L’OCDE jette un pavé dans la mare en se prononçant sur le niveau de droits de succession dans le monde, et bien entendu en France. Comme tous les sujets fiscaux, la taxation des transmissions est un thème hautement clivant, qui fait rarement l’objet de convergence entre les différentes sensibilités politiques.
Dans son rapport intitulé : Impôt sur les successions dans les pays de l’OCDE, l’organisation internationale examine le rôle que l’impôt sur les successions pourrait jouer pour accroître les recettes, lutter contre les inégalités et renforcer l’efficacité des systèmes fiscaux dans les pays de l’OCDE. Au-delà des dogmes politiques, à l’heure de la crise du Covid-19 qui a creusé les déficits publics, la piste du relèvement des droits de successions est privilégiée.
Impossible d’analyser l’impôt sur les successions sans se pencher sur la répartition du patrimoine. En moyenne, chez les 27 pays membres de l’OCDE ayant communiqué assez de données pour que l’analyse puisse être menée, les 10 % des plus riches possèdent la moitié du patrimoine total.
Le patrimoine est distribué de la même manière dans les différentes classes d’âge. Si pour certains, cela signifie une redistribution des richesses, la moitié des plus riches acquièrent directement leur patrimoine. Chez les plus jeunes, 10 % des ayant droit sont en revanche propriétaires de l’ensemble du patrimoine total.ne financier est particulièrement concentré : alors que 20 % des ménages les plus riches possèdent plus de la moitié du patrimoine immobilier total, ils détiennent près de 80 % du patrimoine financier total. De plus, le cercle revenus/patrimoine se confirme : les inégalités de revenu et de patrimoine se renforcent mutuellement. En effet, les ménages à revenu élevé ont davantage de possibilités d’épargner et la rentabilité de leur épargne est généralement supérieure, tandis que les ménages à faible revenu ont tendance à épargner moins et à investir dans des actifs à faible risque et faible rendement, ce qui accroît les inégalités de patrimoine.
En France, les trajectoires sont très inégales : les plus aisés sont plus nombreux que la moitié des Français à disposer de l’essentiel du patrimoine. Plus de 15 millions d’adultes ont une part estimée de leur patrimoine supérieure à 95 %, soit 51 % des ménages, alors que 21 millions d’adultes ont au contraire une part inférieure à 5 % entre 2007 et 2008, les 10 % des ménages les plus riches ont capté 51 % du gain de patrimoine total, et la moitié des ménages les plus pauvres ont vu leur patrimoine diminuer.
Le rapport de l’OCDE montre qu’un impôt sur les successions progressif et égalitaire touche un nombre limité de personnes où le patrimoine par habitant a presque triplé entre 1995 et 2019, celui des ménages est largement concentré au sommet de la distribution des richesses. Ainsi, 10 % des Français les plus riches détiennent 59 % de la richesse totale. En tête figurent les États-Unis, où 10 % des plus riches détiennent 74 % du patrimoine total des ménages. À titre de comparaison, ce taux s’élève à 60 % en Allemagne, 52 % au Royaume-Uni, 42 % en Belgique.
Si l’on affine l’analyse sur les plus privilégiés, c’est-à-dire 1 % des citoyens les plus riches en France, cet échantillon de personnes fortunées détient 19 % du patrimoine net total des ménages. Le score le plus élevé appartient encore aux États-Unis (42 %) largement devant, puis viennent les Pays-Bas (28 %). L’Allemagne se situe à 24 % et le Royaume-Uni à 20 %. En bas du tableau figurent le Japon (11 %), la Grèce et la République slovaque (9 %).
Logiquement, l’inégalité se répercute dans le montant des donations et successions transmises. Parmi les 20 % les plus fortunés, la part des ménages qui déclarent avoir reçu un héritage ou une donation importante est comprise entre 39 % (Canada) et 66 % (Finlande), contre 3 % (Italie). Elle est de 20 % en France.
Des successions peu taxées, de faibles recettes.
Dans la zone des 37 pays de l’OCDE, il faut noter que 24 d’entre eux taxent les successions ou les donations, majoritairement en prélevant un impôt sur la part de la succession reçue par les héritiers.
Les recettes issues de cette taxation sont à un niveau très fiable : 0,5 % des recettes fiscales des États en moyenne. Elles dépassent 1 % du total des recettes en France (1,4 %), en Belgique, Corée et au Japon. Ce faible niveau s’explique par « l’étroitesse de l’assiette fiscale », due notamment aux exonérations ou abattements significatifs souvent appliqués aux transmissions de patrimoine à de proches parents, mais aussi au traitement fiscal préférentiel dont bénéficient certains actifs. Le conjoint survivant bénéficie d’une exonération totale de l’impôt sur les successions dans 13 pays (dont la France) et les enfants sont exonérés dans 6 pays.
La structure des impôts sur les successions est très variable. Selon les pays, la valeur du patrimoine susceptible d’être transmis hors impôt par un parent à ses enfants varie de 17 000 USD (13 952, 66 €) en Belgique, région de Bruxelles-Capitale, à 11 millions USD (9 027 755 €) aux États-Unis. Les actifs généralement concernés par les allégements fiscaux incluent les actifs commerciaux et agricoles ainsi que les résidences principales des donateurs, tandis que les exonérations totales s’appliquent le plus souvent aux plans d’épargne retraite et aux assurances-vie ou assurances décès par accident.
Quant à la structure de la taxation : 15 des pays appliquent un impôt sur les successions progressif, de 1 % (Chili) à 80 % (Belgique, région de Bruxelles-Capitale) selon les catégories d’héritiers. 7 États pratiquent quant à eux des impôts forfaitaires : de 4 % (Italie) à 40 % (Royaume-Uni et États-Unis).
Le rapport propose un certain nombre d’options de réforme que les gouvernements pourraient envisager, dans le but de taxer les transmissions tout au long de la vie afin d’améliorer la conception et le fonctionnement des impôts sur les transferts de patrimoine. L’objectif est d’introduire plus d’équité pour améliorer l’égalité des chances, et plus d’efficacité au regard des actifs transmis.
Le rapport de l’OCDE a évoqué également quelques mesures supplémentaires dans le contenu de son rapport :
– La recherche d’un meilleur alignement des droits d’imposition relatifs aux successions transfrontalières entre les pays ;
– Une mise en place d’un dispositif d’élimination de la double imposition des successions transfrontalières ;
– Une prise en compte des plus-values au moment du décès ;
– La mise en place de mesures destinées à prévenir les problèmes de liquidité (reports de paiement de l’impôt à court et long terme) ;
– La valorisation des actifs à leur juste valeur marchande et la révision des méthodes de valorisation « trop généreuses » pour certains actifs (participations non cotées) ;
– Le renforcement (nécessaire) des obligations de déclarations et de collecte de données ;
– Une meilleure communication des pouvoirs publics sur le rôle de l’impôt sur les successions, sa structure, son affectation et les taux effectifs d’imposition ;
– L’inscription de la taxation des successions dans le contexte plus large de celui du capital.
Ces mesures et ces souhaits de réforme permettraient une meilleure justice fiscale, mais si le Gouvernement Français veut réussir cette justice fiscale, il lui serait judicieux de renforcer concrètement et plus offensivement sa lutte contre les évasions fiscales, sur le renfort des sanctions, et alléger celle frappant de plein fouet les ménages de la classe moyenne.