Les limites des LBO, par Michel Masoero et Laëtitia Desurmont, Avocats

Les limites des LBO, par Michel Masoero et Laëtitia Desurmont, Avocats

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Explorer : # lbo # dette # dividendes # abus de biens sociaux

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Si la forte récession économique touche les entreprises, le fait que celle-ci prenne brutalement la suite d’une période d’euphorie sur les valorisations des sociétés rachetées va très rapidement placer les investisseurs financiers dans une « tenaille financière ».

Pour être capables de financer le rachat de sociétés valorisées plus de 8 fois l’EBIT, soit plus de 12 fois le résultat net, certains LBO ont eu recours à des montages à très fort effet de levier, renforcé par la dette mezzanine, préjugeant d’une part d’une forte croissance des résultats donc des dividendes, d’autre part d’une large trésorerie disponible de la cible.

Les premières échéances obligataires et de remboursement de crédits vont très prochainement mettre en exergue le décalage existant entre les résultats escomptés, qui ont fondé la valorisation des sociétés rachetées, et les résultats effectivement dégagés.

Dirigeants et administrateurs vont devoir s’interroger sur la légitimité des décisions de remontées de dividendes, issus des résultats ou des réserves des sociétés opérationnelles, et nécessaires au financement de la dette. Les flux de trésorerie intragroupe, qui rémunèrent les avances et conventions de prestations de services rendus par la holding, seront aussi la source d’antagonismes légitimes entre les intérêts des filiales qui ont besoin de toute leur trésorerie en prévision de la crise, et ceux de la holding de reprise qui doit assurer le remboursement de la dette senior. Le remboursement de la dette au travers des remontées de dividendes pourrait bien se révéler insurmontable pour certaines d’entre elles.

Ce difficile arbitrage entre intérêts des filiales et intérêts du groupe, ou plus précisément entre actionnaires de la holding, va devoir intégrer d’importantes limites juridiques et pénales à cet exercice de remontée de « cash » : interdiction pour une société de consentir des prêts pour l’achat de ses propres actions, abus de majorité, voire abus de biens sociaux.

Aux termes de l’article L 225-216 du Code de Commerce, une société par actions ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté, en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions par un tiers. A la lettre de ce texte, les avances ou prêts ne semblent répréhensibles que s’ils ont été consentis « en vue » de l’achat des actions. Une controverse s’était élevée, certains lecteurs du texte affirmant que seul le financement initial était concerné par l’interdiction. En réalité, l’opération s’apprécie dans son ensemble, en ce compris les flux financiers intervenants a posteriori.

En cas de violation de cette disposition, les mandataires sociaux de SA comme de SAS (cf. art. L 248-1, art. L 244-1) s’exposent à une amende de 9 000 € (art. L 242-24, al. 3). En outre, l’article L 225-216 étant une disposition impérative, les prêts ou les sûretés irrégulièrement consentis sont susceptibles d’être annulés.

De plus, la majorité qui contrôle le groupe ne peut pas abuser de sa position pour imposer à l’une des sociétés contrôlées, au nom des intérêts généraux du groupe, une décision contraire aux intérêts particuliers de cette société. Il y aurait abus de majorité si la distribution massive de dividendes ou de réserves mettait en péril le développement et les investissements de l’entreprise ou faisait courir à celle-ci des risques économiques excessifs. Or, l’abus de majorité -s’il est constaté- entraîne généralement la nullité de la décision prise (Cass. com. 21-1-1997 : RJDA 4/97 n° 525).

Et en poursuivant le raisonnement, on ne saurait même écarter l’abus de biens sociaux.

Rappelons qu’à l’examen de l’incrimination, les flux financiers apportés par les dirigeants d’une société à une autre du même groupe seront analysés diversement. Pour ne pas être répréhensible, le concours financier doit cumulativement remplir les critères suivants :

- être dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, lequel est apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe,

- ne pas être démuni de contrepartie ni rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées,

- ne pas excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge (notamment Cass. crim. 4-2-1985 : Bull. crim. n° 54 ; Cass. crim. 4-9-1996 : RJDA 1/97 n° 58).

Les sanctions pénales prévues en cas d’abus de biens sociaux peuvent naturellement s’appliquer aux repreneurs qui exercent dans la société cible des fonctions d’administration ou de direction lorsque des actifs de cette société (trésorerie) leur sont indûment transférés ou sont indûment transférés au holding qu’ils contrôlent.

Les comptes au 31 décembre 2008 de la majorité des sociétés seront marqués par une forte chute de résultat net doublée de prévisions de résultats aussi pessimistes pour 2009 : comment les dirigeants de filiales pourront–ils proposer à l’assemblée générale ordinaire de distribuer des dividendes massifs, voire d’appréhender les réserves, dans le seul intérêt de la société mère ?

La divergence d’intérêt social entre les sociétés cibles et la société de reprise va se traduire par une corrélative divergence d’intérêt entre financiers de la reprise et banquiers de filiales, mais surtout entre dirigeants des filiales (fréquemment minoritaires) et actionnaires majoritaires.

Nul doute qu’un dépôt de bilan de filiales, dans les mois suivant de substantielles ou continuelles remontées de dividendes ne laisseront indifférents ni les créanciers des filiales, ni les salariés, et que les tribunaux de commerce (au rang desquels siège le Procureur de la République) pourront avoir la tentation de devenir les « justiciers de la bulle financière ».

Laëtitia DESURMONT, Avocat

Michel MASOERO, Avocat Associé

Cabinet Lamy Lexel

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