La liberté d’expression relève d’un droit essentiel, en vertu de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 et l’article 10 de la CEDH [1]. Ceci comprend, quel que soit le support utilisé, « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorité publique et sans considération de frontière » [2].
La liberté d’expression, liberté fondamentale.
Conformément à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et les articles 9 du Code civil et L1121-1 du Code du travail, le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée.
En particulier, celle-ci comprend le secret des correspondances. En effet, l’employeur "ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner" [3].
En outre, il résulte des articles L1234-1, L1234-5 et L1234-9 du Code du travail, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail [4].
Ainsi, le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l’intimité de sa vie privée, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement [5].
Sur ce point, la CEDH a fixé les éléments que doit prendre en compte l’employeur avant de sanctionner un salarié pour abus de la liberté d’expression [6].
Par un arrêt du 11 décembre 2024 [7], la Cour de cassation précise le régime juridique entourant l’utilisation des messageries au travail et le secret des correspondances, étant entendu que la frontière en sphère professionnelle et vie privée est souvent tenue.
Pour les Hauts juges, le licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait envoyé, à partir de son téléphone portable professionnel, des SMS critiques de la société et dénigrants à l’égard de ses dirigeants, dans le cadre d’échanges avec des salariés en poste, ou ayant quitté la société, concernant les litiges prud’homaux les opposant à celle-ci revêtent un caractère professionnel, "pour avoir été envoyés par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail, et dont le contenu était en rapport avec son activité professionnelle, ne revêtaient pas un caractère privé, peu important que ces échanges ne fussent pas destinés à être rendus publiques".
En l’espèce, un salarié « business unit manager », est licencié pour faute lourde, en raison de son refus de collaborer avec la nouvelle direction et de ses propos critiques et dénigrants visant la société et ses dirigeants, tenus lors d’échanges électroniques et par SMS envoyés depuis de son téléphone professionnel.
Il saisit le Conseil de prud’hommes pour contester la rupture et aux fins de juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La Cour d’appel juge que son licenciement était justifié. Se pourvoyant en cassation, le salarié soutient que les propos litigieux n’entraient pas dans le cadre d’un usage abusif de la liberté d’expression, au regard des articles L1121-1 du Code du travail et 10 § 1 CEDH : les propos qu’il avait tenus par SMS ne l’avaient été que dans un cadre strictement limité. Ceci en référence à la Jurisprudence en la matière, en ce sens que : des propos injurieux tenus par des salariés à l’encontre de leur employeur sur des réseaux sociaux, lesquels avaient été jugés comme relevant de la vie privée du salarié dès lors que leur diffusion était limitée à un cercle restreint de personnes autorisées [8].
A cet égard, le périmètre du partage de message litigieux est déterminant quant à la qualification de l’atteinte, de sorte que si le cercle est restreint, il n’y a guère violation de la liberté d’expression : "Après avoir constaté que les propos litigieux avaient été diffusés sur le compte ouvert par la salariée sur le site Facebook et qu’ils n’avaient été accessibles qu’à des personnes agréées par cette dernière et peu nombreuses, à savoir un groupe fermé composé de quatorze personnes, de sorte qu’ils relevaient d’une conversation de nature privée, la cour d’appel a pu retenir que ces propos ne caractérisaient pas une faute grave” [9].
Approuvant la position des juges du fond, la Cour de cassation considère que, au visa de l’article L1121-1 du Code du travail, que "les propos visés dans la lettre de licenciement avaient été tenus par le salarié par messages SMS envoyés au moyen de son téléphone portable professionnel, lors d’échanges avec des salariés en poste, ou des salariés ayant quitté la société concernant les litiges prud’homaux les opposant à celle-ci et, ensuite, qu’il s’agissait de propos critiques de la société et de propos dénigrants à l’égard de ses dirigeants".
