Le nouvel article 6 I.8 alinéa 1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique n°2002-575 (dite « LCEN »), introduit par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, crée une nouvelle modalité d’intervention du juge sur les contenus en ligne :
« 8. Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».
Il s’agit de pouvoir demander au juge d’enjoindre, en urgence, "à toute personne", d’intervenir sur lesdits contenus.
La précédente version de la LCEN ne visait que les hébergeurs, et à défaut les fournisseurs d’accès internet, en ces termes :
« 8. L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».
Dans la LCEN ancienne version, le 2 (et 3 relatif à la responsabilité pénale) du I de l’article 6 prévoyait aussi, en ce qui concernait les hébergeurs de contenus :
« Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».
Cette version avait fait l’objet d’une réserve par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 qui indiquait « ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge ».
Francis Donnat commentait ainsi :
« Cette précision sur le caractère "manifestement" illicite est bienvenue : ainsi que le relève le Conseil constitutionnel lui-même dans son commentaire autorisé sur la décision, dire ce qui est illicite et ce qui ne l’est pas est souvent complexe. Appartient-il à une entreprise privée de se livrer à cet exercice délicat ? Le risque était réel de voir les hébergeurs, légitimement soucieux d’éviter toute mise en cause de leur responsabilité, supprimer systématiquement, au moindre doute, tout contenu qui leur aurait été signalé. Le résultat obtenu en définitive n’aurait été heureux ni au regard de la liberté de communication ni au regard de l’objectif de la directive de 2000 qui est de favoriser la libre circulation et la croissance des services en ligne. Le critère du "manifestement" illicite permettait précisément d’éviter ces écueils.
Un raisonnement similaire a été mené par la Cour européenne des droits de l’homme s’agissant de la responsabilité d’un éditeur de site au regard des commentaires mis en ligne par les internautes. Après avoir relevé que ces commentaires n’étaient pas, en l’espèce, "clairement" illicites, la CEDH a considéré la mise en jeu de la responsabilité pénale du responsable d’un site pouvait avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression sur Internet [1].
Il ressort en définitive de la combinaison des textes et de la jurisprudence constitutionnelle que la responsabilité d’un hébergeur peut donc être engagée dans deux hypothèses : lorsque celui-ci ne retire pas promptement un contenu manifestement illicite qui lui a été signalé par un tiers ; lorsque celui-ci ne retire pas un contenu dont le retrait a été ordonné par un juge ».
La nouvelle version de la LCEN, issue de la loi 2021-1109 du 24 août 2021, intègre cette décision dans ces termes :
« 2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».
Cette ouverture permit aux hébergeurs de se référer plus volontiers à leur propre appréciation pour écarter sans crainte les demandes de retrait ou de modification de contenus qui, selon eux, ne leur paraissaient pas "manifestement" illicites.
Les plaignants étaient donc incités à saisir le juge pour faire reconnaître le caractère illicite du contenu.
Confrontés à l’urgence ou à la sensibilité des contenus, ils utilisaient logiquement la procédure de référé, procédure d’urgence, en application du 8 du I du 6 de la LCEN, dans son ancienne version précitée, pour demander au juge d’enjoindre à l’hébergeur le retrait ou la modification du contenu.
La difficulté est que, dans le cadre d’une procédure de référé, les pouvoirs du juge sont limités à ce qui relève de l’évidence. Il ne peut intervenir quand les choses ne lui paraissent pas évidentes.
Or, les contenus concernés soulèvent souvent des questions complexes relatives aux limites de la liberté d’expression et de la libre critique, de la vie privée, de la propriété intellectuelle, qui nécessitent donc une réflexion approfondie, et pour lesquels le juge des référés, juge de l’évidence, peut s’estimer dépourvu de pouvoirs.
L’absence de "caractère manifestement illicite" du contenu permettait finalement à l’hébergeur, mais aussi au juge, de ne pas traiter la demande du plaignant dans le cadre d’une procédure d’urgence.
Pourtant les contenus en question peuvent rapidement mettre à mal la réputation et les biens des personnes et des entreprises qu’ils visent.
Le législateur a sans doute estimé que la procédure propre à traiter ces contenus pouvait donc être améliorée, et a permis que le traitement de ces contenus puisse bénéficier de la "procédure accélérée au fond".
Cette nouvelle possibilité, inscrite dans le 6.I.8 de la nouvelle LCEN, précité, a été introduite par le législateur à l’occasion du projet de loi confortant le respect des principes de la République n° 2021-1109 du 24 août 2021, visant en particulier les "délits de provocation".
La "procédure accélérée au fond" est propre à résoudre l’équation complexité/urgence en matière de demande de retrait de contenus en ligne. C’est donc cette procédure qui devient recommandée en principe pour traiter ce type de demande.
La réforme de la procédure civile [2] a en effet introduit la "procédure accélérée au fond" (anciennement "en la forme des référés"), dans les termes des articles 839 et 481-1 du Code de procédure civile, permettant d’organiser en urgence un débat judiciaire approfondi, non limité aux évidences. Elle n’exige pas qu’une urgence soit démontrée ni qu’une autorisation préalable du juge soit obtenue (à la différence d’autres procédures comme les procédure "passerelle" ou "jour fixe"), mais ne peut être utilisée que si la loi ou le règlement le permet pour telle ou telle question.