Introduction.
Ne faut-il pas aussi se demander si la conscience écologique en droit budgétaire préexiste à la mobilisation mondiale face à l’urgence écologique ? Comment le droit des finances publiques coloniales et récentes intègre les questions environnementales ? A travers ces questions, notre propos vise à révéler l’évolution historique des questions environnementales en droit budgétaire. Il s’agit aussi de mettre en évidence l’historicité des faits écologiques dans les finances publiques au Burkina Faso. Partant de ces objectifs, l’hypothèse d’une présence permanente des questions environnementales dans le droit public financier nous parait adapter à cette réflexion. Cela signifierait que les préoccupations environnementales ont intégré les processus budgétaires depuis le début des finances publiques modernes. Conséquemment, la méthodologie employée dans cette réflexion est exégétique et historique. Les éléments d’analyse sont casuistiques et dogmatiques, constitués essentiellement des sources historiques et formelles du droit [2]. Nous avons recouru aux archives burkinabè et françaises. En tout état de cause, le paradigme environnemental en droit budgétaire préexiste à la mobilisation mondiale actuelle sur les finances publiques vertes.
L’apparition des préoccupations environnementales dans les colonies.
Les premiers textes en droit budgétaire présentaient une connotation plus économique qu’écologique. Historiquement, les traces environnementales dans le droit des finances publiques sont observables dans les actes juridiques de 1772 en France. Des taxes avaient été imposées par la Sentence du bureau de l’Hôtel de Ville du 5 octobre 1772 pour subvenir aux dépenses intéressant les communautés de marchands de bois à œuvrer pour l’approvisionnement de Paris et dont le tarif est fixé chaque année par un décret [3]. Plus tard, avant les textes législatifs sur la contribution des colonies au budget de la métropole, un acte législatif d’importance capitale sera adopté pour protéger les forêts contre les incendies. Il s’agit de la loi du 18 juillet 1874 relative aux incendies de forêt en Algérie. Cette loi est considérée comme le premier texte législatif à prévoir des sanctions particulières et exceptionnelles pour les indigènes.
Aux termes de l’article 7 de cette loi relative aux incendies de forêt, tout pâturage est interdit de manière absolue pendant six ans au moins sur toute l’étendue des forêts et bois incendiés. Une amende de 20 à 500 francs étaient imposés aux contrevenants [4]. Par la suite, interviendront les lois de finances des 28 avril et 26 juillet 1893 et 29 mars 1897 en vertu desquelles les colonies contribuaient désormais aux dépenses civiles et militaires de la métropole [5].
Le droit budgétaire moderne a été introduit dans les colonies par la loi des finances du 13 avril 1900 qui instaurait la règlementation des dépenses et des recettes en Algérie et en France. Bien avant cette loi, les colonies contribuaient au budget de la métropole. Cette loi prévoyait déjà des recettes et des dépenses sur les forêts. En Algérie, les dépenses pour le personnel des agents des forêts et des préposés s’élevaient à 1 051 223 de francs alors que celles pour les personnes indigènes étaient de 107 514F.
Au total, les crédits affectés aux dépenses sur les forêts s’élevaient à 3.047 407F. Le budget lié aux services environnementaux relevait du ministère de l’agriculture et les recettes provenaient des indemnités sur des produits divers des forêts. Notons que des actes règlementaires organisaient le régime budgétaire dans les colonies comme le décret du 30 décembre 1912 sur le régime financier des colonies et l’arrêté du 16 février 1914 fixant les taux extrêmes de l’impôt de capitation dans la colonie du Haut-Sénégal-Niger. Les questions environnementales dans les finances publiques étaient réglées par des prélèvements de recettes en vue de restreindre et de contrôler l’utilisation des ressources naturelles.
