Extrait de : La réforme de la Justice dans tous ses états ! Tribunes et analyses.

De la nécessité d’un droit médical en Côte d’Ivoire.

Par Sanogo Yanourga, Docteur en droit.

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Explorer : # droit médical # formation des personnels de santé # système de santé ivoirien # responsabilité médicale

Cet article a pour objectif d’attirer l’attention des autorités politiques et universitaires ivoiriennes afin qu’elles prennent en compte la nécessité de la mise en œuvre d’un ensemble de règles juridiques devant encadrer et réguler de manière efficace et durable la pratique médicale en Côte d’Ivoire.

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Le système de santé ivoirien est l’un des plus performants de la sous région ouest africaine mais aussi de toute l’Afrique.
Dès l’époque coloniale, de nombreux ivoiriens sont partis se faire former à l’école de médecine William PONTY de Dakar en tant que médecins auxiliaires. Cette formation leur permettait de seconder le médecin venu de la métropole afin de lui permettre de mener à bien sa mission auprès des populations.
Par la suite, à la veille de l’indépendance, de nombreux jeunes ivoiriens qui se faisaient former à Dakar se dirigeaient vers la métropole dans le but de parachever leur formation et revenaient chez eux avec le titre médecin à proprement parler.
Ce sont ces derniers qui ont eux la lourde tache de livrer leur savoir aux éminents professeurs en médecine et aux médecins que nous avons aujourd’hui dans notre pays.

Depuis l’indépendance, les pouvoirs publics ont investi énormément dans le secteur de la santé en Côte d’Ivoire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Nombre de médecins par habitants, nombre de structures sanitaires, nombre de structures de formation (facultés de médecine, Infas : institut national de formation des agents de santé) et enfin le nombre élevé et la qualité des formateurs du monde médical ivoirien : professeurs en médecine, médecins, enseignants des différentes structures paramédicale du pays).

Pendant de nombreuses années, la Côte d’Ivoire a pu compter sur le dynamisme de sa jeunesse estudiantine. A une certaine époque, les étudiants de la faculté de médecine se mettaient d’accord pour se tenir loin des manifestations à caractère politique qui se déroulaient sur tous les campus et dans toutes les résidences universitaires du pays. Avant cette période, nous ne pouvons pas nier le fait que les étudiants étaient mis dans des conditions acceptables pour mener leurs études et ce par rapport à leurs amis de certains États voisins. Il y a aussi le cas des agents de santé, infirmiers, infirmières, sages-femmes etc… qui suivaient leur formation de façon courageuse dans les établissements de Bouaké et Korhogo, loin des commodités de la ville d’Abidjan. Tous ces éléments sont pour nous des points forts qui ont permit de bâtir le système de santé ivoirien.
Mais force est de constater que depuis quelques années, le système de santé ivoirien (structures de traitement et structures de formation) est en perte de vitesse.

Les points faibles.

Depuis les années 1990, nous avons assisté au déclin de l’école ivoirienne. Nous savons qu’une formation mal reçue et mal assimilée sera mal rendue. Les différentes crises politico-militaires, surtout celle de 2002 n’ont pas arrangé les choses.
Nous notons que la localisation des structures de formation, faculté de médecine, Infas (depuis 2002) et les grands centres hospitaliers du pays sont tous basés dans la partie sud du pays au détriment des autres régions de la Côte d’Ivoire. Cette concentration de la médecine dans cette partie du pays fait que les jeunes venus des autres régions une fois formés ont du mal à retourner auprès de leurs parents pour exercer, soit parce qu’il n’y a pas de structure soit parce que le développement se trouve à Abidjan. Si non prenons l’exemple de Cuba sur lequel nous avons travaillé, les personnels de santé, une fois formés, doivent exercer pendant deux à trois ans dans les zones rurales avant toute initiative personnelle. A côté de cela si nous prenons en compte la fermeture de l’Infas de Bouaké et de Korhogo pendant dix ans et le problème de la capacité d’accueil des différentes structures de formation, nous voyons que le pays a vraiment besoin de bâtir de nouvelles structures de formation pour ses personnels de santé sur tout le territoire national.

