L’obligation de sécurité, se déclinant en obligation de prévention et de réaction [1], exigeant des moyens renforcés, vise, de par son objet et sa finalité, à assurer la protection de la santé physique et mentale du salarié.
L’obligation de sécurité.
Aux termes des dispositions des articles L4121-1 et suivants et L4122-1 du Code du travail, l’obligation de sécurité s’applique aussi bien à l’employeur qu’au manager :
« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L4161-1
2° Des actions d’information et de formation
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes » [2].
A cet égard, par un récent arrêt, la Cour de cassation a jugé qu’un responsable d’agence, ayant adopté à l’égard des collaboratrices placées sous son autorité, “un comportement lunatique, injustement menaçant, malsain et agressif, ayant provoqué le départ de l’une d’elles, avait eu un mode de management maladroit et empreint d’attitude colérique, ce qui était de nature à constituer un manquement à son obligation en matière de sécurité et de santé à l’égard de ses subordonnés et à rendre impossible la poursuite du contrat de travail” [3].
De telle sorte qu’il incombe au manager," de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ".
En l’espèce, un responsable d’agence est licencié pour faute grave. L’employeur estime qu’il a manqué son obligation de sécurité au travers de son attitude : management empreint d’attitude colérique, un caractère ’’agressif’’, un comportement ’’lunatique et malsain et des menaces injustifiées’’.
Comportement répété et préjudiciable au collectif de travail, provoquant le départ d’une salariée, causé par ses excès de colère.
En outre, un commercial de l’agence fait état des ’’relations dégradées entre ledit manager et ses collaborateurs, une attitude agressive et des propos allant à l’encontre du bon fonctionnement de l’agence’’.
La cour d’appel juge le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ce que :
- ces faits ne caractérisaient pas un manquement du salarié à son obligation en matière de sécurité et de santé,
- l’employeur ne fait état d’aucun arrêt de travail des collaborateurs,
- ou d’alerte de la médecine du travail ou de l’inspection du travail en raison du comportement du salarié et ne justifie d’aucun courrier de reproche envers lui.
Position censurée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, considérant, au visa des articles L1234-1, L1234-5, L1234-9 et L4122-1 Code du travail, que :
D’une part, la Haute cour rappelle le principe attaché à l’obligation de sécurité du manager et du salarié, posé par les dispositions de l’article L4122-1 du Code du travail, "Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail" [4].
D’autre part, en l’espèce, la censure est prononcée à l’appui des constatations des juges du fond relativement aux effets des pratiques managériales, marquées par la brutalité : “En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter tout manquement du salarié à ses obligations contractuelles, alors qu’elle constatait que ce dernier, responsable d’agence, avait adopté à l’égard des collaboratrices placées sous son autorité un comportement lunatique, injustement menaçant, malsain et agressif ayant provoqué le départ de l’une d’elles, avait eu un mode de management maladroit et empreint d’attitude colérique, ce qui était de nature à constituer un manquement à son obligation en matière de sécurité et de santé à l’égard de ses subordonnés et à rendre impossible la poursuite du contrat de travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés” [5].
Au fond, s’agissant de la responsabilité du manager et de ses obligations contractuelles, cette décision complète la jurisprudence antérieure. Pour la Cour régulatrice, le dirigeant ou, le cas échéant, un délégataire de pouvoirs ne peut, exclusivement, être dépositaire de l’obligation légale de sécurité.
Dit autrement, tout salarié, quel que soit son rang hiérarchique, disposant ou non des prérogatives managériales ou de gestion, est tout aussi soumis à une obligation de sécurité, spécifique du reste, à l’égard de lui-même, et vis-à-vis de ses collègues de travail : « Il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail ; que dès lors, alors même qu’il n’aurait pas reçu de délégation de pouvoir, il répond des fautes qu’il a commises dans l’exécution de son contrat de travail ; l’arrêt confirmatif attaqué, statuant par motifs propres ou adoptés, a constaté, d’abord, que M. Y... était responsable du service entretien, qu’il entrait dans ses attributions de passer les commandes relatives à la maintenance des installations de la société, de définir avec les entreprises intervenantes les conditions de leur intervention et de les renseigner sur les mesures de sécurité, ensuite, qu’il n’avait pas correctement établi le plan de prévention lors de l’intervention de la société CRM et ne l’avait pas averti des dangers liés à cette intervention, qu’il connaissait pourtant, notamment en ce qui concernait les particularités du clapet anti-retour à l’origine de l’accident ; que la cour d’appel, qui s’est expliquée sur les moyens invoqués par M. Y..., a pu déduire de ces constatations, qu’il avait commis une faute grave” [6].
