.

Or, les atteintes commises au préjudice des élus sont devenues, à l’instar des violences intrafamiliales, un axe prioritaire de la politique pénale nationale.

A ce titre, plusieurs circulaires ont été édictées en vue d’orienter l’action des procureurs au niveau local pour « durcir » et « accélérer » la réponse pénale en cas d’atteintes commises au préjudice des élus.

La circulaire du 7 septembre 2020 sur le traitement judiciaire des infractions commises à l’encontre de personnes investies d’un mandat électif a notamment préconisé :

  • Le recours à des qualifications pénales prenant systématiquement en compte la qualité des victimes selon qu’elles soient dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif
  • Le recours à la qualification d’outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public en cas d’insultes afin de ne pas recourir à la qualification piégeuse d’injure prévue par la loi du 29 juillet 1881
  • La mise en place d’une réponse pénale systématique et rapide privilégiant notamment le déferrement et la procédure de comparution immédiate
  • La généralisation des réquisitions aux fins d’interdiction de paraître ou de séjour sur le territoire de la commune pour réprimer les atteintes et prévenir leur renouvellement.

Plus récemment, la circulaire interministérielle du 3 juillet 2023 a préconisé :

  • La diffusion d’instructions générales tendant à un traitement priorisé de ces procédures et à la délivrance par les parquets de leurs ressorts d’une réponse pénale systématique, ferme et rapide.
  • La généralisation des réquisitions aux fins d’interdiction de paraître ou de séjour sur le territoire de la commune pour réprimer les atteintes et prévenir leur renouvellement
  • Un recours privilégié au déferrement afin de permettre le prononcé d’une mesure de sûreté en vue de prévenir toute réitération à l’encontre de la victime.

Dit autrement, la politique pénale nationale s’est orientée vers une systématisation des réponses pénales plus rapides et susceptibles de garantir la sécurité des élus par le biais des mesures de sureté habituelles (contrôle judiciaire avec interdiction de contact et de paraître, détention provisoire).

B - Sur l’extension des comportements répréhensibles et le durcissement de l’arsenal répressif.

Comme démontré ci-après, la protection pénale des élus a été améliorée via une extension des comportements répréhensibles et un durcissement de l’arsenal répressif.

D’une part, le législateur a pris conscience que les élus pouvaient être confrontés à de nouvelles formes d’atteintes et a donc prévu de nouvelles infractions pour réprimer ces comportements.

A titre d’exemple, la loi s’est emparée de la question des infractions « numériques » et a institué, par le biais de la loi dite “séparatisme” de 2021, un délit de “mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne”, prévu par l’article 223-1-1 du Code pénal et réprimé par une peine de 3 ans et 45 000 € d’amende, ainsi que par une peine de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsque les faits ont été commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique, d’une personne chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public ou d’un journaliste.

L’on pourra également citer le cas du cyberharcèlement prévu par l’article 222-33-2-2 du Code pénal qui, s’il ne vise pas explicitement la situation des élus victimes, englobe tout de même divers comportements susceptibles d’être commis au préjudice de ces derniers.

D’autre part, le législateur a souhaité accroitre la protection pénale des élus, dans une logique dissuasive, en durcissant les peines encourues en cas d’atteintes commises à l’encontre de ces derniers.

Pour rappel, par le biais de la loi LOPMI du 24 janvier 2023, le législateur avait déjà tenté d’aligner les peines encourues pour les violences commises envers les élus sur celles applicables aux violences commises à l’encontre des forces de l’ordre.

Toutefois, le Conseil constitutionnel avait censuré ces dispositions en considérant qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.

Par le biais d’une loi n° 2024-247 en date du 21 mars 2024, le législateur a corrigé cette disparité en alignant les peines encourues pour les violences commises envers les élus sur celles applicables aux violences commises à l’encontre des forces de l’ordre.

Il convient également de préciser que cette aggravation est applicable lorsque les faits ont été commis au préjudice d’un ancien élu, et ce, dans la limite de six années qui suivent la fin de son mandat.