Un grand problème reste aussi celui du matériel de formation. La formation médicale est à la fois sensible et complexe, c’est donc pour cela que les apprenants doivent être dans les meilleures conditions pour suivre leur formation. Le manque de matériel ou l’état dégradé de celui qui existe ne favorise pas une bonne formation.
La formation initiale doit être suivie et contrôlée. Les enseignements doivent être réactualisés et mis à jour. Un accent particulier doit être mis sur la formation pratique. A côté, un mécanisme automatique de formation continue doit être mis en place, l’État doit aider les médecins et tous les autres personnels de santé à entretenir et perfectionner leurs connaissances.
Pour terminer, nous aborderons un point sensible, celui lié aux personnes, enseignants et étudiants. Les premiers doivent faire leur travail avec la plus grande des consciences, former un médecin ou une sage-femme, c’est sauver des vies ou en détruire. Si vous le faites bien de nombreuses vies seront sauvées. Mais si vous ne la faites pas de façon professionnelle, sérieuse et consciencieuse, ce sont les populations qui subiront les conséquences de votre laxisme.
Quant aux étudiants, pour réussir des études de médecine, d’infirmier ou de sage-femme, il faut beaucoup de sérieux, de volonté. Ce qui me fait dire qu’il faut s’éloigner de la tricherie, la corruption, donc de la facilité.

Comment rendre notre système de formation des personnels de santé plus efficace ?

Les recommandations, les axes d’amélioration.

Pour améliorer la formation des personnels de santé, les pouvoir publics dans un premier temps doivent mettre formateurs et étudiants dans les meilleures conditions de travail.
Il faut résoudre les problèmes de structures de formations bien évidemment dans le temps. Les problèmes concernant le matériel peuvent avoir des réponses plus rapides, tout est question de volonté et de prise de conscience de l’intérêt commun.
Les formateurs doivent travailler dans de bonnes conditions matérielles et surtout financières pour ne pas céder à la corruption et tout ce qui peut en découler. Salaire conséquent et prime pour les meilleurs enseignants de l’année par exemple. Nous pensons qu’il est très important d’encourager et de motiver les efforts fournis par les personnes qui accomplissent leur devoir avec la plus grande rigueur. Il faut organiser des séminaires de formation, la formation continue doit être encouragée ou même obligatoire, la médecine étant en perpétuelle évolution. Il faut aussi instaurer un système permanent d’évaluation des facultés de médecine, des écoles de formation et aussi des enseignants. Il faut aussi évaluer les programmes d’études médicales et mettre en place un programme de qualité de l’enseignement.
Les étudiants doivent bénéficier de toutes les commodités, transport, bourse pour un grand nombre, accès à la documentation, stage à l’étranger pour les meilleurs d’entre eux etc…
Il faut sérieusement motiver enseignants et étudiants, une fois les conditions pour un travail efficace mises en place, il n’y a pas de raison que nous n’atteignions pas les objectifs fixés. Et si les objectifs ne sont pas atteints, chacun devra prendre ses responsabilités. C’est à ce niveau qu’intervient la sanction.

Nous pensons aussi que l’introduction de nouvelles matières telles que la pratique managériale, la gestion des hôpitaux, l’économie de la santé, l’informatique, les langues étrangères, la sociologie, la psychologie et surtout le droit médical permettra la renaissance du système de santé en Côte d’Ivoire.
En tant que juriste, nous estimons que le droit qui est une discipline universelle qui touche à tout a sa place dans le monde médical. En effet, droit et médecine sont-ils incompatibles ? La recherche d’un bon état de santé peut-elle être possible sans le droit ?
A ces différentes questions, de nombreux juristes, médecins, avocats et universitaires ont apporté une réponse sans équivoque : le droit et la médecine sont étroitement liés. D’éminents universitaires tels que les professeurs André et Francine DEMICHEL, Jean-Marie CLEMENT et Cyril CLEMENT pour ne citer qu’eux ont démontré que le droit devait accompagner la bonne marche de la médecine.
C’est donc pour cela que nous plaçons le droit médical au centre de nos recherches.

Dès l’instant où une personne fait son entrée dans un hôpital ou une clinique privée, un lien juridique se crée entre ladite personne, l’établissement qui l’accueille et le personnel traitant exerçant au sein de la structure. Nous pensons qu’il est absolument nécessaire que les étudiants en médecine et les élèves de l’Infas s’intéressent à cette évolution de la société. L’Afrique ne pourra pas plus longtemps se tenir éloignée des nouvelles valeurs qui caractérisent l’évolution mondiale. Le droit en général et le droit médical en particulier font partie intégrante de ces valeurs. La fragilité de notre système de santé et les nombreux abus commis dans nos hôpitaux rendent plus que jamais urgent l’instauration du droit médical afin que les patients lorsqu’ils se présentent dans un établissement de santé se sentent en sécurité. Le droit médicale sera l’arbitre nécessaire et indispensable à la relation patient / médecin.
La Côte d’Ivoire s’intéresse depuis un certain temps à la recherche scientifique et médicale. Des médecins ivoiriens appuyés par leurs homologues étrangers ont même procédé à une greffe de rein en Côte d’Ivoire.
Toutes les garanties juridiques ont-elles été prises avant cette intervention ? En cas d’échec, contre qui pourrait se retourner la victime ou ses ayants droit ? Les règles juridiques concernant le don d’organes ont-elles été prises en compte si elles existent, sont elles sues des différents personnels médicaux qui ont pris part à cette greffe ? Si elles n’existent pas comment pouvons-nous les concevoir ? Nos règles juridiques, nos codes entièrement calqués sur ceux de la France sont-ils encore d’actualité au regard de nos réalités ivoiriennes ?

