Le street art pour un panorama libre de droits.

Par Pierre de Roquefeuil, Avocat.

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Explorer : # street art # droit d'auteur # exception de panorama # liberté d'expression

La récente décision du tribunal judiciaire Paris du 21 janvier 2021, n° 20/08482, intervient dans le cadre d’un contentieux assez rare, celui de l’exception au droit d’auteur liée à ce qu’il est d’usage d’appeler la liberté de panorama, instaurée par la loi l’article 39 de la loi pour une République numérique (L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016), et insérée à l’article L122-5, 11° du code de la propriété intellectuelle.

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La décision est intéressante à plusieurs égards, sur la notion d’originalité, sur le régime de la procédure à jour fixe, sur la notion d’intégrité de l’œuvre, mais aussi et surtout en ce qu’elle étend l’exception de panorama aux fresques picturales placées sur la voie publique. Commentaire.

Les faits :

Lors de la campagne municipale 2020 des spots de LFI faisaient apparaître une Marianne asiatique, symbole de la diversité, peinte sur un mur non loin de la place de la République, à Paris, lors de prises de vues faites à l’occasion de manifestations [1] à l’occasion des présidentielles de 2017.

L’auteur de la fresque revendiquait alors son droit d’auteur et demandait des dommages et intérêts au chef du parti politique en question, et audit parti lui-même, pour utilisation non autorisée de son œuvre.

Le raisonnement :

Le tribunal reconnaît bien le droit d’auteur de l’artiste, pointant en particulier les choix esthétiques qu’il a effectués en vue d’exprimer un certain message d’humanité, mais ne retient pas qu’une atteinte ait été portée à son droit moral d’auteur, en l’occurrence à la paternité et à l’intégrité de son œuvre, ou à ses droits patrimoniaux d’auteur.

Il est ainsi jugé que le message politique de LFI n’était pas de nature à porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre, en ce que celle-ci paraissait elle-même rejoindre le discours diversitaire et inclusif du parti politique, militant pour une nouvelle République.

En ce qui concerne l’atteinte aux droits patrimoniaux le tribunal estime que la reproduction n’est pas illicite car couverte par l’exception dite de “panorama”.

L’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle prévoit bien que

« Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».

L’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle énumère toutefois diverses exceptions à l’illicéité de la reproduction non autorisée d’une œuvre de l’esprit et prévoit en particulier, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, que

« Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…)
11° Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial. (…)
 ».

Cette exception a été introduite par l’article 39 de la loi pour une République numérique [2], et insérée à l’article L122-5, 11° du code de la propriété intellectuelle.

Lors du débat parlementaire sur cette exception de panorama, il était question de préserver les intérêts des particuliers postant des photos de voyage sur internet - par exemple sur l’encyclopédie en ligne Wikipedia, sur Google Maps, ou sur des blogs, ou sur des réseaux sociaux tels Facebook, Instagram, Snapchat, ou encore Twitter, en dehors de tout objectif commercial - contre des revendications d’architectes ou de sculpteurs ayant leurs œuvres sur la voie publique et prises dans les clichés photographiques desdits particuliers.

La jurisprudence admettait déjà une telle exception, mais à des conditions plus restrictives « la représentation d’une œuvre située dans un lieu public n’est licite que lorsqu’elle est accessoire par rapport au sujet principal représenté ou traité » [3] dans l’objectif du respect de la liberté d’expression [4].

L’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle transpose l’article 5 « Exceptions et limitations » de la Directive 2001/29/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, dont le 3 prévoit que

« Les Etats membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants : (…)
h) lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’œuvres, telles que des réalisations architecturales ou des sculptures réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics
 ».

Selon le tribunal

« la "liberté de panorama" permet ainsi à toute personne de photographier, filmer, dessiner, etc… les œuvres d’architecture et de sculpture, ainsi que les graffitis dont ils sont éventuellement couverts, dès lors qu’ils sont situés en permanence sur la voie publique, pourvu, prévoit le droit français, que la reproduction soit le fait d’une personne physique, à des fins non commerciales ».

Ainsi les “graffitis” (seraient-ils à distinguer d’une œuvre picturale plus substantielle ?) sont jugés couverts par l’exception, par une interprétation extensive de l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, dont il semble admis par le tribunal qu’elle est permise par les termes beaucoup plus larges de la directive européenne (notamment par l’emploi, dans cette directive, de l’expression précitée “telles que” annonçant une liste non limitative).

L’exception ne bénéficie toutefois qu’aux personnes physiques, et non aux personnes morales, tels que les partis politiques sous forme d’association.

Ces personnes morales invoqueront le droit de courte citation, que le tribunal retient en l’espèce au bénéfice du parti politique :

« Encore que cette dernière [ledit parti politique] peut en tout état de cause revendiquer en l’occurrence le bénéfice de l’exception de courte citation [...] En effet, la reproduction de cette œuvre urbaine appuie le message critique développé par les vidéos, qui est celui d’une demande du "peuple" en faveur d’une nouvelle République plus humaniste ».

Ce droit de courte citation est prévu par l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle selon lequel :

« Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…)
3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ;...
 ».

Affaire à suivre ...

Pierre de Roquefeuil, Avocat, Paris, titulaire des mentions de spécialisation droit du numérique, de la communication et de la propriété intellectuelle - https://roquefeuil.avocat.fr

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Notes de l'article:

[1Place de la République à Paris.

[2L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016.

[3Cass. 1re civ., 4 juill. 1995, n° 93-10.555)(Cass. 1re civ., 15 mars 2005, n° 03-14.820.

[4Cass. 1re civ., 15 mai 2015, n°13-27.391.

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