Désormais, les peines encourues sont les suivantes :

  • 2 ans d’emprisonnement et 60 000 € d’amende pour les atteintes à l’intimité de la vie privée d’un élu, d’un candidat et/ou de sa famille.
  • 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende pour les violences ayant entrainé une incapacité inférieure ou égale à 8 jours commises envers un élu (et jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 € si les faits ont été commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, avec préméditation ou avec guet-apens, avec usage ou menace d’une arme etc).
  • 7 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende pour les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours commises envers un élu (et jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende si les faits ont été commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, avec préméditation ou avec guet-apens, avec usage ou menace d’une arme etc).
  • 20 ans de réclusion criminelle et 150 000 euros d’amende en cas de destruction, dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public visée en cette qualité par l’effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes.

C - Sur les modifications procédurales destinées à faciliter la représentation des élus.

L’ancien article 2-19 du Code de procédure pénale, issu de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, permettait aux seules associations départementales de maires affiliées à l’Association des maires de France (AMF) de se constituer partie civile, après avoir recueilli l’accord de l’élu municipal victime, dans les affaires portant sur des faits d’injures, d’outrages, de diffamations, de menaces ou de coups et blessures commis au préjudice de l’élu à raison de ses fonctions.

Toutefois, une telle possibilité de représentation était particulièrement limitée : seules certaines infractions étaient concernées et seules les associations affiliées à l’AMF pouvaient se constituer parties civiles.

Compte tenu de la hausse des violences commises envers les élus, le législateur est intervenu par le biais d’une loi n° 2023-23 en date du 24 janvier 2023 pour étendre les possibilités de représentation.

Désormais, ces constitutions de parties civiles sont possibles, avec l’accord écrit de l’élu ou de ses ayants droit :

  • pour tous les crimes et délits contre les personnes et les biens, pour les atteintes à l’administration publique ainsi que pour les délits de presse
  • s’agissant des élus municipaux victimes, pour l’association des maires de France ainsi que pour toute association nationale reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus
  • pour les faits commis au préjudice des proches de l’élu (le conjoint, le concubin, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, ascendants ou descendants en ligne directe de l’élu ou sur toute autre personne vivant habituellement à son domicile)

Enfin, on signalera une récente évolution positive de la jurisprudence de la Chambre criminelle qui est venue assouplir les règles procédurales encadrant la recevabilité des constitutions de partie civile des collectivités.

Pour rappel, la jurisprudence avait posé le principe selon lequel les délibérations du conseil municipal qui se bornaient à reproduire le texte de l’article L2122-22 du CGCT de manière générale, sans spécifier les affaires pour lesquelles le maire avait une délégation pour agir en justice, ne répondaient pas à l’impératif de précision exigé par la loi.

Dit autrement, en l’absence de délibération spécifique, ces délégations n’étaient pas valables et conduisaient à l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de la collectivité [1].

En pratique, il était conseillé aux collectivités de faire adopter, par le conseil municipal, une délibération spéciale pour autoriser le maire à se constituer partie civile au nom de la commune, à chaque affaire pénale (une délibération spéciale par affaire, au cas par cas).

A l’inverse, le juge administratif avait adopté une position plus souple puisqu’il se contentait de l’existence d’une délibération consentant une délégation générale sans précision des affaires concernées par la délégation.

Or, par un arrêt du 4 avril 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation a mis un terme à cette dichotomie de régime en considérant que la délibération du conseil municipal pouvait reprendre les termes du 16° de l’article L2122-22 du CGCT sans spécifier les affaires pour lesquelles le maire disposait d’une délégation pour agir en justice, cette délibération valant ainsi délégation pour l’ensemble du contentieux de la commune [2].

Dit autrement, il n’est plus utile qu’une délibération spécifique soit adoptée lorsque la commune se constitue partie civile dans une affaire pénale et la collectivité peut désormais se contenter de produire en justice la délibération dite de « début de mandat ».

II - Un dispositif de protection institutionnelle amélioré.

Une analyse du dispositif de protection institutionnelle permet de conclure à l’efficience de cette protection (A) et les récentes évolutions législatives, qui ont permis de simplifier la mise en œuvre de cette protection (B), ont indéniablement contribué à améliorer la protection des élus.

A - Une protection institutionnelle efficiente.

Pour rappel, les élus bénéficient d’un régime de protection inspiré de la protection fonctionnelle des agents publics.