C’est à ce genre de questions et à bien d’autres que le droit médical doit apporter des réponses.

Mais la mise en œuvre de cette discipline dans notre système de santé ne doit pas se faire de manière précipitée et désordonnée. Il s’agira dans un premier temps de former les futurs médecins et agents de santé aux règles et principes juridiques de base du droit médical. Quels sont leurs droits et leurs devoirs vis-à-vis de leur patients d’une part et vis-à-vis de leurs collègues d’autres part. Ensuite leur droit en tant que personnels d’une structure médicale.

D’autre part, il faudra les former sur les droits et devoirs des patients qu’ils recevront afin qu’ils puissent de façon professionnelle informer leur patient.
Le droit médical permettra un fonctionnement efficace du système de santé, l’exercice de la médecine deviendra rigoureux. Il aidera à mettre fin au laxisme par une meilleure prise en charge des patients dans les hôpitaux. Le droit médical mettra chacun devant ses responsabilités. Les médecins devront assumer les actes qu’ils posent et les patients qui ne suivront pas correctement leur traitement les leurs.

Ensuite il faudra aider le législateur à mettre en place des règles juridiques pour un fonctionnement efficace de notre système de santé. Depuis des années, nous cherchons à mettre en place une assurance maladie universelle sans y parvenir, le droit médical peut aider à atteindre cet objectif.

Participer au développement de la médecine en Côte d’Ivoire est pour nous un devoir. Formé en France et ayant bénéficié d’une bourse de notre pays pendant trois ans afin de faire aboutir nos travaux de recherches, nous trouvons tout à fait normal aujourd’hui de partager ce que nous avons appris.

Dispenser des cours de droit médical dans les structures de formation, faculté de médecine et Infas ainsi que l’organisation d’ateliers ou de séminaires pour les médecins ou les agents de santé en activité sont des projets que souhaiterions développer en Côte d’Ivoire. Juriste de formation, nous estimons que c’est au niveau des facultés de droit du pays que le message du droit médical doit prendre son envol afin que les futurs juristes s’imprègnent de ce nouvel élément et participent à sa diffusion.

Le plus important pour nous aujourd’hui, c’est d’alerter l’opinion ivoirienne et africaine sur le fait qu’aucun système de santé ne peut être efficace s’il ne prend pas en considération les éléments juridiques en rapport avec le monde médical ou la médecine. L’intérêt de nos recherches est de former les différents acteurs du secteur (ceux déjà en exercice et les étudiants en médecine ou en droit appelés à exercer) aux grands principes du droit médical et de la santé : le droit au respect de la vie et de la personne humaine, le droit au secret médical, le droit à l’information, la responsabilité médicale…

Le droit médical permettra de situer les responsabilités entre les différents acteurs du monde médical ivoirien et d’informer les populations sur leurs droits en matière de santé, ce qui favorisera une diminution des abus en tout genre au sein de nos hôpitaux. Le droit médical devra être l’arbitre entre dans la relation qui unit patients et médecins avec pour objectif de rendre plus performant le système de santé.

Nous pensons que pour l’instant, il n’est pas nécessaire d’entrer dans toutes les subtilités du droit médical parce que nous souhaitons que les choses se fassent progressivement pour une meilleure appropriation des règles de droit et une amélioration de la relation soignants/soignés.

Dr SANOGO YANOURGA
Docteur en droit privé, spécialisé en droit médical et de la santé

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Discussion en cours :

  • par dago , Le 19 octobre 2015 à 20:09

    Après observation de cet article, je pense que les raisons ont été énumérées concernant la nécessité d’un droit de la santé en côte d’Ivoire. Mais celui-ci n’a pas montré la démarche à suivre pour ceux qui veulent embrasser cette carrière de droit de la santé. Faut-il obligatoirement faire partir du personnel de santé pour faire carrière ? Ou faire une formation à l’infas ?quels sont les métiers ouverts aux juristes en matière de droit de la santé ?

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