« Ne parlez jamais de mes dettes à moins que vous ne vouliez les payer » s’exclamait le poète Georges Herbert. Et ce sont bien les dettes impayées qui affaiblissent une société cédée, qu’il s’agisse de celles dont elle est débitrice et des autres dont elle est créancière.
Mais dans ce cas, que peut faire le cessionnaire ? C’est tout l’intérêt d’une garantie d’actif et de passif (GAP), laquelle confère le droit au cessionnaire d’agir contre le cédant, en paiement des créances impayées, dès lors que celle-ci est qualifiée d’irrécouvrable. Mais … c’est bien là où le bât blesse… qu’est-ce qu’une créance irrécouvrable ?
Aucune disposition de droit commun ne la définit, d’autant que sa notion semble différer selon les disciplines, les circonstances, et le type de créances… la jurisprudence elle, disperse des indices mais se garde d’affirmer clairement une définition nette. Tout porte à croire que la créance irrécouvrable est un caméléon juridique dont l’apparence change selon les disciplines fiscales, comptables et contractuelles.
Afin d’apprécier ce qu’est une créance irrécouvrable, il conviendra en amont de présenter sa notion en matière fiscale et comptable, puis enfin en matière contractuelle et plus précisément de garantie d’actif et de passif.
La créance fiscale irrécouvrable.
Nous le savons, les relations entre certaines entreprises et l’administration fiscales peuvent s’avérer parfois houleuses, ainsi, une créance à l’égard du Trésor sera considérée irrécouvrable dès lors qu’elle est définitivement perdue et établie.
L’appréciation de sa perte définitive relève surtout des circonstances de faits [1]. Son étendue ne pouvant couvrir que le montant HT de la créance dès lors que la TVA, afférentes aux opérations impayées peut être récupérée par l’entreprise. Toutefois, il est primordial de distinguer les créances irrécouvrables de celles qui sont simplement douteuse et dont le recouvrement n’est pas certain [2].
A titre d’exemple, une créance fiscale définitivement perdue sera celle qu’une société découvre en constatant des écarts comptables inexpliqués en faisant ses comptes, ou des erreurs à faibles montants [3]. Il pourra également s’agir des créances qualifiées d’irrécouvrables grâce à une attestation fournie par l’huissier [4]. Le simple critère de perte définitive semble être retenu pour qu’une créance soit qualifiée d’irrécouvrable, sans chercher à constater si le créancier a effectué des démarches préalables pour son recouvrement. Ainsi, l’appréciation de l’irrécouvrabilité de la créance est stricte, puisque même à l’occasion de l’ouverture d’une procédure collective [5], ou en cas d’ancienneté de la créance [6], celle-ci n’est pas considérée comme perdue.
La créance comptable irrécouvrable.
La qualification de l’irrécouvrabilité de la créance en revanche nécessite davantage de démarches, dépassant la constatation - déjà difficile - de la perte définitive de la créance. Effectivement, outre la disparition du client débiteur, une créance sera qualifiée d’irrécouvrable dès lors que les poursuites exercées à son encontre ont échoué, que les recours contentieux sont épuisés et que les délais de prescription d’action sont expirés. L’irrécouvrabilité devient un synonyme d’efforts et d’échecs successifs pour aboutir à son recouvrement, passant notamment par des poursuites, comme l’entend l’article 272, 1 du Code général des impôts. L’irrécouvrabilité sera dès lors démontrée lorsque le comptable est en mesure de prouver avoir effectué les diligences « normales », pour son recouvrement [7] et des poursuites qui sont restées vaines [8].
A cet égard, le formalisme pour caractériser l’irrécouvrabilité de la créance est lourd, tant il nécessite des efforts et du temps en procédure. La poursuite du client pour le recouvrement de sa créance s’entend comme une chaine d’étapes allant de la mise en demeure au contentieux… La seule souplesse est néanmoins admise pour les petites factures qui nécessitent de simples courriers de relances, mais dont le terme « petite » recommande la prudence en l’absence de quantification [9]. Ainsi, ni l’ancienneté de la créance [10], ni l’absence de moyens pour faire exécuter un jugement.
La créance contractuelle irrécouvrable.
En matière contractuelle, une créance est considérée comme irrécouvrable en matière de GAP, dès lors qu’elle est certaine, liquide et exigible, ou à défaut, suffisamment provisionnée [11] et lorsque plusieurs poursuites ont été engagées : LRAR sans réponses, mise en demeure, commandements de payer, saisies etc. Néanmoins, la jurisprudence s’est montrée plus souple dans son appréciation de l’irrécouvrabilité. En effet, elle se borne à apprécier si le créancier est en mesure de prouver ses démarches et que celles-ci soient argumentées (ex. avec des factures) pour tenter de recouvrer la créance [12], que ces démarches peuvent être des courriers de relances, des mises en demeure, ou des LRAR [13].
Ainsi, en matière contractuelle, la créance est irrécouvrable, dès lors que le créancier est en mesure de prouver qu’il a accompli les diligences « d’usage » [14], tels qu’une mise en demeure, une LRAR [15], etc. pour recouvrir la créance. En revanche, à la lecture de certaines décisions, il faut, par raisonnement a contrario, que les démarches soient faites auprès d’une personne identifiable, puisque l’envoi de SMS à des personnes non identifiées, et sans justificatif, ne suffit à rendre une créance irrécouvrable pour engager la GAP [16].
En conclusion, il apparait cependant que des démarches simples se bornant aux recommandés, mise en demeure ou injonction de paiement semblent suffire.
Toutefois, si les contours de la créance contractuelle irrécouvrable semblent plus souples que dans les matières fiscales et comptables, il sera recommandé aux professionnels de faire preuve de vigilance, dans l’atteinte de davantage de clarté émanant de la Cour de cassation ou du législateur.