En effet, l’article L2123-25 du CGCT prévoit qu’une commune doit tout mettre en œuvre pour protéger

« le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation » contre les “violences, outrages ou menace” dont ils pourraient être victimes « à l’occasion de l’exercice ou du fait de leurs fonctions ».

Cette protection est également étendue aux conjoints, parents et enfants des élus concernés lorsqu’ils sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages à raison des fonctions exercées par ces derniers.

Il existe un régime similaire pour les élus du département [3] et de la région [4] mais, contrairement aux élus municipaux, la protection n’est pas étendue à la famille des élus concernés.

Ce régime englobe deux modes de protection : une prise en charge financière ainsi qu’un dispositif indemnitaire.

S’agissant de la prise en charge financière, cette dernière concernera les frais suivants :

  • les frais médicaux qui résultent de l’atteinte
  • les frais de représentation en justice (honoraires de l’avocat, frais d’expertise etc).

S’agissant du dispositif indemnitaire, qui est très proche du régime de responsabilité sans faute applicable aux fonctionnaires victimes d’un accident de service ou d’une pathologie imputable au service, l’élu pourra bénéficier d’une indemnisation intégrale de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux par la collectivité qui sera subrogée dans les droits de la victime et qui pourra donc réclamer le remboursement des sommes versées à l’auteur de l’infraction.

Sur ce point, il convient de rappeler qu’il existe certaines spécificités propres aux élus municipaux.

En effet, si le dommage est survenu dans le cadre des missions effectuées par l’élu en qualité d’agent de l’État (état civil, révision et tenue des listes électorales, organisation des élections ainsi que du recensement citoyen.) ou dans le cadre de ses fonctions d’OPJ (constatation des infractions, édiction d’un procès-verbal), c’est l’État qui sera chargé d’indemniser l’élu.

Enfin, il sera rappelé que le législateur a mis en place un mode de financement efficace de cette protection institutionnelle par le biais de la loi "Engagement et proximité" du 27 décembre 2019.

Plus précisément, afin de garantir cette protection, la commune est tenue de souscrire, dans un contrat d’assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de l’obligation de protection à l’égard du maire et des élus (étant précisé que dans les communes de moins de 3 500 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l’objet d’une compensation par l’Etat).

B - Une amélioration de la protection en raison de l’accélération et de la simplification de la procédure.

La loi n° 2024-247 en date du 21 mars 2024 ne s’est pas contentée d’améliorer la protection pénale des élus par le biais d’une aggravation des peines encourues : cette loi a également modifié la procédure d’octroi de la protection institutionnelle en simplifiant et en accélérant cette dernière.

Pour rappel, lorsqu’un élu était victime d’une infraction, ce dernier devait saisir le conseil municipal qui devait délibérer sur l’octroi de la protection.

Toutefois, la loi n° 2024-247 en date du 21 mars 2024 a modifié ce régime en « inversant » la procédure d’octroi de la protection.

Désormais, cette protection est automatiquement accordée à l’élu mais cette dernière peut être retirée par une délibération motivée qui doit intervenir dans un délai de quatre mois.

Afin d’obtenir cette protection, l’élu devra respecter la procédure suivante :
1) l’élu concerné adressera sa demande de protection au Maire. Dans l’hypothèse où le Maire serait concerné par la demande de protection, sa demande sera adressée à tout élu ayant reçu délégation ou à tout élu le suppléant
2) Dans les cinq jours suivant la réception de la demande, cette dernière sera transmise au Préfet et les membres du conseil municipal en seront informés
3) Cette question sera portée à l’ordre du jour du prochain conseil municipal
4) L’élu bénéficiera automatiquement de la protection à l’expiration d’un délai de 5 jours courant à compter de la réception de sa demande (cette protection pouvant être retirée par le biais d’une délibération motivée dans un délai de quatre mois courant à compter de la date à laquelle l’élu bénéficie de la protection).

Adrien Souet, Avocat associé
Barreau de Poitiers
SCP Lavalette Avocats Conseil

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Notes de l'article:

[1Crim. 28 janvier 2004, n°02-88.471.

[2Crim. 4 avril 2023, n°22-83.613.

[3Article L3123-29 du CGCT.

[4Article L4135-29 du CGCT.

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