En l’espèce, conclue la Haute juridiction, les messages litigieux doivent être regardés comme exprimés dans un cadre professionnel, lesquels : « bénéficiaient d’une présomption de caractère professionnel pour avoir été envoyés par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail, et dont le contenu était en rapport avec son activité professionnelle, ne revêtaient pas un caractère privé, peu important que ces échanges ne fussent pas destinés à être rendus publiques, qu’ils pouvaient être retenus au soutien d’une procédure disciplinaire ».
En somme, au-delà des protections légales liées à la liberté d’expression, les SMS envoyés par le téléphone professionnel, dont le contenu porte sur le travail bénéficient d’une présomption de caractère professionnel.
Protection renforcée de la vie privée.
En cela, avec l’essor des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, il faut souligner que, par l’arrêt Nikon, la Haute assemblée a eu à préciser les contours du droit du salarié au respect de sa vie privée au travail :
"Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur" [10].
Néanmoins, ce principe est tempéré par des exceptions autorisant l’atteinte proportionnée à la vie privée et la confidentialité. Tel est le cas de l’atteinte au secret, justifiée par la gravité des faits, à l’exemple du harcèlement sexuel d’un supérieur hiérarchique au moyen de son téléphone professionnel :
“Ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que le salarié, exerçant les fonctions de responsable d’exploitation d’une entreprise comptant plus de cent personnes, avait, depuis son téléphone professionnel, de manière répétée et pendant deux ans, adressé à une salariée dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail et dont il était le supérieur hiérarchique, des SMS au contenu déplacé et pornographique, adoptant ainsi un comportement lui faisant perdre toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses responsabilités, la cour d’appel a pu en déduire que ces faits se rattachaient à la vie de l’entreprise et pouvaient justifier un licenciement disciplinaire" [11].
En somme, l’arrêt commenté [12], s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence établie.
A cet égard, rappelons que l’employeur peut consulter et produire en justice les SMS reçus et émis depuis le téléphone professionnel mis à la disposition de ses collaborateurs. Dit autrement, les messages écrits envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition, par l’employeur, sont présumés avoir un caractère professionnel. Par suite, rien n’interdit à l’employeur de les consulter, même en dehors de la présence du salarié, à la condition que ces messages ne soient pas identifiés comme étant personnels :
“Les messages écrits ("short message service" ou SMS) envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnel” [13].
Qui plus est, s’agissant des SMS, la Cour de cassation prolonge le paradigme appliqué aux fichiers créés par un salarié au moyen l’outil informatique mis à sa disposition par l’entreprise, relativement à l’exécution du contrat de travail :
"Les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence" [14].
En clair, la nature de l’outil utilisé (ordinateur, téléphone portable selon qu’il soit personnel ou professionnel) est déterminante.
En d’autres termes, les messages échangés par un salarié au moyen d’une messagerie personnelle, le cas échéant installée sur son ordinateur professionnel, relèvent de la vie privée du salarié et sont couverts par le secret des correspondances :
“Le salarié a été licencié pour faute grave, notamment en raison de propos échangés lors d’une conversation privée avec trois personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, dans un cadre strictement privé sans rapport avec l’activité professionnelle.
Cette conversation de nature privée n’étant pas destinée à être rendue publique et ne constituant pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d’être justifié et est atteint de nullité comme portant atteinte au droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié” [15].
Recevabilité de la preuve illicite ou déloyale.
Du reste, il y a lieu de souligner que l’employeur est fondé à invoquer son droit à la preuve, produisant une preuve illicite, recevable sous conditions :
"Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi" [16].
En définitive, au regard des évolutions jurisprudentielles, le salarié gagnerait à être regardant quant au moyen utilisé, par lui, dans ses échanges ,a fortiori, quand ces propos sont “sanctionnables”, attentatoires aux intérêts de l’entreprise. De même, s’agissant de l’employeur, en amont de toute sanction disciplinaire, la vigilance est de mise tant les atténuations apportées à la liberté d’expression ne devraient pas déboucher sur des abus. C’est là un attribut élémentaire du principe de loyauté, principe contractuel intangible.