Introduction.
Face aux urgences contemporaines telles que les crises écologique, alimentaire, sécuritaire et démocratique, le modèle de droit universel applicable partout et pour tous est aujourd’hui remis en cause par l’existence de systèmes de régulations endogènes. Ces crises sont d’ailleurs des sources matérielles du droit et alimentent les corpus juridiques. A cet égard, le pluralisme juridique conduisant à la reconnaissance des systèmes et traditions juridiques non étatiques offre un pan de réflexion sur les droits accordés aux systèmes juridiques non étatiques et aux populations dans leur contribution à la gouvernance des affaires publiques. Cela permet de se poser la question suivante : quelles sont les références et les substrats du pluralisme juridique et du droit de la participation du public ? L’étude du pluralisme juridique présente l’avantage, d’abord, de la traduction du phénomène juridique dans sa réalité concrète, ensuite, de l’orientation des pouvoirs publics. La méthodologie utilisée est exégétique. Des sources historiques, coloniales et récentes du droit ont servi de base d’analyse. Conséquemment, le champ disciplinaire mobilise est relatif à l’histoire du droit. Il s’agira de partir des référents conventionnels, législatifs et règlementaires et leur niveau d’implication des ordres juridiques non étatiques.
Une reconnaissance internationale.
L’examen des textes montre que la soft law internationale constitue l’une des sources de la reconnaissance de la pluralité des systèmes juridiques et partant, du pluralisme juridique. Les instruments internationaux non-contraignants contiennent des référents juridiques sur les pratiques dites coutumières et traditionnelles qui constituent des systèmes de régulation juridique. De ces sources formelles issues de la soft law internationale, le principe 22 de la Déclaration de 1992 de Rio de Janeiro, est une illustration de la reconnaissance du droit à la participation des populations et des pratiques traditionnelles constituant une forme de juridicité du milieu qui joue un rôle fondamental en matière de développement durable. Ce principe de la Déclaration de Rio de Janeiro de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de 1992 dispose que : « Les populations et communautés endogènes et les autres collectivités locales ont un rôle vital à jouer dans la gestion de l’environnement et le développement du fait de leurs connaissances du milieu et de leurs pratiques traditionnelles. Les Etats devraient reconnaitre leur identité, leur culture et leurs intérêts, leur accorder tout l’appui nécessaire et leur permettre de participer efficacement à la réalisation d’un développement durable ». Il découle de cette disposition non-contraignante, une importante place reconnue aux populations locales et endogènes d’une part, et l’acception de leurs pratiques d’autre part. En outre, le principe 9 stipule que « Les Etats devraient coopérer ou intensifier le renforcement des capacités endogènes en matière de développement durable... ». Bien auparavant, le principe 23 de la Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement tenue à Stockholm du 5 au 16 juin 1972 invitait déjà les pays à tenir compte de la contextualisation des normes. Se référant à l’avis juridique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en mai 2007 à Accra au Ghana qui note que « en Afrique le terme peuple autochtone ne signifie pas « premiers habitants » par référence à l’aboriginalité en opposition à des communautés non africaines ou venues d’ailleurs. Pour ce qui la concerne, la CADH considère que : tout Africain, peut légitimement se considérer comme autochtone sur le continent ».
En effet, l’article 12 confère aux peuples autochtones le droit de manifester, de pratiquer, de promouvoir et d’enseigner leurs traditions, coutumes et rites. L’article 34 est plus explicite quant à l’application des coutumes et traditions juridiques en ce sens qu’il précise que « Les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver leurs structures institutionnelles et leurs coutumes, spiritualité, traditions, procédures ou pratiques particulières et, lorsqu’’ils existent, leurs systèmes ou coutumes juridiques, en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme ». Il en est de même des dispositions des articles 5, 28 et 40. Quant aux instruments contraignants, la reconnaissance des systèmes non-étatiques est aussi prescrite par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) adoptée en juin 1981 en son article 17 en ces termes : « La promotion et la protection de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté constituent un devoir de l’Etat dans le cadre de la sauvegarde des droits de l’homme ». L’article 18-2 donne plus de précision en faisant obligation à l’Etat d’assister la famille dans sa mission de gardienne de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté.
Une reconnaissance nationale.