La gestion des déchets faisait l’objet d’un traitement particulier dans les finances publiques coloniales qui affectaient des crédits budgétaires au traitement des ordures [6]. Ainsi, en s’appuyant sur la loi du 22 février 1931 autorisant les Gouvernements généraux de l’Afrique occidentale française, de l’Indochine et de Madagascar, les Commissariats de la République française au Togo et au Cameroun, à contracter des emprunts formant un ensemble de 3.900 millions de francs, un montant sera affecté à la construction des fours à incinérer des ordures dans les colonies. En 1932, la somme allouée à cet investissement était de 1.860.000 pour la seule ville Dakar. Cette affection budgétaire traduit la conscience environnementale de l’époque. Le Gouverneur général de l’Afrique occidentale française, BRÉVIÉ justifiait ces travaux spéciaux en ces termes : « L’augmentation de la population de Dakar, la présence d’un abattoir, d’une porcherie, la création de nouveaux marchés rendent les fours à incinérer actuellement en service totalement insuffisants. La construction de nouveaux fours à incinérer, dits fours « Clichy », a été commencée en 1931, la dépense probable sera de 20.000 francs environ. Après expérimentation probante d’une année sera réservé à nouveau le crédit nécessaire pour reconstruction ultérieure, de ces fours, soit au total 480.000 francs. Une somme de 1.380.000 francs restera disponible, dont l’utilisation sera proposée au Département » [7]. Ces propos, ne permettent-ils pas de reconnaitre une certaine conscience environnementale dans le droit des finances publiques coloniales ? D’ailleurs, une somme de deux millions sera mise à la disposition des budgets des différentes colonies pour leur permettre de réaliser les mesures d’hygiène et d’assainissement indispensables. Des crédits budgétaires avaient été affectés à l’amélioration et l’entretien des forêts, dunes et cours d’eau, la restauration et conservation des terrains en montagne [8]. La Haute-Volta, qui appartenait à la colonie du Haut-Sénégal-Niger se verra appliquée ces mesures budgétaires avant son autonomie de gestion en 1920 [9].
La protection de l’environnement dans la nouvelle colonie de Haute-Volta.
Dans les premières finances publiques de la Haute-Volta actuelle Burkina Faso, apparaissent des dépenses et des recettes liées au cadre de vie et à ce qui est appelé aujourd’hui « principe du préleveur-payeur » ou « principe de réparation des dommages ». Les dépenses concernaient la gestion des déchets que le droit budgétaire de l’époque nommait « ordures », assainissement et entretien de voiries et les recettes avait trait à la perception des taxes, amendes et pénalités diverses sur des activités en lien avec la faune et la flore intégrée. Ces finances publiques étaient intégrées dans les comptes réservés aux produits du domaine. Le domaine comprenait les ressources naturelles y compris agricoles.
Les recettes et les dépenses du domaine sont en réalité les investissements et les entrées financières sur tout ce qui concerne de nos jours le secteur environnemental. Si pour l’année 1921, troisième année de création de la colonie de Haute-Volta, les recettes dans le secteur était en deçà des prévisions budgétaires, les taxes d’abatages connaissaient un excédent en raison probablement des activités de prélèvement des produits forestiers [10].
A cette époque, en Haute-Volta, la question des déchets était déjà une préoccupation dans les finances publiques. Des crédits étaient alloués à l’enlèvement des ordures et le nettoyage des voies publiques d’un montant de 5, 5 frs [11]. Ces prélèvements et investissements existaient dans les finances publiques de la colonie dans le budget l’année 1920. Ainsi, l’arrêté n°160/F portant règlement du compte définitif du budget local de la Haute-Volta, exercice 1949, prévoyait dans les recettes, des produits du domaine. Le chapitre deux, article premier de l’arrêté citait les redevances et taxes forestières ainsi que les amendes et pénalités liées à la coupe du bois.
Tandis que la prévision budgétaire était de 5 000.000 frs, les droits constatés au profit de la colonie furent de 1.010.855. D’autres recettes issues des produits du domaine concernaient les produits d’extraction et de ramassage, les épaves et l’ivoire [12]. Le chapitre 5 y ajoutait les taxes et menus droits sur la chasse.
Pour l’exercice 1949, l’article 4 du chapitre XIII de cet arrêté budgétaire allouait un montant de 5 735 000 frs aux diverses activités des eaux et forêts. Les crédits sur l’assainissement et l’entretien de voiries par le nettoyage et l’enlèvement des déchets vont croitre progressivement jusqu’à l’indépendance du pays en 1960. A partir de cette date, la question environnementale en droit public financier prendra des proportions internationales et régionales.
La récente apparition des finances publiques vertes.
En dépit de la prise de conscience lointaine de l’urgence écologique, l’apparition des finances vertes est très récente. Ce qui justifie l’actualité du sujet du droit budgétaire vert. Les ensembles régionaux tentent d’orienter les attitudes des Etats vers une posture de réduction des impacts des dépenses et des recettes qui dégradent l’environnement. En 2001, la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Economique et Monétaire Ouest africaine (UEMOA) adoptait l’Acte additionnel n° 04/2001 portant adoption de la politique énergétique commune de l’UEMOA. Déjà l’environnement apparaissait de façon implicite dans cet acte. Il est mentionné dans son préambule que son adoption était liée à la prise de conscience de la contribution des politiques énergétiques communes à la protection de l’environnement et à la prospérité des économies des Etats membres de l’Union.