De même, l’obligation de sécurité du manager, visée à l’article L4122-1 du Code du travail, a vocation à s’appliquer “qu’il ait ou non reçu une délégation de pouvoir, le non-respect de ces dispositions est donc constitutif d’une faute” [7].
Au surplus, notons que le salarié est investi d’une "obligation de ne pas mettre en danger, dans l’enceinte de l’entreprise, d’autres membres du personnel". Ici, laquelle responsabilité commence "dès qu’il pénètre dans l’enceinte de l’entreprise" [8].
Telle obligation d’assurer la santé physique et mentale des collaborateurs s’étend au responsable des ressources humaines : “La salariée, qui travaillait en très étroite collaboration avec le directeur du magasin, avait connaissance du comportement inacceptable de celui-ci à l’encontre de ses subordonnés et pouvait en outre s’y associer, qu’elle n’a rien fait pour mettre fin à ces pratiques alors qu’en sa qualité de responsable des ressources humaines, elle avait une mission particulière en matière de management.
Qu’il relevait de ses fonctions de veiller au climat social et à des conditions de travail « optimales » pour les collaborateurs, que la définition contractuelle de ses fonctions précisait qu’elle devait « mettre en œuvre, dans le cadre de la politique RH France, les politiques humaines et sociales » et que le responsable des ressources humaines est « un expert en matière d’évaluation et de management des hommes et des équipes » et retenu qu’en cautionnant les méthodes managériales inacceptables du directeur du magasin avec lequel elle travaillait en très étroite collaboration,
Et en les laissant perdurer, la salariée avait manqué à ses obligations contractuelles et avait mis en danger tant la santé physique que mentale des salariés” [9].
Toujours est-il que la décision analysée s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation, en ce qui concerne les notions de management brutal et de harcèlement managérial.
Le management brutal.
En cela, la pratique par le manager, lui-même salarié soumis au lien de subordination, d’un "mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés, ce qui était de nature à caractériser un comportement" constitue une faute grave, rendant impossible son maintien dans l’entreprise. Sans que la qualification de harcèlement moral ne soit exigée (Pour aller plus loin Management brutal : faute grave et atteinte à la santé mentale des salariés)
En effet, dans un arrêt du 14 février 2024, le litige concerne une salariée engagée en tant que directrice d’établissement par une association gestionnaire d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Plusieurs de ses collègues ainsi que des délégués du personnel ont saisi l’employeur en formulant à l’encontre de la Directrice des accusations de harcèlement moral.
Plus précisément, il est reproché à la salariée d’avoir adopté des méthodes de gestion inappropriées qui ont causé un mal-être et une souffrance au sein du personnel, entraînant la démission de certaines salariées et des arrêts de travail pour d’autres.
Ces accusations sont soutenues par des courriers et des attestations de salariés et de représentants du personnel dénonçant ces méthodes de gestion.
En conséquence, elle casse l’arrêt rendu en reprochant à la cour d’appel d’avoir invalidé le licenciement pour faute grave alors qu’elle constatait que le comportement fautif impliquant l’impossibilité d’un maintien au sein des effectifs avait été démontré.
En clair, ici, la Chambre sociale censure l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé que, les courriers et attestations produits, en l’espèce, font état d’une attitude générale ou d’événements non datés et non de faits précis et circonstanciés, que la seule dénonciation d’un climat de travail tendu, de conditions et de relations de travail effectivement difficiles ou heurtées, ne peut valoir qualification de harcèlement moral.