En examinant le droit burkinabè, on observe bien l’écart entre la norme étatique et la réalité des pratiques précoloniales ancrées dans la contemporanéité. En revanche, certaines branches du droit permettent d’affirmer l’introduction du pluralisme juridique dans le droit burkinabè atténuant le centralisme juridique. Dans le droit foncier, on observe une relative prise en compte de l’endogénéité finissant par nous convaincre que le pluralisme juridique en vigueur au Burkina Faso est un pluralisme juridique étatique. Cela signifie que le système juridique endogène des communautés est articulé par le droit étatique par acceptation ou par rejet de certaines pratiques.
Le système juridique foncier burkinabè a subi de nombreuses réformes pour rendre les textes acceptables par les populations locales. Au titre des réformes, il y a la prise en compte des structures coutumières dans la gouvernance foncière. Le président de la Commission Foncière Villageoise (CFV) ou de la Commission de Conciliation Villageoise Foncière (CCVF) est un responsable coutumier ou traditionnel du village. De même, la charte foncière joue un rôle important dans la prise en compte des pratiques endogènes. Les chartes locales permettent de préciser et d’adapter les textes aux particularités du milieu rural et a la spécificité des besoins locaux. Les chartes foncières locales sont des conventions inspirées des coutumes, usages ou pratiques fonciers locaux, élaborées au niveau local et visant dans le cadre de l’application de la loi à prendre en considération la diversité des contextes écologiques, économiques, sociaux et culturels en milieu rural. De ce point de vue, les chartes, foncières en vigueur au Burkina Faso s’inscrivent dans la tendance d’un pluralisme juridique étatique qui renvoie à un système dans lequel la primauté de l’ordre juridique étatique est de rigueur mais avec l’acceptation par le droit étatique d’institutions et de systèmes juridiques coutumiers et traditionnels. Les chartes locales, qu’elles soient foncières ou spécifiquement pastorales, ne peuvent s’écarter de certains principes fondamentaux du droit. Elles restent donc sous le contrôle des institutions étatiques dans le but de s’assurer de leurs conformités aux principes du genre et des droits humains.
L’inefficacité du monopole de la gestion publique.
Dans la plupart des pays de l’Afrique occidentale française, la décolonisation politique n’a pas été suivie d’une décolonisation juridique. Il s’agit d’un paradoxe car « une décolonisation est un processus de transition dite juridique. Il s’agit de débarrasser le système juridique du pays nouvellement indépendant des rapports juridiques qui le liaient à l’ancienne métropole ». Au lendemain des indépendances, les pays africains ont pour la plupart reconduit sans grandes réformes les textes juridiques hérités de la colonisation. Il s’agit d’une approbation de l’universalisme juridique avec tous les impacts négatifs que cela a engendre : la surexploitation des forêts et des ressources minières, les guerres civiles et les conflits tribaux, le désaveu de l’Etat central. Trois actes réglementaires du gouvernement burkinabè nouvellement indépendant démontrent le mimétisme juridique et son échec. Les textes juridiques et réglementaires visaient une similitude avec les lois abolitives françaises des droits féodaux des 15-28 mars 1790. Le mimétisme de l’Etat burkinabè s’est matérialisé aussi par la suppression des armoiries et autres signes de royauté et toutes les indemnités seigneuriales que la métropole avait appliquées par le décret du 17 juillet 1793. Ce faisant, le réflexe d’imitation intégrale est observable dans les actes présidentiels de suppression des droits féodaux par le décret n° 32-PRES du 26 janvier 1962 interdisant le port d’insignes ou de signes extérieurs de caractère féodal sur le territoire voltaïque, de suppression de la rémunération des chefs traditionnels par le décret n° 13/PRES/IS/DI du 11 janvier 1965 portant suppression de la rémunération des chefs et de la tentative de suppression des institutions traditionnelles par le décret n° 189/PRES/INT du 8 janvier 1962 portant interdiction de toute nomination ou succession dans les chefferies coutumières devenues vacantes.
Cet acte règlementaire est un exemple de l’échec du mimétisme juridique intégral puisque ces institutions continueront d’exister et seront plus ou moins considérées par les gouvernements successifs.
Montesquieu n’affirmait-t-il pas que les lois doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites et que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre ?