Agissant sur le fondement de la loi pour l’élimination des armes biologiques et chimiques [1] et au regard de l’implication alléguée de la Russie dans le cas SKRIPAL, les États-Unis [2] ont mis en œuvre le 6 août 2018 [3] un ensemble de sanctions à l’encontre de la Fédération de Russie qui devait, sauf revirement exprès des autorités russes constaté dans les trois mois, être complété par une nouvelle vague de sanctions.
Un an après, nous revenons sur les développements intervenus en matière de sanctions mettant en jeu la Russie.
Seconde série de sanctions américaines : Trump face à la pression du congrès.
À l’expiration du délai, soit le 6 novembre 2018, le porte-parole du Département d’État, Heather Nauert, déclarait au Congrès que l’exécutif allait bien mettre en place lesdites nouvelles sanctions, la Russie n’ayant pas rempli les conditions posées par la loi pour y échapper [4].
Toutefois, malgré cette confirmation verbale, les mois passèrent sans que de nouvelles sanctions soient mises en œuvre. Dans le contexte d’un relatif apaisement des tensions - illustré en particulier par le retrait du géant russe de l’aluminium (EN+ / RUSAL) de la liste des personnes sanctionnées [5] - d’aucuns auraient pu croire que ces nouvelles sanctions ne viendraient jamais.
Cette relative inaction de l’exécutif américain contrastait particulièrement avec l’intense activité législative antirusse. En effet, sur la même période, le Congrès a vu fleurir de nombreuses propositions de loi prévoyant de sanctionner la Russie plus en avant, que ce soit en réponse à l’intervention en Ukraine [6], à l’utilisation d’armes chimiques [7] ou encore en relation avec l’interférence dans les élections américaines [8].
Confrontés à l’inaction de la Maison Blanche, le président du comité sur les affaires étrangères (Eliot L. Engel) et le représentant du Texas (Michael T. McCaul) exhortaient le 25 juillet 2019 le président Trump à rapidement mettre en place la seconde salve de sanctions prévue par la loi [9].
Cette pression politique sur le président Trump n’est d’ailleurs pas totalement nouvelle et se manifestait dès 2017 dans les modifications apportées à la rédaction de la loi relative aux sanctions pour l’intervention russe en Ukraine... [10] qui avait évolué de « the President may impose [sanctions] » vers « the President shall impose [sanctions] » [11]
En réponse à ces sollicitations, le président Trump décrétait enfin, le 1er août 2019, que les États-Unis s’opposeraient à la prolongation de tout prêt ou assistance financière et technique à la Russie par les institutions internationales [12].
Le 2 août 2019, le Service de Contrôle des Avoirs Étrangers (l’"OFAC") [13] précisait la teneur desdites nouvelles sanctions en confirmant (i) l’interdiction faites aux banques américaines de participer au marché primaire des obligations non-libellées en Roubles émises par la Russie et de prêter des sommes non libellées en Roubles à la Russie [14] et (ii) que les demandes d’autorisation pour l’exportation d’armes chimiques et biologiques visées par les sanctions feraient désormais l’objet d’une présomption de refus [15].
Ces nouvelles sanctions font partie des moins significatives parmi celles limitativement prévues par le décret d’août 2018 [16].
En outre, ces sanctions sont partiellement redondantes avec les sanctions antérieures même si elles en généralisent la portée en s’abstenant de restreindre leur champ d’application à un type d’industrie spécifié, à un territoire donné ou à une liste de personnes nommément sanctionnées [17].
On peut également légitimement douter de leur impact concret dans un contexte où les États-Unis s’opposent d’ores et déjà au financement de la Russie au sein des institutions financières internationales, notamment la Banque Mondiale [18] et la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement [19]. Il est, de plus, notoire que les banques occidentales appliquent déjà de manière extensive les sanctions antérieures craignant de faire elles-mêmes l’objet de sanctions comme cela fût illustré par l’absence de participation de banques françaises au financement du gigantesque projet gazier franco-russe Yamal [20].
Contre-mesures russes : embargo agroalimentaire et internet souverain.
Pendant la même période, la Russie n’est pas restée inactive.
Elle a ainsi récemment prolongé jusqu’au 31 décembre 2020 l’embargo sur les importations de produits agroalimentaires décidé en 2014 [21].
Pour mémoire, cet embargo s’étend à une liste de produits divers notamment, les produits laitiers, les viandes bovines et porcines, les poissons et divers légumes [22] provenant en particulier de l’Union européenne, des États-Unis et du Canada.
La chute des exportations agroalimentaires vers la Russie [23] a affecté significativement l’Union européenne qui, dès 2014, a mis en œuvre de nombreuses mesures de soutien financier aux secteurs touchés [24] (notamment au profit des producteurs de fruits et légumes, aux producteurs estoniens, lettons, lituaniens et finlandais de lait, etc.). Elle a également initié une procédure au sein de l’OMC en lien avec l’embargo sur la filière porcine, justifié par la Russie au regard de l’existence de foyers de fièvre africaine dans certains pays de l’Union [25].
