La liberté d'installation du médecin retrouvée après l'assouplissement de la déontologie médicale. Par Steeve Chauvet, Juriste.

La liberté d’installation du médecin retrouvée après l’assouplissement de la déontologie médicale.

Par Steeve Chauvet, Juriste.

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Explorer : # liberté d'installation # déontologie médicale # qualité des soins # réglementation médicale

La médecine évolue, ses pratiques aussi.
Mesure discutée depuis longtemps, l’article R.4127-85 du Code de la santé publique (correspondant à l’article 85 du code de déontologie) limitait le médecin quant à ses lieux d’exercice : le médecin dispose d’un lieu d’exercice principal, et sous conditions et après autorisation, d’éventuels autres lieux d’exercice.
L’article R.4127-85 CSP a été profondément remanié par le décret n° 2019-511 du 23 mai 2019 modifiant le Code de déontologie des médecins et la réglementation des sociétés d’exercice libéral et des sociétés civiles professionnelles publié au JORF n°0121 du 25 mai 2019.

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Dans un arrêt important du 23 septembre 2010, le Conseil d’état, réuni en sous-sections, avait validé cette limitation à la liberté d’installation -par rapport aux dispositions communautaires- en indiquant « d’une part, sont justifiées par un motif impérieux d’intérêt général tenant au maintien d’un service de soins de qualité, équilibré et accessible à tous, d’autre part, sont proportionnées à l’objectif ainsi poursuivi et, enfin, s’appliquent sans discrimination tenant à la nationalité des médecins concernés ; que, par suite, et en tout état de cause, le moyen tiré de la violation de ces libertés de circulation communautaires doit être écarté » [1].

Le but ? Eviter l’éparpillement des médecins sur plusieurs lieux d’activités qui pouvait notamment dégrader la qualité de soins.

Mais le paysage de la médecine a changé en 15 ans et l’intégration du Code de déontologie dans le Code de santé publique :
- Les médecins ont de plus en plus recours à du matériel technique (parfois très coûteux),
- Les médecins, trop peu en nombre en attendant les effets de la suppression du numerus clausus, sont très sollicités par les cliniques, les communes ou les patients à différents endroits,
- Dans les moyennes et grandes métropoles et en Région parisienne, la pression immobilière peut pousser certains médecins -surtout les jeunes- à se satisfaire de quelques vacations en libéral (mise à disposition ou collaboration libérale) complétées par un ou plusieurs exercice(s) en clinique, en centre de santé, à l’hôpital, etc.

Le médecin d’aujourd’hui est un médecin mobile, se déplaçant rapidement en fonction des besoins des patients.

I. Avant le décret n°2019-511.

Le médecin disposait d’un lieu d’exercice unique et pouvait, sous conditions, obtenir l’autorisation du Conseil départemental du lieu de l’activité envisagée pour exercer sur un site distinct de son activité professionnelle principale.

Le médecin devait répondre à l’une des conditions alternatives suivantes :
- soit il existait dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l’offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins (A) ;
- soit les investigations et les soins qu’il entreprenait nécessitaient un environnement adapté, l’utilisation d’équipements particuliers, la mise en œuvre de techniques spécifiques ou la coordination de différents intervenants (B).

Le médecin devait par ailleurs justifier qu’étaient assurées sur tous ces sites d’exercice la réponse aux urgences, la qualité, la sécurité et la continuité des soins.

Le Conseil départemental qui instruisait la demande d’autorisation disposait d’un délai de 3 mois pour répondre. Le médecin ne pouvait pas, durant cette période, débuter son exercice sur le nouveau site sans avoir l’autorisation du Conseil départemental. L’exercice sans autorisation pouvait entraîner des sanctions disciplinaires à l’encontre des médecins les plus pressés. Le délai pouvait d’ailleurs être relancé en cas de demandes complémentaires du Conseil départemental.