Qui plus est, en l’espèce, pour la cour d’appel : “s’il est fait ensuite état de décisions de la directrice au sujet de l’affectation de salariées à certaines tâches ou d’une surcharge de travail, la situation de tension, voire de stress ou de contrariété, même intense, qui est liée à un contexte professionnel difficile, à la nature de la tâche du salarié, ou à l’étendue de ses responsabilités, voire à une surcharge de travail, ne peut non plus être qualifiée de harcèlement moral”.
Or, la Haute Assemblée poursuit son raisonnement eu égard aux effets des pratiques managériales sur les effectifs : “En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations la pratique par la salariée d’un mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés, ce qui était de nature à caractériser un comportement rendant impossible son maintien dans l’entreprise, la cour d’appel a violé les textes susvisés” [10].
D’où il suit que, d’un côté, il convient de distinguer management brutal, maladroit et harcèlement moral. L’attitude managériale de mauvais aloi, quand bien même elle ne relève point du harcèlement moral, est susceptible de recevoir la qualification de faute grave quand, notamment, celle-ci :
- impressionne les salariés,
- nuit à la santé mentale des collaborateurs ou détériore leurs conditions de travail,
- rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
De l’autre, en considération de son obligation de sécurité, l’employeur est fondé à déclencher la procédure de licenciement pour faute grave, sans qu’il soit nécessaire de qualifier les faits litigieux de harcèlement moral.
Harcèlement managérial.
Dans le même sens, l’arrêt commenté renvoie, par ailleurs, à la notion de harcèlement moral managérial (Pour davantage de développement : Harcèlement managérial : contours juridiques et responsabilité.)
Au premier chef, cela concerne le management autoritaire, traduction d’une conduite délibérément aliénante à l’origine du préjudice subi par le salarié :
« Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » [11].
Précisément, en l’espèce, l’atteinte à la dignité s’accompagne de violence morale et de violation des droits : « Le directeur de l’établissement soumettait les salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre-ordres dans l’intention de diviser l’équipe se traduisant, en ce qui concerne M. X..., par sa mise à l’écart, un mépris affiché à son égard, une absence de dialogue caractérisée par une communication par l’intermédiaire d’un tableau, et ayant entraîné un état très dépressif ; qu’ayant constaté que ces agissements répétés portaient atteinte aux droits et à la dignité du salarié et altéraient sa santé, elle a ainsi caractérisé un harcèlement moral, quand bien même l’employeur aurait pu prendre des dispositions en vue de le faire cesse » [12].
En clair, le management nocif associé au harcèlement a trait aux méthodes de gestion :
- appliqué à un ou plusieurs salariés,
- répond à la définition légale du harcèlement moral [13] et aux caractéristiques dégagées par la jurisprudence.
Concrètement, au visa de l’article L1152-1 du Code du travail, la Chambre sociale a constamment rappelé que l’agissement incriminé doit :
- porter atteinte à ses droits et à sa dignité,
- altérer sa santé physique ou mentale,
- ou compromettre son avenir professionnel [14].
En dernière analyse, retenons que, parmi les enseignements de l’arrêt 26 février 2025, pourvoi n° 22-23.703, manager et salarié sont tenus à l’obligation légale de sécurité, suivant des paramètres distincts.
Un management maladroit, caractérisé par des attitudes colériques et des méthodes malsaines, constitue une faute grave, quand bien même aucun arrêt de travail n’est constaté et en l’absence de signalement auprès de la médecine du travail et l’inspection de travail.
Bien plus, le comportement brutal, attentatoire à la santé, à la dignité, générant la dégradation des conditions du travail est lourdement condamné, au travers un licenciement pour faute grave.
C’est que, eu égard aux obligations de prévention et de protection de la santé physique et mentale appliquées aux organisations, ici rappelées, la QVCT [15], s’accompagne, foncièrement et immanquablement, d’un management éthique, responsable (Voir QVCT, levier de la santé au travail : obligations et responsabilité de l’employeur.)
Un encadrement vigilant, assorti du respect des règles d’humilité et d’humanité ; gage de bien-être et de croissance durable.