Du côté russe, l’embargo s’est accompagné d’un renforcement du plan quinquennal de soutien public à l’industrie agroalimentaire visant à pallier l’absence d’importations en provenance de l’Union européenne sur le marché russe et à diminuer la dépendance russe vis-à-vis de ses voisins européens [26]. Les sommes investies dans ce programme sont significatives et s’élevaient au 19 septembre 2019 à plus de 2 milliards de dollars depuis le début de l’année [27] . Ainsi, l’embargo. L’embargo aura donc aussi été utilisé comme un outil de politique économique intérieur contribuant à l’essor du secteur agricole russe qui reste toutefois encore largement importateur [28].
Outre cet embargo et la loi "anti-sanctions" du 4 juin 2018 n°127-FZ [29] permettant de sanctionner administrativement les personnes russes se conformant aux sanctions étrangères contre la Russie, la Douma a adopté une nouvelle loi fédérale d’importance : la loi n°90-FZ du 1er mai 2019 [30].
Cette loi, qui entrera en vigueur le 1er novembre 2019, modifie la loi fédérale russe sur les communications [31] et celle sur l’information, les technologies d’information et la protection de l’information [32]. Elle vise principalement à rendre possible la création d’un internet russe souverain en permettant, le cas échéant, de le rendre indépendant du réseau internet mondial. Cette loi prévoit, par ailleurs, la possibilité pour l’autorité de tutelle des télécommunications (Roskomnadzor) d’interrompre l’accès à des serveurs étrangers en cas de menace étrangère [33].
Pour ce faire, les opérateurs russes auront désormais l’obligation d’interrompre les flux provenant de sources ne respectant pas la législation russe sur la protection des données personnelles [34], en particulier l’obligation relative au stockage sur le territoire national des données relatives à des citoyens russes [35].
Sont ainsi particulièrement visés les géants américains Google et Facebook [36].
Le gouvernement russe avance que cette mesure va permettre de protéger la Russie d’éventuelles représailles américaines qui pourraient émerger dans le contexte actuel [37].
De leur côté, les organisations internationales ainsi qu’une partie des acteurs économiques russes la dénoncent comme étant un nouveau moyen de censure mis à la disposition du gouvernement [38].
Extension du domaine de la lutte.
Au-delà des sanctions officielles adoptées dans les cadres juridiques américain et russe, la période récente a vu se multiplier les actions diplomatiques et économiques hostiles des États-Unis à l’encontre des intérêts russes avec parfois des effets collatéraux sur les pays européens. C’est en particulier le cas de l’opposition américaine au projet de gazoduc de Gazprom reliant la Russie à l’Europe en passant par la mer Baltique, financé à 50% par un groupe d’investisseurs européens composés des allemands Wintershall et Uniper, du français ENGIE, de l’autrichien OMV et du hollandais SHELL ("Nord Stream 2").
Cette opposition s’est singulièrement exprimée par les prises de position publiques de leur ambassadeur à Berlin [39]l et les déclarations tonitruantes du président Trump lors du sommet de l’OTAN de juillet 2018 au cours duquel celui-ci n’a pas hésité à dire que la "Russie contrôle l’Allemagne" [40].
Concomitamment mais plus discrètement, les États-Unis ont effectué un intense lobbying européen ayant accouché, d’une part d’une déclaration conjointe du président Trump et du président de la Commission européenne Juncker, actant de la volonté européenne d’augmenter ses importations de gaz liquéfié américain [41] - et ayant effectivement résulté en une augmentation de 272% des acquisitions de gaz en provenance des États-Unis [42] - et, d’autre part de la modification, le 17 mai 2019, de la directive européenne relative au gaz naturel de 2009 [43].
Sur ce dernier point, les modifications introduites visent à étendre le champ d’application de la directive européenne aux gazoducs provenant de pays tiers et non achevés à la date d’entrée en vigueur de la directive (soit, en pratique, Nord Stream 2 exclusivement…). De Jure, le modèle économique envisagé par Gazprom et les investisseurs européens est significativement impacté via notamment (i) l’obligation de dissociation entre le propriétaire et l’exploitant du gazoduc (unbundling rule), (ii) l’obligation de permettre à d’autres fournisseurs que Gazprom d’utiliser le gazoduc et (iii) l’application des régulations tarifaires européennes.
D’aucuns pourraient s’étonner qu’un projet soutenu par les acteurs énergétiques des deux plus grandes puissances économiques européennes soit contrecarré par Bruxelles sous pression américaine en particulier dans un contexte où les prix du gaz russe et américain sont largement en faveur d’une augmentation de l’approvisionnement russe.
Mais les choses pourraient ne pas en rester là, Nord Stream 2 AG ayant, le 25 juillet 2019, transmis une demande en annulation de la directive à la Cour de Justice de l’Union européenne [44].
To be continued…