II. Après le décret n°2019-511.

Désormais le médecin doit réaliser une déclaration préalable deux mois avant sa date prévisionnelle d’installation.
Le Conseil départemental ne peut s’y opposer que pour des motifs tirés d’une méconnaissance des obligations de qualité, sécurité et continuité des soins et des dispositions législatives et réglementaires.
Le médecin devra donc justifier de la qualité et sécurité des soins (article R.4127-8 CSP) et du respect de la continuité des soins (article R.4127-47 CSP). Cette condition est donc sensiblement la même dans l’ancienne et la nouvelle rédaction mais répond aux exigences de règles déontologiques classiques.

Mais les deux conditions d’ordre technique (A) ou démographique (B), qui pouvaient jusqu’au décret poser problème dans certaines situations, ont complètement disparu.
Le délai est désormais de deux mois, au lieu de trois mois avant le décret.
Le délai n’est pas relancé en cas de demandes d’informations supplémentaires, ce qui obligera le Conseil départemental à prendre rapidement sa décision. Mais il pèsera tout de même sur le médecin l’obligation de bien transmettre toutes les informations (concernant la qualité, la sécurité et la continuité des soins) sous peine de se voir refuser l’autorisation pour défaut d’informations !

Afin de conserver l’équité acquise par le décret n°2012-884 du 17 juillet 2012 concernant les SEL -avant ce décret, les SEL étaient limitées à 5 lieux d’exercice maximum dans une zone géographique définie-, le décret n°2019-511 prévoit donc les mêmes dispositions pour les Sociétés Civiles Professionnelles (article R.4113-74 CSP) et pour les Sociétés d’Exercice Libéral (article R.4113-23 CSP).

III. Pour les demandes en cours.

Les dispositions transitoires prévoient que les demandes d’autorisation d’un site distinct déposées avant l’entrée en vigueur du décret n°2019-511 restent régies par les dispositions dans leur version antérieure. Pour les demandes d’autorisation effectuées après le 26 mai 2019, les nouvelles dispositions s’appliqueront.

Steeve CHAUVET
Juriste spécialisé en Droit de la Santé/Droit social

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Notes de l'article:

[1Conseil d’État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 23/07/2010, 320390.

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Discussions en cours :

  • par Mr El aiyate , Le 8 octobre 2022 à 18:17

    Bonjour, je voudrais savoir si je peux installé 3 médecin dans un immeuble ERP où il y a un institut de beauté et une salle de sport. En sachant que les activités sont autonomes, chacun possède sa propre entrée. Merci de votre réponse

  • bonjour vous dites

    Le délai n’est pas relancé en cas de demandes d’informations supplémentaires, ce qui obligera le Conseil départemental à prendre

    sur quoi vous basez vous svp
    merci

    • par Steeve C. , Le 16 octobre 2019 à 15:28

      Bonjour,

      L’ancienne version de l’article R.4127-85 CSP prévoyait : "Le silence gardé par le conseil départemental sollicité vaut autorisation implicite à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date de réception de la demande ou de la réponse au supplément d’information demandé.", formulation qui n’a pas été reprise par la nouvelle version.

      Ce qui semble cohérent étant donné les lenteurs administratives que pouvaient générer un tel système : le CD demande des infos, le médecin répond trop imprécisément, le CD redemande des infos, le médecin répond etc... cela pouvait durer indéfiniment étant donné que le délai était relancé à chaque fois.

      Aujourd’hui, plus simple : le CD statue (oui ou non) avec les éléments transmis par le médecin.

      Cordialement,

    • par hackmed , Le 4 novembre 2019 à 10:57

      Bonjour Steeve
      Vous avez probablement raison sur le fond, mais moi 4 fois que l’on me demande des précisions, avec à chaque fois insertion du texte repoussant le délai de 2 mois, probablement ils ne sont pas à jour au niveau procédure... voila le texte qu’ils ânonnent !
      "" 1 Le délai de deux mois au terme duquel l’ouverture de votre site distinct sera considérée, en l’absence d’opposition de notre part dans l’intervalle, comme implicitement acceptée ne commencera à courir qu’à compter de la date de réception de l’ensemble de ces informations.
      A l’issue de ce délai de deux mois, le Conseil départemental pourra, si vous lui en faites la demande, vous délivrer un document écrit attestant de sa non opposition à l’ouverture de votre site distinct. """
      cordialement et merci pour vos précieux commentaires

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