Cette prise de conscience du lien entre les ressources financières et l’environnement se manifestera plus tard en 2008 par l’adoption de l’acte additionnel n°01/2008/CCEG/UEMOA du 17 janvier 2008 portant adoption de la politique commune d’amélioration de l’environnement de l’UEMOA qui affirme l’urgence de la mobilisation des ressources financières adéquates pour conduire efficacement la mise en œuvre d’actions dans le domaine de l’environnement.
Ce texte adopte le principe du financement de la réparation des dommages environnementaux, principe selon lequel le responsable d’une pollution doit financer la réparation des dégâts environnementaux causés ou susceptibles de l’être. N’est-ce pas une reprise des mesures budgétaires coloniales qui autorisaient des recettes en amende et pénalités sur les produits de la forêt comme l’article 5 de l’arrêté n°160 /F portant règlement du Compte définitif du Budget local de la Haute-Volta, exercice 1949 ?
Il en est également de l’acte additionnel a/sa.4/12/08 du 19 décembre 2008 portant adoption de la politique environnementale de la CEDEAO qui adopte également le principe selon lequel le responsable d’une pollution doit financer la réparation [13] et l’urgence de mobilisation des ressources financières.
L’année 2024 marque l’entrée des mécanismes verts internationaux en Afrique de l’Ouest. En effet, à ces instruments communautaires qui influencent les politiques budgétaires des Etats membres, s’ajoute la Circulaire N°001-AMF-UMOA/2024 portant mise en place d’une taxonomie des projets faisant l’objet d’émissions d’obligations vertes, sociales et durables sur le Marché Financier Régional de l’UMOA. Cette circulaire créé une taxonomie des projets faisant l’objet d’émissions d’obligations vertes ainsi définies. Ces instruments des finances vertes encouragent les investissements en Afrique dont les partenaires financiers ambitionnaient en 2023 un montant de 15 à 20 milliards d’euros d’investissements verts. Ces actions incitent les Etats à intégrer dans leur cadre budgétaire la question écologique puisque « l’engagement de l’Afrique sur le marché des obligations vertes représente actuellement moins de 1% des plus de 2 200 milliards de dollars d’émissions d’obligations vertes communautaires en 2022 » [14]. Les années 2000 ont été celles de l’intégration de la conscience écologique dans les programmes publics financiers. Les conséquences des phénomènes météorologiques extrêmes sur les finances publiques ont été intégrées dans les défis et risques budgétaires.
Conclusion.
Les finances publiques burkinabè sont entrées dans l’ère du climat en 2023 à travers la circulaire budgétaire du 6 juin 2022 portant l’élaboration du budget de l’Etat pour l’exercice 2023 [15]. La question des changements climatiques est abordée en ces termes : « Les changements climatiques impactent négativement les politiques de développement du fait de leurs conséquences souvent néfastes. A défaut de les maitriser parfaitement, il est plus qu’urgent de minimiser les risques dans le cadre de la mise en œuvre des politiques publiques et par conséquent, d’envisager des actions de mitigations qui aideraient à atténuer leurs effets en cas de survenance. Cela aiderait à faire des politiques budgétaires, un instrument puissant pour réduire les inégalités sociales, éliminer la discrimination et promouvoir la transition vers des modes durables de production et de consommation. Les différents départements ministériels sont donc invités à identifier dans la mesure du possible, les actions de mitigation des effets des changements climatiques dans leurs politiques de développement et de prévoir des ressources pour leur mise en œuvre. C’est un processus qui se veut assez dynamique et progressif, le résultat final étant d’obtenir d’année en année, des budgets de plus en plus verts » [16]. C’est bien naturellement qu’en 2024, les dépenses et les recettes environnementales soient présentes dans la législation financière.
Dans la budgétisation actuelle, les charges liées à la politique sociale de l’Etat burkinabè se retrouvent également dans les budgets 2024 et antérieurs. Mais, il y’a une évolution puisque les programmations budgétaires ont diversifié les budgets climatiques des ministères. En comparant donc l’historique des finances publiques coloniales et postcoloniales, les affectations environnementales sont plus diversifiées de nos jours que sous l’ère coloniale.