« Pacte Dutreil » et activité mixte : « le BOFIP n’est pas parole d’évangile ».

Par Rodolphe Mossé, Avocat.

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Explorer : # pacte dutreil # activité mixte # exonération fiscale # transmission d'entreprise

Analyse de l’arrêt du Conseil d’Etat du 23 janvier 2020, n°435562 (8ème-3ème chambres réunies).

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Pour mémoire, le « Pacte Dutreil » est un dispositif fiscal qui permet, sous certaines conditions, de faire bénéficier la transmission d’une entreprise familiale (société ou entreprise individuelle) d’une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois-quarts de sa valeur [1].

Dernièrement, vous avez peut-être été interrogé par l’un de vos clients concernant l’application de ce dispositif à la transmission, par voie de donation, des parts d’une société exerçant une activité mixte :
- commerciale d’une part,
- et civile d’autre part.

Si l’Administration fiscale a depuis longtemps admis l’application de ce dispositif aux sociétés ayant une activité mixte [2], elle exige toutefois que l’activité « opérationnelle » (industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale) soit prépondérante.

La question était donc de savoir comment apprécier le caractère prépondérant de son activité professionnelle.

Pour rappel, l’Administration fiscale avait commenté, par une instruction publiée au BOFIP [3], que la prépondérance de l’activité opérationnelle s’appréciait au regard de deux critères cumulatifs :
- Le chiffre d’affaires procuré par l’activité opérationnelle doit représenter 50% du chiffre d’affaires total ;
- Le montant de l’actif brut immobilisé affecté à l’activité opérationnelle doit représenter 50% du montant total de l’actif brut.

Dans la plupart des cas, l’appréciation du caractère prépondérant de l’activité opérationnelle de votre client faisait ne pose pas de difficulté particulière.

Cependant, dans certaines situations, le contribuable peut se trouver dans l’impossibilité de satisfaire à la seconde condition portant sur l’actif brut immobilisé.
Tel est le cas, notamment, dans l’hypothèse d’une activité de marchand de biens ou de promotion immobilière car la majorité des actifs professionnels est comptabilisée en stock ou produits en cours.

Ainsi, en s’en tenant à une application stricte de ce second critère, l’activité de marchand de biens et de promotion immobilière ne pouvait bénéficier du dispositif Dutreil à défaut de remplir le critère afférent au pourcentage de l’actif brut.

Or, ce second critère semblait totalement inadapté/inapproprié pour les activités de marchand de biens ou de promotion immobilière dans la mesure où l’Administration fiscale excluait purement et simplement, pour l’appréciation de l’activité opérationnelle, l’actif circulant tel que les stocks ou les produits en cours de production affectés, de facto, à cette activité.

Dès lors, sauf à prendre une position « agressive » dans l’acte de donation, le client devait se résigner à ne pas pouvoir invoquer le bénéfice du « Pacte Dutreil ».
Ce faisant, un Confrère pugnace a initié un REP (Recours pour Excès de Pouvoir) contre l’instruction réglementaire précitée commentant le régime du « Pacte Dutreil » et plus précisément concernant le sens à donner au terme « immobilisé » dans le cadre de l’appréciation du critère portant sur le pourcentage de l’actif brut.
Les praticiens étaient donc dans l’attente de la décision du Conseil d’Etat à venir sur ce point.

Par un arrêt en date du 23 janvier 2020, les juges du Palais-Royal ont décidé d’annuler l’ensemble des dispositions administratives fixant les deux critères d’appréciation de la prépondérance de l’activité professionnelle.

Ils ont aussi reconnu que l’exercice d’une activité civile n’était pas de nature à priver le contribuable de l’avantage fiscal sur la valeur totale des titres transmis à titre gratuit.

Le Conseil d’Etat considère en outre que :
« … les parts ou actions d’une société qui, ayant également une activité civile autre qu’agricole ou libérale, exerce principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s’apprécie en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice.
Par suite, et alors de surcroît que la faiblesse du taux d’immobilisation de l’actif brut n’est pas davantage l’indice d’une activité civile autre qu’agricole ou libérale, que son importance celui d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, ces dispositions ne subordonnent pas l’avantage qu’elles instituent, s’agissant des parts et actions d’une société mixte, à la condition que le montant de l’actif brut immobilisé représente au moins 50% du montant total de l’actif brut. »
Par cette décision, les juges du Conseil d’Etat censurent purement et simplement l’interprétation adoptée par les commentaires administratifs sur la portée à donner aux dispositions du premier alinéa de l’article 787 B du CGI qui ne sont donc pas « paroles d’évangiles ».

Dorénavant, il convient donc d’apprécier la prépondérance d’une activité opérationnelle en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice.

Cette prise de position jurisprudentielle permait de « rassurer » notamment les contribuables qui envisagent de transmettre leur entreprise de marchand de biens dans le cadre d’un « Pacte Dutreil ».

Toutefois, pour être parfaitement serein en la matière, les praticiens resteront dans l’attente de la réponse à la question ministérielle de Monsieur Mohamed Laqhila [4] confirmant (ou non) l’application du dispositif Dutreil à l’activité de la promotion immobilière.

Affaire à suivre car il faut toujours se méfier d’une bête blessée …

Rodolphe MOSSÉ
Avocat associé
MOSSÉ & ASSOCIÉS

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Notes de l'article:

[1CGI, art. 787 B et 787 C.

[2Cf. RM Bobe n° 94047, JO AN du 24 octobre 2006, p. 11064.

[3BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10-20140519, n°20 et s.

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